Poisson manger
Les poissons accumulent méthylmercure, PCB et Pfas, mais ils regorgent aussi de substances essentielles pour la santé.

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Mercure, Pfas, PCB: quels poissons peut-on encore manger sans risque?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Du saumon au mercure ou du bar aux Pfas? Manger du poisson sans poison est devenu une gageure. Il reste pourtant bon pour la santé, à condition de bien le choisir et d’en consommer modérément.

Comment ça, «il est pas durable mon poisson?» Si un nouvel album d’Astérix sortait aujourd’hui, la célèbre vocifération d’Ordralfabetix aurait sûrement évolué. Devant l’étal du poissonnier, le consommateur de 2025 est en effet bien perplexe. Comment choisir un bon poisson, frais bien sûr, mais aussi pas trop chargé en substances toxiques et, si possible, provenant d’une pêche soucieuse du respect des océans? Pas simple. Pourtant, depuis plus d’un quart de siècle, les labels fleurissent pour les produits de la mer, comme pour ceux de l’élevage terrestre, et les normes imposées par l’Union européenne limitent de plus en plus, dans le poisson mis en vente, la teneur en mercure ou en PCB, ces polluants organiques persistants.

La confiance du chaland n’en est pas moins émoussée par la controverse qui entoure ces labels ou par les études d’ONG de défense des océans qui dénoncent le laxisme des réglementations sanitaires. Dernière étude en date: l’association Bloom pointait, fin octobre 2024, les incohérences des règles UE pour le thon, poisson le plus consommé en Europe, qu’il soit frais ou en boîte. Elle a fait analyser près de 150 conserves. Résultat: une boîte sur dix excédait la valeur limite fixée pour le mercure. Il faut savoir qu’en Europe, la limite la plus stricte s’élève à 0,3 milligramme de mercure par kilo de poisson, mais elle ne concerne pas tous les produits de la mer.

«On est face à un vrai paradoxe. Les poissons accumulent méthylmercure, PCBs et Pfas, mais ils regorgent aussi de substances essentielles pour la santé.»

Corinne Charlier,

professeure à l’ULiège et cheffe du service de toxicologie clinique au CHU Sart-Tilman.

Des taux plus élevés peuvent s’appliquer: 0,5 milligramme pour les crustacés ou mollusques et un milligramme pour des espèces de poissons prédateurs comme le thon ou l’espadon. Absurde a priori, puisque certaines espèces peuvent donc contenir plus de trois fois plus de mercure que d’autres. Mais pire encore: le thon en boîte, déshydraté lors de sa cuisson et sa mise en conserve, concentre davantage de poison. C’est ainsi que 10% des boîtes de thon dépassent la valeur autorisée en mercure, déjà élevée par rapport aux autres poissons. Et ce, en toute légalité, car les plafonds imposés par l’UE ne visent que le poisson frais. Le thon n’est pas le seul concerné. L’espadon est l’espèce dont la teneur en mercure est la plus haute, quatre fois plus que le thon. Le homard, le brochet et le bar ne sont pas en reste non plus.

Le mercure est un métal lourd issu de la combustion du charbon, de l’extraction minière et d’activités industrielles comme les cimenteries. Très volatil, il se dépose notamment sur les océans où il est ingéré par tous les organismes marins. Une partie se transforme en méthylmercure qui en est la forme la plus toxique, celle justement qu’on retrouve dans le thon en boîte et à 90% dans le poisson en général. En Europe, le seuil sanitaire établi par l’Autorité de sécurité alimentaire (Efsa), pour le mercure, est de 1,3 µg/kg de poids corporel par semaine. Aux Etats-Unis, où l’on se montre plus prudent, c’est deux fois moins, soit 0,7µg/kg.

Pfas et Pfos dans les fruits de mer

Outre les métaux lourds, d’autres polluants contaminent la faune marine, notamment les fameux Pfas et Pfos, ces substances chimiques qu’on appelle polluants éternels parce qu’elles mettent une éternité à se dégrader. Dans nos aliments, ce sont les œufs, la viande et les produits de la mer qui en contiennent le plus. On sait que ces polluants organiques persistants (POP) sont facilement transportés dans l’environnement sur de longues distances. Ils arrivent dans les océans via les estuaires des fleuves contaminés par les industries qui les bordent et suivent ensuite la circulation océanique, se laissant transporter à des centaines de kilomètres de leur lieu d’origine. C’est ainsi que, malgré leur interdiction depuis 2009, les Pfos continuent et continueront encore pendant des décennies à proliférer dans les mers. Ils se logent entre autres dans les bivalves, comme les moules et les huîtres.

On sait que toutes ces substances peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. Perturbation des systèmes endocrinien, immunitaire, neuronal, risque de cancers…, la liste est longue. Aux Etats-Unis, le nouveau ministre de la Santé Robert Kennedy Jr. a reconnu avoir souffert de graves troubles cognitifs à cause du méthylmercure contenu dans le thon en boîte qu’il tartinait tous les jours sur ses sandwichs. Faut-il pour autant bannir le poisson de nos assiettes? «On est face à un vrai paradoxe, reconnaît Corinne Charlier, professeure à l’ULiège et cheffe du service de toxicologie clinique au CHU du Sart-Tilman. Les poissons, surtout les gras et les grands prédateurs, accumulent méthylmercure, PCB et Pfas, mais ils regorgent aussi de substances essentielles pour la santé, en particulier les oméga-3 et le sélénium, qui protègent du stress oxydant, donc de l’athérosclérose, qui sont cardioprotecteurs et jouent un rôle dans le développement cérébral et rétinien lors des premiers mois de la vie.»

«On peut manger du poisson, mais pas plus de deux fois par semaine et en variant les espèces.»

Testachat.

Quels poissons manger? Eviter le thon, le saumon, l’espadon

Chez testachats, on souligne aussi que le poisson est riche en oligo-éléments, en vitamines et en minéraux et que ses bénéfices pour la santé surpassent les inconvénients. «La teneur maximale en résidus et contaminants étant plutôt bien respectée chez nous, on peut donc manger du poisson, mais pas plus de deux fois par semaine à raison de 120 à 130 grammes par repas, et en variant les espèces», recommande l’association de défense des consommateurs. Corinne Charlier renchérit: «Il faut privilégier les poissons riches en oméga-3 et en sélénium, comme le hareng, le maquereau, le flétan, les sardines… Le thon, le saumon et l’espadon aussi, mais ces prédateurs qui avalent beaucoup de petits poissons sont très contaminés, donc autant en limiter plus drastiquement la consommation, surtout chez la femme enceinte ou allaitante.»

Si l’on veut continuer à en consommer dans les années à venir, le choix du poisson doit aussi être guidé par sa durabilité. Pour éviter que la pêche industrielle ne vide les océans (on pêche environ 90 millions de tonnes de poisson par an), des labels s’avèrent utiles. Le plus connu est le label bleu indépendant MSC (Marine Stewardship Council), fondé en 1997, qui veille à ce que les stocks de poisson restent productifs. Autre label répandu, mais plus récent, le vert ASC pour l’aquaculture: l’élevage piscicole, en milieu naturel ou en bassins, qui s’est fort développé ces dernières années, représente actuellement la moitié des produits à base de poisson consommés dans le monde. Ces labels, développés avec le concours du WWF, le fonds mondial pour la nature, sont néanmoins régulièrement critiqués. Le WWF lui-même dénonce parfois certaines certifications MSC, en particulier pour le thon rouge, très prisé dans les pays méditerranéens mais gravement menacé.

Pour l’ONG Bloom, le cahier des charges de l’association scientifique indépendant MSC, qui octroie son label à 80% des pêcheries industrielles, est trop permissif. «Il ne vise pas les techniques de pêche, confirme Nadia Cornejo chez Greenpeace Belgique. Pourtant, on sait que la pêche au chalut ou à la drague, avec d’énormes filets, abîme les fonds marins et capture des espèces non ciblées mais vulnérables. La pêche durable, cela concerne la période de reproduction des poissons mais aussi le type de pêche, qui doit normalement être indiqué sur les étals des poissonniers. Or, ce deuxième critère n’est pas pris en compte par le label MSC qui donne pourtant l’impression qu’on choisit un poisson issu de la pêche durable

Pour sa défense, face aux critiques de Bloom, MSC a déjà expliqué que «la certification n’est que la partie émergée de l’iceberg» et se targue de réaliser, depuis deux décennies, «un travail de longue haleine pour accompagner les pêcheries dans leur chemin vers la durabilité». En Belgique, le WWF reconnaît que nos marins pêcheurs sont plutôt bien engagés dans une trajectoire de pêche respectueuse de l’environnement.

Quant à l’aquaculture, elle est aussi sujette à caution. «Vu son développement, de plus en plus d’élevages intensifs géants voient le jour, indique Nadia Cornejo. On peut les comparer aux fermes industrielles de poulets enfermés dans de petits espaces et pataugeant dans leurs excréments. Il faut donc être prudent. L’aquaculture n’est pas une solution miracle, loin de là. Certains labels permettent tout de même de distinguer l’intensif du reste. Il faut aussi tenir compte de la provenance, comme pour les fruits et légumes.» Le WWF, lui, recommande en la matière le label ASC, auquel il est associé, tout en dénonçant des certifications du logo vert lorsqu’elles sont trop laxistes.

De manière générale, pour les poissons de la pêche et ceux issus de l’élevage, le guide du WWF est recommandé par nombre d’experts. Les différents types de poisson qu’on trouve chez nous y sont classés en trois couleurs, selon le lieu et le type de pêche: «bon choix» (vert), «avec modération» (jaune) et «à éviter» (rouge). En attendant d’y plonger le nez, un conseil d’emblée: ne plus se contenter des poissons qu’on surconsomme comme le thon, le saumon et le cabillaud, mais se tourner aussi vers le merlan, l’aiglefin, le loup, le turbot, la truite, le perche… tout aussi bons.

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