Quelle place pour les médecins généralistes dans la campagne de vaccination (débat)
Bruxelles autorise les médecins traitants à vacciner en cabinet, la Wallonie pas encore. Echange de vues avec Thierry Van der Schueren, médecin et coordinateur de la SSMG et Sarah De Pril, Community Manager à l’ Aviq, en charge de la campagne wallonne de vaccination.
Thierry Van der Schueren, médecin: « Des patients attentistes accepteront le vaccin chez leur médecin »
Maintenir ouverts des centres de vaccination dont la fréquentation s’est fortement réduite n’a pas beaucoup de sens, même s’il faut administrer à certaines personnes une troisième dose, estime le docteur Thierry Van der Schueren, médecin en Wallonie et coordinateur de la SSMG, qui représente les généralistes francophones.
Déléguer la vaccination aux médecins généralistes permettrait, selon les autorités bruxelloises, de convaincre les hésitants vaccinaux et ceux qui se méfient des autorités. Est-ce aussi votre avis?
Nous avons clairement une demande de patients attentistes qui expriment le souhait d’être vaccinés dans le cadre de la relation de confiance établie avec leur médecin. Cette relation est forte en Belgique, où il y a le libre choix de son médecin traitant. La plupart de ces médecins bénéficient d’une accessibilité géographique et pratique que n’a pas le système mis en place pour vacciner les masses. Les généralistes peuvent convaincre de nombreux citoyens encore hésitants, méfiants ou mal informés à se faire vacciner. J’ai pu constater ces derniers temps à quel point la fracture numérique est énorme dans la société. Chaque jour, des patients qui éprouvent des difficultés à prendre un rendez-vous en ligne dans un centre de vaccination, ou à télécharger le pass sanitaire et d’autres documents, me demandent de les aider. La plupart ont pourtant une connexion Internet. Nous sommes sollicités sans cesse pour lever tous ces obstacles.
Les médecins traitants peuvent très bien vacciner eux-mêmes le sous-groupe des patients qui devront recevoir une troisième dose.
Vous regrettez que les médecins généralistes de Wallonie ne puissent vacciner dès à présent en cabinet?
Il nous a été dit que nous prendrions la relève quand les centres de vaccination fermeraient. En Wallonie, la majorité d’entre eux fermeront complètement leurs portes au public d’ici à la fin août. On verra ce que les autorités régionales décideront à notre égard. Les centres de vaccination ont un coût de fonctionnement non négligeable, qui se justifie pleinement quand on y vaccine du matin au soir sur plusieurs lignes, mais qui n’a pas tellement de sens quand la fréquentation se raréfie. Les médecins généralistes apportent alors une plus-value pour rattraper les populations qui sont passées entre les mailles du filet des campagnes de vaccination. Nous regrettons ne pas pouvoir agir plus tôt. Nous espérons pouvoir apporter notre pierre à l’édifice, notamment pour mieux atteindre les groupes de personnes réticentes et les jeunes. Des patients, en Wallonie, nous font d’ailleurs savoir qu’ils attendent que leur médecin traitant soit autorisé à vacciner en cabinet. Bruxelles a avancé au 19 juillet cette autorisation dans le but de tenter de rattraper son retard de vaccination sur les autres Régions.
Les médecins de Wallonie sont-ils prêts à prendre la relève des centres de vaccination?
Vous savez, nous ne manquons pas de travail et nous ne sommes pas demandeurs de prestations supplémentaires! Mais nous constatons que de nombreuses personnes échappent encore à la vaccination de masse offerte par la communauté. Elles prennent ainsi le risque, en cas de contamination, de subir de graves complications respiratoires et autres. Notre but est qu’un maximum de nos patients soient protégés. J’ai perdu plusieurs des miens, décédés du coronavirus. Il est prévu, en Wallonie, de maintenir des centres de vaccination pour accueillir des personnes qui se décideraient finalement à se faire vacciner et des patients âgés ou immunodéprimés qui seraient appelés à recevoir une troisième dose de vaccin. Pourtant, les médecins généralistes pourraient très bien vacciner eux-mêmes ces sous-groupes dans leur cabinet. Par ailleurs, cet automne, quand une partie de nos patients viendront se faire vacciner contre la grippe, nous pourrions leur proposer de recevoir en même temps une dose anti-Covid.
Vous exercez en Wallonie. Comment vos patients encore hésitants justifient-ils leurs réticences à se faire vacciner?
Les vrais militants antivax sont très minoritaires. En revanche, je constate une perte de confiance de certains de mes patients à l’égard des autorités à la suite du flot d’affirmations entendues et leur contraire. Ils sont perdus, ne savent plus à quel saint se vouer. Ils sont devenus méfiants après avoir entendu les médias évoquer les quelques incidents liés aux vaccins. D’autres sont sous l’influence des réseaux sociaux qui sèment le doute. Réflexion que j’ai souvent entendue: « Dans les centres de vaccination, on ne sait pas vraiment ce qu’on vous injecte et qui vous l’injecte ». Je tente de les rassurer, de leur expliquer que les seringues sont toutes pareilles, que la campagne de vaccination permet de limiter la casse dans les hôpitaux où se retrouvent les personnes atteintes par le virus. La vaccination saisonnière contre la grippe donne lieu à des attitudes similaires: les très rares patients qui ont eu une réaction indésirable après l’injection vous reparlent de leur mésaventure pendant vingt ans, alors que la masse de ceux qui chaque année sont vaccinés sans souci ne pensent plus du tout à cette formalité après la piqûre.
Pourquoi les autorités n’ont-elles encore donné aucune consigne à propos de la gratuité de la vaccination en cabinet?
Ce grand flou est lié au remboursement des soins de santé en cabinet, qui dépend du fédéral, alors que la vaccination préventive relève de l’échelon régional. Un patient vacciné par son médecin traitant reçoit une attestation de soins donnés et l’acte est remboursé par l’Inami, budget fédéral, tandis que les centres de vaccination dépendent en partie des Régions. La question de la gratuité renvoie donc à l’obstacle de la répartition des compétences entre niveaux de pouvoir. L’Etat fédéral et les Régions doivent se mettre d’accord sur qui paie quoi dans le mécanisme. Vacciner en cabinet est un travail à la fois médical, de surveillance et administratif qui prend du temps et doit donc être rémunéré. Nous devons recevoir les produits, injecter la dose, nous assurer que le patient vacciné reste au moins quinze minutes en salle d’attente, encoder la date et le type de vaccin administré, le numéro du lot… Le médecin traitant fait payer la consultation, mais les soins de première ligne restent tout de même très accessibles en Belgique, grâce aux remboursements via la mutuelle, aux tarifs préférentiels accordés aux ménages à revenus modestes…
Sarah De Pril (Aviq): « Des centres de vaccination auront encore leur utilité après la rentrée »
La vaccination de masse s’achève. Néanmoins, seize centres de vaccination resteront ouverts après l’été en Wallonie. Cela permettra d’administrer des deuxièmes doses, voire de potentielles troisièmes, explique Sarah De Pril, Community Manager à l’ Aviq, en charge de la campagne wallonne de vaccination. Les généralistes pourront-ils bientôt prendre la relève? Aucune décision n’a encore été prise, reconnaît-elle.
La plupart des centres de vaccination de Wallonie fermeront leurs portes d’ici au 31 août. Quel avenir pour les autres?
Les antennes de proximité wallonnes ont déjà fermé et certains grands centres de vaccination font de même ces jours-ci. La plupart auront cessé de fonctionner d’ici à la fin août. Certains centres de vaccination comme Mons Expo ou Ciney Expo devront fermer avant la rentrée pour pouvoir reprendre leurs activités événementielles. D’autres centres ne laisseront en place que quelques lignes de vaccination sur les huit ou dix qu’ils comptaient encore en août. La campagne de vaccination de masse s’achève. En Wallonie, plus de 83% de la population âgée de 18 ans ou plus ont reçu une première dose de vaccin et 75% des 18 ans et plus bénéficient désormais d’une vaccination complète. Seize centres resteront toutefois ouverts en septembre et en octobre. Des vaccinés y recevront leur deuxième dose et des hésitants pourront s’y rendre s’ils décident de passer à l’acte après l’été. Les centres maintenus en place pourront aussi accueillir les vaccinés appelés à recevoir une très probable troisième dose de vaccin. Il s’agit de personnes âgées et de celles dont le système immunitaire est déficient. En septembre, nous aurons une idée précise de la demande de première, deuxième et éventuelle troisième dose.
Nous demanderons l’aide des médecins traitants, mais l’intention n’est pas de reporter sur les cabinets toute la charge de la vaccination.
En Wallonie, les autorités demandent aux médecins de convaincre leurs patients de se faire vacciner, tout en interdisant jusqu’ici la vaccination en cabinet. Pourquoi ce message contradictoire?
Personne n’interdit aux médecins d’administrer des vaccins. Certains ont d’ailleurs vacciné des personnes alitées et incapables de se déplacer jusqu’à un centre. Si la campagne de vaccination a été limitée aux centres, c’est surtout pour des raisons d’ordre logistique. Il aurait été très compliqué de gérer le ravitaillement en vaccins des généralistes, d’autant qu’il faut respecter jusqu’au bout la chaîne du froid. Par ailleurs, le message officiel n’est pas de demander aux médecins de faire pression sur leurs patients pour qu’ils se fassent vacciner. L’idée est plutôt qu’ils discutent avec eux, leur exposent les risques qu’ils encourent en fonction de leur état de santé.
Quand les médecins pourront-ils prendre la relève des centres de vaccination?
Aucune décision n’a encore été prise à ce sujet. A terme, nous demanderons leur aide et celle de la médecine du travail, mais l’intention n’est pas de reporter toute la charge de la vaccination sur les médecins. Nous travaillerons ensemble, puisque la grande majorité des centres de vaccination va fermer ses portes ces prochaines semaines. Ceux qui resteront ouverts accueilleront aussi les personnes qui ne veulent pas payer le prix d’une consultation en cabinet.
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