Que sont ces cellules immortelles issues d’un avortement des années 1970?
Cela n’a rien d’un secret: dans des milliers de laboratoires de recherche biomédicale et d’usines pharmaceutiques dans le monde, des cellules dérivées d’un foetus avorté il y a des décennies sont utilisées pour développer des traitements et des vaccins.
Mais régulièrement aux Etats-Unis, des personnalités conservatrices et anti-avortement protestent pour des raisons éthiques contre le recours à ces cellules, comme début octobre concernant un traitement contre le Covid-19 administré à Donald Trump, fabriqué par la société Regeneron.
« Cela devient pénible », dit à l’AFP le professeur Andrea Gambotto, qui utilise depuis 25 ans ces cellules, nommées HEK 293, dans son laboratoire de recherche sur les vaccins à l’université de Pittsburgh.
« Ce serait un crime de ne pas les utiliser », fait-il valoir. « Elles n’ont jamais fait de mal à personne. Les cellules d’un embryon mort ont été utilisées pour la recherche au lieu d’être jetées ».
Leur avantage, explique le chercheur, est que ces cellules, rendues « immortelles » au début des années 1970, sont standards dans l’industrie pharmaceutique. Si lui-même réussit un jour à élaborer un vaccin contre le Covid-19 dans son laboratoire, n’importe quelle usine pourra le produire à grande échelle, grâce aux HEK 293.
« Je peux aller en Inde et faire un vaccin pour le monde entier », dit-il.
A ceux qui veulent développer une alternative, il demande à quoi servirait de « revenir 30 ans en arrière pour réinventer la roue ».
– Cellules incontournables –
Les cellules originales ont été transformées et « immortalisées » par un jeune post-doctorant canadien du nom de Frank Graham, dans le laboratoire du professeur Alex van der Eb à Leiden aux Pays-Bas en janvier 1973.
Normalement, une cellule a un nombre fini de divisions, mais Frank Graham est parvenu à modifier ces cellules pour qu’elles se divisent à l’infini.
C’était sa 293e expérience, d’où le nom de la lignée (HEK signifie « cellules de rein embryonnaires humaines »).
« Il n’était pas rare d’utiliser des tissus foetaux à cette époque », raconte à l’AFP Frank Graham, professeur émérite de l’université canadienne McMaster, aujourd’hui retraité en Italie. « L’avortement était illégal aux Pays-Bas jusqu’en 1984 sauf pour sauver la vie de la mère. J’ai donc toujours supposé que les cellules utilisées dans le labo de Leiden étaient issues d’un avortement thérapeutique ».
La date souvent citée dans la littérature scientifique est un avortement en 1972.
Les développeurs de vaccins sont friands des HEK 293 car elles sont malléables et transformables en mini-usines de virus. Pour cultiver des virus, il faut toujours une cellule hôte: cela peut être un oeuf de poule, mais des cellules humaines sont préférables en médecine humaine.
Pourquoi produire des virus? Car une méthode de vaccin consiste à injecter chez une personne un virus affaibli et modifié (de la rougeole, du rhume…): cela s’appelle un « vecteur viral ».
Dans le cas du Covid-19, plusieurs laboratoires font fabriquer par des cellules HEK 293 des virus mutants et inoffensifs, souvent des adénovirus, et qui, à leur surface, ont la pointe typique du coronavirus. Quand on injecte l’adénovirus ainsi modifié chez une personne, le système immunitaire produit des anticorps, assurant la protection contre l’éventuelle future invasion du vrai coronavirus.
Trois projets avancés utilisent des lignées HEK 293 (AstraZeneca/Oxford; CanSino; Institut Gamaleya). Johnson & Johnson utilise l’autre grande lignée exploitée dans le monde (PER.C6).
D’autres sociétés (Moderna, Pfizer, Regeneron…) s’en servent pour fabriquer de « faux coronavirus » afin de tester leurs projets de vaccin ou de traitement.
Auparavant, des vaccins contre Ebola et la tuberculose, et des thérapies géniques, ont aussi été créés avec ces cellules, dont une centaine de lignées filles existeraient aujourd’hui, selon Frank Graham.
« Je ressens une grande satisfaction de voir que les cellules que j’ai créées il y a près de 50 ans ont joué un rôle majeur dans de nombreuses avancées de recherche biomédicale », dit le professeur, qui préfère ne pas commenter les controverses périodiques sur leur origine.
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