Quand un laboratoire fait plonger les comptes des hôpitaux bruxellois (info Le Vif)
Le Laboratoire hospitalier universitaire de Bruxelles (LHUB) est exsangue. Ce qui se répercute sur les cinq hôpitaux partenaires qui l’ont fondé. Les médecins de Brugmann veulent débrancher la prise. La tutelle PS souhaite privatiser le labo.
C’est un mastodonte peu connu du grand public. Avec plus de 18 millions d’analyses réalisées par an, le Laboratoire hospitalier universitaire de Bruxelles (LHUB) est un labo de pointe au cœur de la capitale européenne. Il figure dans le Top 5 des plus grands labos hospitaliers d’Europe. Laboratoire commun au réseau hospitalier Iris à Bruxelles, les sept services du LHUB réalisent toutes sortes d’analyses médicales de pointe pour les cinq institutions qui se sont associées: le CHU Brugmann, le CHU Saint-Pierre, l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola, l’institut Jules Bordet et l’hôpital Erasme.
Association de fait
Depuis plusieurs années, ce mastodonte sans la moindre personnalité juridique – c’est une simple association de fait – pose problème à plusieurs de ses membres fondateurs. Surtout depuis qu’Erasme est entré dans la danse. Ainsi, le contexte financier du CHU Brugmann, qui célèbre son centenaire cette année, est particulièrement difficile. Au printemps 2022 déjà, son conseil médical, qui représente tous les médecins de l’hôpital, tirait la sonnette d’alarme dans un courrier à la directrice générale de l’institution: «On demande aux médecins de faire des efforts en travaillant plus afin de redresser le budget de l’hôpital. Un des services clés dans tout hôpital, qui est source de revenus majeure, est le laboratoire d’analyses médicales. Depuis 2012, nous sommes en association avec les hôpitaux du réseau Iris (sous forme d’Iris-lab) et en 2015, l’hôpital Erasme nous a rejoints dans ce qu’on appelle actuellement le LHUB. L’ objectif annoncé de cette mutualisation des laboratoires était de nous permettre de dégager plus de bénéfices avec un service de qualité au moins égal à ce que nous avions.» Mais ce n’est pas du tout le cas: la marge du laboratoire d’analyses de Brugmann «ne fait que se dégrader» depuis 2017, constatent les représentants du corps médical (voir le graphique ci-dessous). Et ce serait pareil pour les autres labos partenaires du LHUB, qui restent pudiquement discrets sur leurs marges…
Erasme endetté
En tout cas, les faits sont là: en 2022, le LHUB n’a toujours pas réalisé les économies d’échelle promises à sa création dix ans plus tôt. Entre partenaires, le torchon brûle: «Erasme, depuis plusieurs années, accumule des dettes envers Brugmann et Saint-Pierre dans le LHUB: jusqu’à cinq millions d’euros par an!», pointe une note stratégique du conseil médical de Brugmann sur l’avenir du LHUB. «A plusieurs reprises, nous avons dû saisir formellement nos conseils d’administration et menacer d’un procès pour que cet argent soit rendu. Comment avoir confiance dans de tels partenaires?» D’autant que le LHUB ne lâche rien: «La voracité financière du LHUB n’a pas de limite», poursuit la note. «Contrairement aux accords historiques, le LHUB ne cesse de réclamer sa quote-part de l’exonération de précompte des chercheurs (NDLR: un avantage fiscal) de Brugmann et Saint-Pierre. Pour en faire quoi? Puisque le labo est censé travailler pour les hôpitaux et leur apporter une marge, pourquoi se battre pour nous retirer ce financement?»
La fête a coûté 61 095 euros, réglés à une société spécialisée dans l’événementiel.
Coaching à 2 900 euros par jour
Et ne parlons pas de certaines dépenses somptuaires engagées par l’ancien directeur du LHUB, «exfiltré» de l’institution à l’automne 2021. La soirée de «kick-off» du labo, en janvier 2018, sorte de fête annuelle du personnel rassemblant une bonne centaine de personnes, a coûté 61 095 euros, réglés à une société spécialisée dans l’événementiel. Deux ans plus tard, des danseuses déguisées en policières «pimentaient» la soirée. On trouve aussi des frais de coaching astronomiques pour le management du LHUB facturés jusqu’à 2 900 euros la journée par une société parisienne, des séminaires résidentiels pour le comité de direction du laboratoire dans des châteaux à Genval et près d’Anvers, à Durbuy ou La Hulpe. Mais aussi des marchés saucissonnés pour contourner la législation sur les marchés publics…
Récupérer la vache à lait
Au printemps 2022, les médecins de Brugmann ont voté à près de 96% contre la poursuite de la collaboration avec le LHUB. Ils réclament l’autonomie financière de leur laboratoire d’analyses médicales, vache à lait théorique de leur institution. D’après une analyse financière, cette autonomie rapporterait un million d’euros par an à Brugmann. Côté politique, c’est l’inverse: on veut privatiser le LHUB en lui octroyant une personnalité juridique, pour l’autonomiser.
En novembre 2021, une nouvelle directrice est entrée en fonction pour mettre ce plan en œuvre: Anne Janssen, l’épouse d’un certain Renaud Witmeur, directeur général de l’Hôpital universitaire de Bruxelles (HUB) qui regroupe Bordet, Erasme et l’hôpital Reine Fabiola. Trois hôpitaux membres du LHUB… Witmeur, ex-président du réseau hospitalier bruxellois Iris (2017-2022), ex-Sogepa (2013-2022), qui fut le remplaçant intérimaire de Stéphane Moreau chez Nethys (2019-2022), est un proche du bourgmestre PS de Bruxelles Philippe Close.
Rejet du plan Janssen
Il y a trois semaines, Anne Janssen a présenté son plan de privatisation du LHUB devant le conseil médical de Brugmann. Qui n’ en veut pas. Le procès-verbal de la réunion est limpide: les membres du conseil médical ont décidé, «de manière unanime, le rejet du plan présenté par Mme Janssen. Les pertes financières liées au LHUB ainsi que l’impact de la perte du contrôle des activités du laboratoire sont inacceptables et vont à l’encontre de l’intérêt de notre institution. […] Si un passage en force sans avis du conseil médical est le plan, des actions juridiques suivront.» Entendez: un recours au Conseil d’Etat sera introduit contre l’autonomisation juridique du LHUB.
On le voit, l’ambiance est tendue entre les médecins de Brugmann et la tutelle socialiste. Le 6 février, le conseil médical a invité Philippe Close et Laurette Onkelinx (présidente du CA de Brugmann). Un premier contact diplomatique pour tenter de désamorcer la bombe? On ne sait pas si les positions ont bougé…
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