Pourquoi « tout le monde » est malade
Depuis quelques semaines, les médecins généralistes sont débordés, et le nombre de travailleurs malades semble exploser. Comment se fait-il qu’autant de gens reniflent et toussent alors que le pic épidémique de la grippe n’est pas encore atteint? Le point avec Yves Coppieters, professeur en épidémiologie à l’ULB.
Pourquoi autant de gens sont-ils malades ?
Yves Coppieters: Il y a un ensemble de virus respiratoires hivernaux qui circulent et ils circulent d’autant mieux qu’il fait froid. Cependant, ce n’est pas tant une question de circulation, que de sensibilité de nous-mêmes, les hôtes des virus. Lorsqu’il fait froid, fatalement, nous sommes plus fragiles sur le plan immunitaire, nos muqueuses respiratoires sont fragilisées par le froid, mais aussi par le tabagisme et nos modes de vie. Dans ces conditions de froid, les virus se multiplient bien parce qu’il y a beaucoup d’hôtes : beaucoup de gens sont malades, et par une fragilité liée à la saison, fatalement ces virus ont plus de facilité à nous contaminer les uns et les autres. Mais rappelons qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de surmortalité.
Certains virus circulent-ils plus que d’autres?
Pour le Covid, même s’il y a un léger rebond, les chiffres sont assez stables, donc ce n’est pas là le facteur explicatif. Ce n’est pas non plus le virus influenza de la grippe qui explique cette hausse: les statistiques des maisons de repos montrent que le pic épidémique de la grippe n’est pas du tout atteint, et que les chiffres restent assez stables de semaine et semaine. Le pic épidémique de la grippe ne sera sans doute pas atteint avant fin janvier ou février 2023. Pour le RSV (Virus Respiratoire Syncytial) ou virus bronchiolite, le pic épidémique a été dépassé mi-octobre. Cependant, ces infections-là touchent essentiellement, pour les formes graves, les très jeunes enfants. L’adulte peut aussi être infecté par le RSV, mais sera généralement moins gravement atteint.
C’est donc un ensemble de virus qui explique que les gens sont malades. La seule chose que l’on voit augmenter ce sont les gens qui vont chez les généralistes pour syndromes grippaux. Cela ne signifie pas qu’ils ont la grippe, mais qu’ils souffrent de symptômes de grippe tels que fièvre, courbatures, nez qui coule, etc. Ce n’est donc ni la grippe saisonnière, ni le Covid, ni, à l’échelle de la population, le RSV. Ce sont d’autres virus qu’on ne va pas identifier parce qu’ils sont là chaque année. Mais peut-être que nous sommes un peu fragiles cette année-ci, peut-être parce qu’il fait très froid, c’est clair, le froid favorise les virus respiratoires.
Les mesures sanitaires anti-Covid de ces dernières années ont-elles joué un rôle?
Nous nous sommes très bien protégés ces dernières années, avec des masques, les mesures barrière, etc. Il est possible que nous ayons un petit déficit immunitaire sur certains virus qui circulent chaque hiver. Chaque année on se réimmunise, mais il est possible que sur les deux dernières années nous nous soyons mieux protégés et que notre système immunitaire ait été moins réactualisé.
Cela signifie-t-il que les mesures sanitaires ont impacté notre immunité ?
Non, elles n’impactent pas la qualité de notre immunité, celle-ci reste très bonne. La manière dont notre immunité réagit est proportionnelle aux microbes que l’on rencontre. Si vous ne rencontrez pas de microbes, fatalement, vous n’allez pas développer d’anticorps contre les microbes. Si vous les rencontrez régulièrement, c’est autre chose, et c’est là l’hypothèse pour le Covid-19 : depuis deux ans, nous avons tellement rencontré toutes ces souches circulantes que la population a développé une immunité de base « suffisante » pour que le Covid ne puisse pas avoir des pics épidémiques comme c’était le cas antérieurement. Il y a des barrières d’immunité dans la population. Il est possible que ces dernières années, par rapport aux virus de base, ces barrières d’immunité aient été moins construites, car fatalement nous portions le masque, nous restions à la maison, nous étions moins en contact avec des microbes des autres, et l’attention accordée à l’hygiène des mains était élevée. Cependant, il s’agit là d’une hypothèse.
Les hôpitaux risquent-ils d’être saturés ?
Ce n’est pas qu’ils risquent la saturation, ils sont déjà saturés. Non à cause du Covid, mais à cause des infections respiratoires qui s’ajoutent aux pathologies de base. On parle beaucoup de saturation des hôpitaux, mais c’est un phénomène que l’on connaît depuis toujours en Belgique en hiver, surtout pour les services de pédiatrie lorsque la bronchiolite arrive et lorsque la grippe saisonnière sera à son pic en janvier-févier. C’est un phénomène que l’on connaît depuis longtemps, mais la crise du Covid a aggravé la situation: il y a moins de personnel et de lits disponibles, la crise du Covid a fait en sorte que l’offre s’est réduite pour toute une série de raisons structurelles et politiques et donc fatalement, la pression hivernale sur les hôpitaux est plus forte.
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