Avant 3 ans, peut-être 4, existe une «amnésie infantile», un phénomène lié à la neurogenèse qui affecte les souvenirs et la remémoration.

Pourquoi ne se souvient-on pas de sa petite enfance? Tout savoir sur l’«amnésie infantile»

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Bonne question: pourquoi ne conserve-t-on que de vagues souvenirs de sa petite enfance?

Comment se fait-il qu’on se rappelle à peine le nom de son institutrice de première maternelle? Avant 3 ans, peut-être 4 (l’âge du premier souvenir est encore débattu par les chercheurs), existe une «amnésie infantile», un phénomène lié à la neurogenèse, la capacité à produire de nouveaux neurones, à partir de cellules souches du cerveau. Ce phénomène affecte les souvenirs et la remémoration. Le petit humain ne vit évidemment pas dans un éternel présent. A 2 ans, il peut se souvenir d’une personne rencontrée six mois plus tôt ou se remémorer un événement anodin survenu il y a trois mois.

Pourquoi, dès lors, nos souvenirs les plus anciens disparaissent-ils? Entre 2 et 3 ans, se produit une transformation cérébrale majeure: un développement important et rapide de neurones. Ces nouvelles cellules s’intègrent dans le circuit de l’hippocampe, siège de la mémoire et de l’apprentissage. Elles créent alors des interférences, polluant et affaiblissant ce circuit. Certaines aires du cerveau perdent ainsi plus de la moitié de leurs neurones, déstabilisant les souvenirs fabriqués durant les premières années de vie. Une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Toronto, au Canada, en offre la démonstration. Ils ont constaté que des souriceaux placés dans un labyrinthe gardaient en mémoire le chemin à parcourir durant 24 heures. Puis, quand ils bloquaient artificiellement leur neurogenèse, ils s’en souvenaient durant plusieurs jours. A l’inverse, lorsqu’elles provoquaient la formation de néoneurones, les jeunes souris oubliaient comment sortir du labyrinthe.

Après l’âge de 3 voire 4 ans, le cerveau est apte à encoder des souvenirs. Le stockage se fait grâce à la mise en réseaux des neurones qui ont été activés, ensemble, par les données à mémoriser. Mais le premier encodage demeure instable. Pour laisser une trace mnésique, ces réseaux doivent être consolidés. Une fois le souvenir encodé, sa trace mnésique migre de l’hippocampe vers le cortex. Cette migration s’accompagne d’une forme d’oubli: les informations stockées dans la matière grise sont moins précises.

Si les souvenirs ne sont pas inscrits dans la mémoire à long terme des petits, cela ne signifie pas qu’un épisode émotif ne sera pas conservé. C’est là qu’entre en jeu une autre mémoire, qui opère à notre insu: la mémoire implicite, inconsciente, plus solide et robuste que la mémoire explicite, consciente. Très liée aux émotions et aux perceptions, elle peut bloquer ou ouvrir l’accès à certains événements du passé. Un élément du monde intérieur (l’humeur, le plaisir, la souffrance…) rencontre un élément du monde extérieur (l’autre, une odeur, une chanson…): jaillit alors un souvenir. Difficile, cependant, de percevoir la part d’imaginaire et la part de réel dans un souvenir d’enfance. Car toute reviviscence est une modification, une remise à jour, éventuellement enrichie, et se remodèle selon ses connaissances nouvelles, son état d’esprit, etc. Un exemple? Les enfants d’une même fratrie qui, adultes, se remémorent leurs souvenirs et observent, avec humour, émoi ou aigreur, que le même événement familial fait l’objet de récits différents.

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