
Pourquoi les seniors consomment trop de médicaments: «J’étais dopé aux antibiotiques»
Les seniors consomment trop de médicaments, dont certains sont inadaptés. A contrario, ils ne se rendent pas assez souvent chez le dentiste, notamment en raison de problèmes d’accessibilité à certains soins.
Pour les seniors, le problème de la mobilité est double: leur état de santé ne leur permet pas toujours de se déplacer aisément, ce qui peut les freiner dans la prise de rendez-vous chez un soignant (médecin généraliste, dentiste, kinésithérapeute, etc.), et ils n’ont pas forcément accès aux moyens de transport, surtout dans les zones les plus rurales. Nombreux sont ceux qui doivent compter sur des aidants proches pour les véhiculer ou les accompagner à leurs consultations.
Plusieurs associations ont déjà attiré l’attention sur la disponibilité insuffisante des transports en commun, leur inadéquation avec la localisation des prestataires de soins et leur inadaptation aux personnes âgées en perte d’autonomie. Pour la Mutualité chrétienne (MC), qui insiste sur l’accessibilité dans son rapport, il faut encourager les initiatives qui s’inscrivent dans une démarche d’outreaching, laquelle consiste à aller à la rencontre des populations qui ont un accès plus limité ou rendu difficile aux soins de santé.
Fracture numérique
Les personnes âgées sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à faire appel à un infirmier ou une infirmière à domicile: un cinquième des affiliés a profité de cette possibilité en 2023, davantage les femmes que les hommes. Les Wallons (20,3%) et les Flamands (20,9%) ont reçu plus de soins infirmiers à domicile que les Bruxellois (11,5%), pour qui les structures médicales sont plus proches et les transports en commun plus nombreux.
Aux difficultés liées à la mobilité s’ajoute celle de la fracture numérique.
A ces difficultés liées à la mobilité s’ajoute celle de la fracture numérique: bien qu’elle semble se résorber, les aînés restent les plus concernés. D’autant que la crise sanitaire a fortement accéléré l’usage des technologies numériques dans le domaine médical, notamment pour la prise de rendez-vous via des agendas en ligne.
Enfin, le tournant qu’a pris le secteur en accélérant ces dernières années le regroupement hospitalier favorise-t-il ou non l’accès aux soins pour tous? Pour Jean Macq, professeur à l’UCLouvain, la fermeture des petits hôpitaux au profit des mégastructures s’est faite en tenant compte de la nécessité de maintenir un service de proximité et des services d’urgence qui restent accessibles dans la demi-heure.
Lire aussi | Soins dentaires : comment être bien remboursé?
Henri, 94 ans: «J’étais dopé aux antibiotiques»
Une dizaine le matin, deux le soir au repas et un somnifère en début de soirée. Un cocktail de médicaments qu’Henri, 94 ans, ingurgite chaque jour pour traiter ses problèmes de tension, de diabète de type 2, de thyroïde et d’arythmie.
Il y a encore quelques mois, le nonagénaire vivait seul dans sa maison du sud de Bruxelles. Hospitalisé pendant six semaines en raison d’un grave problème pulmonaire, il n’est aujourd’hui plus capable de vivre en autonomie. «Lorsque j’étais à l’hôpital, j’ai été transféré d’un service à l’autre et j’ai reçu énormément d’antibiotiques. J’avais l’impression d’être dopé aux médicaments. J’ai commencé à avoir des hallucinations, sans doute à cause de tous ces cachets que je prenais.» A sa sortie, Henri a rejoint un centre de revalidation, puis il est entré dans une première maison de repos avant de déménager dans celle où il réside actuellement.
«L’information à propos de mes traitements a toujours bien circulé entre les différentes structures. Et avec mon médecin, nous avons convenu qu’il vienne me voir une fois par mois. Il examine mes petits bobos et adapte la médication en fonction de ce qu’il constate. Lors de sa dernière visite, il n’a rien modifié.» Combien débourse-t-il chaque mois pour ses médicaments? Il l’ignore. Il sait uniquement qu’ils sont «très bien remboursés».
Henri a entièrement confiance en son médecin de famille qui le suit depuis plus de 20 ans. Mais tous les résidents de sa maison de repos n’ont pas la chance de voir le généraliste aussi souvent. Certains viennent régulièrement, d’autres moins. L’un ou l’autre ne se montrent presque jamais et sont peu joignables.
En plus de son médecin, Henri consulte aussi une kinésithérapeute deux fois par semaine, plus une séance collective le vendredi. Le dentiste, en revanche, il n’en a pas vu la blouse depuis au moins quatre ans. Il estime que pour «les trois petites dents qu’il lui reste», cela ne vaut plus la peine. La praticienne chez qui il se rendait autrefois a cessé son activité et comme un dentiste «ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval», il n’a plus reçu de soins bucco-dentaires.
L’impasse sur la visite chez le dentiste n’est pas propre aux seniors. C’est une mauvaise habitude que prennent de plus en plus de Belges puisque 4% reportent leur rendez-vous, faute de moyens. Mais le rapport de la Mutualité chrétienne (MC) montre que cette tendance est plus marquée encore chez les seniors. En 2023, à peine la moitié d’entre eux sont allés à un rendez-vous chez le dentiste. «C’est préoccupant, compte tenu de l’importance d’une bonne hygiène bucco-dentaire et de son lien avec la santé générale et le bien-être des personnes âgées», évalue Elise Derroitte, vice-présidente dela MC. Certaines maisons de repos ont pris le problème à bras-le-corps en nommant un coordinateur de soins bucco-dentaires, à l’image des médecins coordinateurs.
Dans les recommandations qu’elle formule, la mutualité plaide pour un meilleur développement d’équipes et d’unités mobiles dans les maisons de repos et une meilleure nomenclature pour les hygiénistes dentaires, dont la mission est d’assurer une meilleure prévention des maladies bucco-dentaires.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici