A Bruxelles comme en Wallonie, l’heure est aux mégahôpitaux. Quelles conséquences pour les patients?
Dès 2026, les hôpitaux publics bruxellois Iris Sud et le CHU Saint-Pierre ne formeront qu’une seule entité. En Wallonie, une demi-douzaine de mégahôpitaux sont en construction ou en projet. Avec quelles conséquences sur les patients? Et sur les deniers publics?
A Gilly, au nord ouest de Charleroi, de grands travaux se terminent. Posée sur une butte surplombant le ring extérieur de la ville, une colossale structure se déploie sur près de 250 mètres et sept étages. C’est le Grand Hôpital de Charleroi. Le GHdC, comme on l’appelle, s’apprête à remplacer quatre hôpitaux de la région. Il entre aujourd’hui progressivement en activité. Avec 145.000 m2, il abritera 1.000 lits (800 classiques et 200 de jour) et près de 4.500 infirmières, médecins, pharmaciens, secrétaires. Une miniville!
Il n’est pas un cas isolé. En Wallonie, une vague de construction d’hôpitaux de nouvelle génération est en train de déferler. Certains existent déjà comme l’Hôpital civil Marie Curie à Lodelinsart (85.000 m²) ou le CHC MontLégia à Liège (113.000 m²). D’autres ouvriront bientôt leurs portes comme le CHwapi, à Tournai (150.000 m²). Les derniers sont en projet. La clinique Saint-Pierre d’Ottignies vise un déménagement vers Wavre (82.000 m²). Au Luxembourg, le réseau Vivalia espère ériger un CHR Centre-Sud, à Houdemont (90.000 m²). Dans le Hainaut, le réseau Helora entend financer cinq hôpitaux neufs pour un total de 220.000 m²…
Autant de chantiers, de surfaces, d’investissements, cela a de quoi donner le tournis. Surtout au regard de deux facteurs. Un: la Région wallonne, qui a désormais le financement des constructions hospitalières dans ses compétences, traîne une dette de 36,5 milliards d’euros (fin 2023), selon les statistiques de la Banque nationale. Deux: les hôpitaux de l’ensemble du pays ont plongé dans le rouge en 2022 sur leurs activités courantes (-181 millions d’euros), selon la banque Belfius. Alors, cette lame édificatrice est-elle judicieuse?
«Après 30 ans, un hôpital ne répond plus aux pratiques médicales qui évoluent sans cesse.»
A-t-on raison d’investir dans les mégahôpitaux?
La réponse semble être oui. En Wallonie, la plupart des hôpitaux datent des Trente Glorieuses (1950-1970). «Même si des sites ont été modernisés, beaucoup de bâtiments sont vétustes, diagnostique Marie-Pierre Tourneur, architecte en génie hospitalier au réseau Helora et professeure à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Dans certains cas, les normes de sécurité ne sont respectées que de justesse. Il n’y a pas si longtemps existaient encore des cliniques avec des planchers de niveaux différents. En Flandre, une modernisation du même type a aussi été engagée, mais beaucoup plus tôt.»
Le constat est partagé par Jean Hermesse, ancien patron de la Mutualité chrétienne et fin connaisseur des politiques de santé. «Après 30 ans, un hôpital ne répond plus aux pratiques médicales qui évoluent sans cesse. Les attentes des patients changent elles aussi. Prenez les chambres à un lit. Elles sont devenues incontournables. Tout le monde veut retrouver le même confort à l’hôpital qu’à la maison.»
Si un renouvellement du parc est nécessaire, bâtir du neuf est quasi toujours préféré à la rénovation, jugée trop complexe. Un exemple: le site André Vésale à Montigny-le-Tilleul. Trois buildings s’y côtoient: l’ancien «Rayon de Soleil» (vide), une rotonde administrative et le CHU Vésale (351 lits). «Nous avons mené des études pour comparer les coûts, commente Frédéric Dubois, directeur de communication du réseau HUmani. Une démolition-reconstruction reviendrait moins cher. C’est pourquoi le désamiantage puis la destruction du Rayon de Soleil a été programmée.»
Jusqu’à présent, l’engagement wallon est de trois milliards d’euros pour la modernisation des hôpitaux.
Qui va financer?
La Région wallonne est à la manœuvre en ce domaine. «Elle a décidé de se doter de ses propres règles via un décret et un arrêté d’application, datant tous deux de 2017», précise Lara Kotlar, la porte-parole de l’Aviq, l’Agence wallonne pour la qualité de vie. En très résumé? Au lieu d’octroyer des subsides directs lors des travaux comme le faisait le système précédent, la Wallonie intervient dans le prix d’hébergement. Ses interventions sont liées au nombre de lits occupés. Si des lits restent vides, ils ne sont pas couverts. L’argent est versé lorsque les nouveaux locaux entrent en opération. Les versements s’étalent alors pendant 25 ans.
Ce mécanisme doit normalement permettre de mieux utiliser les derniers publics. Pour les gestionnaires d’hôpitaux, cela oblige à mener des calculs très précis pour déterminer le nombre de lits qu’un nouveau bâtiment peut contenir (et être sûr de bénéficier du soutien public). «Cela demande des mois et des années d’études et d’ajustements, témoigne Gauthier Saelens, le directeur général du GHdC. En plus, il y a un transfert de risques. Car les hôpitaux doivent avancer les fonds pour démarrer les chantiers.» Pour cela, pas de secret: tous passent par des emprunts. Le montage est souvent identique: la BEI (Banque européenne d’investissement) pour une moitié et un consortium de banques pour l’autre.
Combien cela coûtera-t-il?
Une fois réalisé le calcul des lits et des surfaces, les demandes d’interventions sont soumises à l’Aviq pour examen, puis au gouvernement wallon pour validation. Celui-ci octroie alors des «autorisations de réalisation de travaux», comme le précise le cabinet de la ministre wallonne de la Santé, Christie Morreale (PS). En clair: des promesses d’intervention. A ce jour, deux plans d’autorisations ont été approuvés. L’un de 2,3 milliards d’euros en 2019 par le gouvernement Borsus (MR-CDH). L’autre de 1,9 milliard, en avril dernier, par le gouvernement Di Rupo (PS-MR-Ecolo). Comme certaines demandes ont été retirées ou postposées, l’engagement régional, jusqu’à présent, n’est pas égal à la somme des deux enveloppes. Il s’élève à 3,078 milliards pour la période 2019-2028.
Ceci étant, cinq autres autorisations vont encore suivre. «Le dispositif vise la reconstruction de l’ensemble du parc hospitalier en 35 ans, soit en sept plans.» Est-ce soutenable pour la Région? Au cabinet Morreale, on rappelle que «le coût pour la Région, pour cette période 2019-2028, sera beaucoup plus faible, car lissé dans le temps». Mais quid à long terme? Réponse: «Le coût a été intégré dans la trajectoire wallonne (NDLR: des finances publiques). » Bref, l’effort sera dilué mais… à venir.
«Regrouper en un seul endroit toutes les expertises est devenu nécessaire dans la médecine d’aujourd’hui.»
Pourquoi construire si grand?
Du côté des responsables hospitaliers, on avance plusieurs raisons. Pour Gauthier Saelens (GhdC), «regrouper en un seul endroit toutes les expertises médicales est devenu nécessaire dans la médecine d’aujourd’hui. Si on veut une amélioration qualitative des soins, il faut passer par là. De même, une seule infrastructure génèrera des économies d’échelle par rapport à plusieurs entités dispersées.»
Ce regroupement est aussi induit par le politique. En 2019, une réforme fédérale a poussé les 103 hôpitaux généraux du pays à se regrouper en 25 réseaux: quatorze en Flandre, huit en Wallonie et trois à Bruxelles. Dans bon nombre de cas, les entités fusionnées en ont profité pour envisager des regroupements de sites.
Au total, les mégahôpitaux ne vont pas augmenter le nombre de lits. Au contraire, une (petite) rationalisation est attendue par rapport à la situation actuelle. Pour Jean Hermesse, «elle pourrait être plus importante, car la Belgique reste en surcapacité hospitalière. C’est le moment charnière pour le faire…»
Autre raison: s’adapter aux évolutions médicales. «L’hôpital doit faire face à une demande de soins qui se modifie avec, d’un côté, des séjours longs et complexes pour les personnes âgées, et de l’autre, des séjours courts pour les autres patients, précise France Riguelle, directrice des projets au sein du réseau Vivalia. En particulier, les soins ambulatoires (NDLR: ceux prodigués en une seule journée) sont en forte hausse. Cela signifie des chambres un peu plus petites et plus nombreuses.»
Enfin, les machines médicales nécessitent des locaux vastes et flexibles: résonance magnétique, tomographie (Pet-scan), coronarographie, robots opératoires, armoires à médicaments… «Ce besoin d’espace est surtout vrai pour les installations de production de froid, qui doivent les rafraîchir», ajoute Marie-Pierre Tourneur (Helora/ULB).
Pour Laurent Grisay, ingénieur civil architecte au bureau Archipelago, spécialisé entre autres dans la conception d’hôpitaux, plusieurs de ces constructions seront modulables. «Il est difficile de prédire comment les soins de santé évolueront sur le long terme. Par exemple, ces dernières années, la durée des séjours s’est raccourcie. C’est pourquoi il est important que ces nouveaux bâtiments puissent être reconvertis au besoin. En bureaux, maisons de repos… »
«Il est important que ces nouveaux bâtiments puissent être reconvertis au besoin.»
Quelles conséquences sur les soins?
Avec des bâtiments de 600 à 1.000 lits, peut-on encore parler de taille humaine? «Oui, si l’organisation est bien pensée, affirme France Riguelle (Vivalia). En réalité, dans ces nouveaux hôpitaux, les spécialités de soins sont réparties en pôles (NDLR: par exemple oncologie, cœur, mère-enfant, gériatrie, etc.). Cela signifie que chaque patient va à un endroit bien précis de l’hôpital et y reste jusqu’à la fin de ses soins. Donc, l’impression de gigantisme que l’on a de loin s’arrête une fois les portes franchies.»
Un autre bénéfice du site unique est d’éviter aux patients d’une clinique d’être transférés vers une autre pour y passer des examens. Cela étant, il n’est pas toujours question de centralisation complète. «En certains endroits, une répartition des soins se dessine, constate Laurent Grisay (Archipelago). D’un côté, des grands hôpitaux périphériques regroupent toutes les spécialités et technologies pour les soins aigus et, d’un autre côté, des polycliniques, plus petites et plus urbaines, sont créées ou maintenues pour couvrir les soins légers.»
Ces mégahôpitaux devraient aboutir à des économies d’échelle, des dépenses énergétiques mieux maitrisées et un regroupement de l’offre de soins. Le tout pour un coût – normalement – lié à l’activité réelle. En revanche, ils ne corrigeront pas tous les problèmes. Comme la concurrence entre les réseaux: certains, en particulier dans le Hainaut, ont des zones de patientèle qui se recoupent. Ou comme la logique productiviste: pour couvrir leurs fonctionnements, les hôpitaux belges ont plutôt intérêt à multiplier les actes et les admissions. Même les paquebots ne sont pas à l’abri des tempêtes.
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