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Pourquoi le rachitisme, «une maladie qu’on pensait disparue», refait surface en Belgique
Ces dernières années, les unités pédiatriques ont observé une légère recrudescence des cas de rachitisme carentiel. Les évolutions alimentaires, sociétales et culturelles concourent à la réapparition soudaine de cette maladie de la croissance et de l’ossification.
«Le retour de maladies de l’ère victorienne alerte les experts de la santé.» En février 2024, le Guardian s’alarmait de la recrudescence des cas de gale, de rougeole, de scorbut mais également de rachitisme sur le territoire britannique. Des pathologies historiquement associées à la période de la révolution industrielle, que le corps médical croyait définitivement éradiquées. Parmi ces «maladies oubliées», le rachitisme a connu une hausse particulièrement fulgurante outre-Manche. Selon les données du National Health Service (NHS), le nombre de cas est ainsi passé de moins de 100 par an en 2019 à plus de 580 en 2023, soit une augmentation de 380%.
Si, en Belgique, il n’existe pas de statistiques officielles répertoriant l’évolution de la maladie, plusieurs unités pédiatriques affirment avoir récemment diagnostiqué la pathologie chez des jeunes enfants. «J’entends parfois dire que le rachitisme n’existe plus, mais c’est tout à fait faux», tranche Philippe Lysy, chef de service de pédiatrie spécialisée aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Selon lui, environ cinq cas seraient diagnostiqués dans les grandes structures hospitalières chaque année. «On ne voit pas 30 cas par jour, loin s’en faut, mais on en observe quand même de plus en plus ces derniers temps, confirme Etienne Cavalier, chef de service du laboratoire de chimie clinique au CHU de Liège. Mais comme c’est une maladie qu’on pensait disparue, les médecins ne sont parfois pas formés à les diagnostiquer correctement.»
Déficience en vitamine D
Concrètement, le rachitisme est une pathologie du squelette de l’enfant en croissance, marquée par un défaut de minéralisation du tissu osseux. «L’os est plus mou, plus friable et entraîne parfois des déformations ou des déviations des membres généralement inférieurs (jambes arquées…), éclaire Philippe Lysy. Dans des cas beaucoup plus sévères, le rachitisme peut conduire à une déformation des côtes, du gril costal et même parfois des os du crâne. C’est ce qu’on appelle les craniotabès.»
La forme la plus courante de la pathologie est le rachitisme carentiel (appelé également rachitisme nutritionnel ou alimentaire), dû à une déficience en vitamine D. Mais plusieurs types de rachitisme génétique existent également, liés par exemple à des anomalies du métabolisme phosphocalcique. «Ce sont des cas beaucoup plus rares, mais qui peuvent être causés par une mutation du récepteur de la vitamine D ou une mutation dans la production de la vitamine D active», précise Etienne Cavalier.
«J’ai déjà vu des déviations sévères des jambes, avec un angle d’inclination jusqu’à 70 degrés.»
La faute aux écrans et la malbouffe?
Aujourd’hui, ce sont majoritairement des formes de rachitisme carentiel qui réapparaissent, en raison d’une concomitance de plusieurs facteurs de risque. «Les cas s’observent typiquement chez des enfants qui ne sortent pas, donc qui ne s’exposent pas au soleil ou à la lumière du jour, et qui ont un régime alimentaire extrêmement restreint», note Philippe Lysy. Résultat: la déficience en vitamine D et en calcium est extrêmement importante, ce qui entraîne une absence de minéralisation des os. «La formation de l’os est similaire à la fabrication de béton armé, illustre Etienne Cavalier. On a des barres de fer sur lesquelles on vient couler du béton. Dans le cas de l’os, les barres de fer, c’est le collagène; et le béton, ce sont des cristaux de calcium et de phosphore. Habituellement, quand le collagène se forme, l’enfant grandit. Et puis, ce collagène se minéralise grâce aux cristaux. Sauf qu’en cas de rachitisme, cette minéralisation est impossible. L’enfant se retrouve alors uniquement avec des barres de fer en guise de jambes, sans béton pour les rigidifier.»
Si le rachitisme carentiel s’est répandu à la période industrielle (XIXe siècle), c’est notamment en raison de l’évolution des pratiques sociétales: l’urbanisation et le délaissement des activités agraires ont conduit la population à s’enfermer davantage à l’intérieur, tout en se tournant vers la nourriture industrielle. Dans les familles plus précarisées, certains enfants travaillaient également dans les mines ou les usines, sans voir la lumière naturelle pendant des jours entiers. Aujourd’hui, la résurgence de la maladie peut s’expliquer par un mode de vie ultrasédentarisé, la prolifération des écrans (qui conduit de nombreux enfants à ne plus jouer dehors) et le recours toujours plus important à la nourriture transformée, peu riche en vitamines et minéraux. La pathologie touche également des populations qui migrent vers l’Europe, pour certaines à la peau plus foncée. «Or, ce type de peau nécessite beaucoup plus d’ultraviolets –donc d’ensoleillement– pour pouvoir synthétiser la même quantité de vitamine D», note Etienne Cavalier.
Suivi multidisciplinaire
Heureusement, la grande majorité des cas de rachitisme carentiel sont curables. «Chez la plupart des patients, il « suffit » de prescrire de bonnes doses de vitamine D et un apport suffisant en calcium pour pouvoir redynamiser les os», précise le professeur de chimie clinique. Au-delà d’un certain stade de la maladie, la récupération s’avère toutefois plus complexe. «J’ai déjà vu des déviations sévères des jambes, avec un angle d’inclination jusqu’à 70 degrés, pour lesquelles un traitement orthopédique est indispensable mais parfois insuffisant», relate Philippe Lysy. Habituellement, le suivi médical du rachitisme est multidisciplinaire et inclut une dimension psychologique, en raison du vécu parfois difficile des enfants touchés par la maladie.
De manière générale, la grande majorité (80%) des enfants belges présentent des carences en vitamine D, sans pour autant développer une forme de rachitisme. La faute, notamment, à un climat peu favorable à l’ensoleillement. La Société belge d’endocrinologie pédiatrique recommande dès lors une supplémentation de vitamine D chez tous les enfants.
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