Pourquoi l’allergie est une maladie de riche
Le nombre de personnes qui en souffrent et la sévérité des réactions allergiques ne cessent d’augmenter. Une évolution qui va de pair avec celle de nos modes de vie.
Entre 1997 et 2018, la proportion d’hommes se déclarant allergiques est passée de 10% à 17%, celle des femmes de 15% à 20%, selon Sciensano. La consommation d’antihistaminiques, elle, a doublé en un peu plus d’une décennie. En 2005, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) remboursait 108 millions de doses journalières de traitements antiallergiques. En 2018, ce nombre atteignait plus de 210 millions. Quelque chose a donc changé. Les allergologues parlent même d’une «épidémie» de maladies allergiques. Le fléau est tel que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe l’allergie au quatrième rang des affections chroniques. Pire, selon les projections de l’OMS, 50% de la population mondiale sera allergique en 2050, contre 25% à 30% aujourd’hui.
L’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 pousse certains végétaux à produire davantage de pollen.
Difficile, pourtant, de pointer une seule cause. Une explication qui fait relativement consensus est celle que les spécialistes appellent «l’hypothèse hygiéniste». L’environnement toujours plus «propre» dans lequel nous vivons et la consommation abondante d’antibiotiques favoriseraient l’émergence d’allergies. C’est simple: n’étant plus stimulé par des maladies infectieuses et microbiennes dès le plus jeune âge, le système immunitaire dévie son action et lutte contre des allergènes, des substances inoffensives qu’il considère soudain et à tort comme «ennemies». Il réagit de façon exagérée en produisant des anticorps spécifiques, les IgE (immunoglobulines E).
L’allergie se traduit, selon le niveau de gravité, par l’apparition d’une urticaire géante, un œdème, des troubles du rythme cardiaque et de la tension. La manifestation la plus grave est le choc anaphylactique, qui peut survenir cinq minutes à plusieurs heures après le contact avec l’allergène. Seule une injection d’adrénaline par voie intramusculaire, à l’aide d’un stylo injecteur, pourra enrayer la chute de tension potentiellement (mais rarement) fatale.
L’usage massif d’antibiotiques, à un âge précoce mais aussi au long cours, aurait quant à lui affaibli le microbiote intestinal, entraînant une plus grande sensibilité aux allergies.
Progrès et pollution
La théorie hygiéniste est cohérente avec les situations des pays en voie de développement, où les allergies sont rares. De fait, celles-ci frappent surtout les pays industrialisés, précisément là où les maladies infectieuses et parasitaires ont largement régressé et où existe un accès aux soins de santé. La rançon du progrès, sans doute. Mais cette seule hypothèse, selon les experts, ne suffit pas à tout expliquer.
Intuitivement, la pollution atmosphérique est désignée comme la première coupable. Et elle est, en partie, responsable. D’abord, elle attaque sérieusement nos muqueuses respiratoires et oculaires, les irritant et les rendant plus perméables aux allergènes. Ensuite, l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 pousse certains végétaux à produire davantage de pollen. Les particules fines, elles, ont la particularité de se fixer sur les grains de pollen, surtout le bouleau – au pouvoir allergisant très fort –, de les faire exploser et de se fixer sur les bronches bien plus profondément que les grains de pollen seuls.
Davantage de production de pollen, donc. Un pollen plus agressif, aussi. La présence d’ozone et de dioxyde d’azote (NO2) modifient en quantité et en qualité les protéines allergisantes des pollens. Pour simplifier, un grain de pollen est comme un grain de poivre. Or, sa coque, appelée exine, est fissurée par les polluants atmosphériques. Résultat: le grain libère plus facilement une quantité plus grande de protéines allergisantes. Un cocktail qui explique pourquoi les allergies aux pollens sont plus redoutables en milieu urbain.
Le dérèglement climatique entre également en ligne de compte. En effet, au fur et à mesure que le climat se modifie, la durée d’exposition à la pollinisation s’allonge. D’après Sciensano, les saisons polliniques, dictées par des variables météorologiques, principalement la température, surviennent de plus en plus tôt. Ces dernières années, l’Institut de santé publique observe que les pics polliniques tendent à être de plus en plus précoces, avancés de trois à quatre semaines. C’est le cas, en Belgique, pour des arbres allergisants comme le bouleau, le noisetier, l’aulne et le frêne. «L’augmentation progressive de l’exposition aux aéroallergènes contribue certainement à l’augmentation de la prévalence des allergies», note ainsi Sciensano, qui précise que l’impact doit encore être évalué précisément.
Le dérèglement climatique influence aussi la répartition géographique des plantes. Des espèces hautement allergisantes jusqu’ici cantonnées à certaines régions, dans le sud, se développent dans le nord. L’implantation de l’ambroisie est ainsi surveillée de près en Région wallonne, où elle est de plus en plus observée. Des travaux placent la Belgique au centre de sa future aire de répartition.
Les ados dans le viseur
En résumé, les saisons polliniques s’avèrent plus intenses et plus longues – puisqu’elles démarrent plus tôt et s’achèvent globalement à la même date qu’auparavant – et les symptômes provoqués par ces allergies sont déjà de plus en plus sévères. Ils s’accompagnent aussi de toujours davantage d’allergies croisées alimentaires. Celles-ci sont liées à la présence de protéines proches dans différents allergènes, trompant le système immunitaire. C’est le cas, par exemple, de l’allergie croisée au pollen de bouleau et aux fruits crus, comme la pomme (la plus répandue), la poire ou la pêche, le kiwi et certains oléagineux (l’amande ou la noisette). Alors qu’elles étaient autrefois exceptionnelles, ces réactions croisées sont aujourd’hui presque habituelles. Elles touchent près de la moitié des sujets allergiques au pollen de bouleau.
D’ailleurs, c’est bien du côté des allergies alimentaires que les allergologues voient clairement une augmentation. Ce constat est confirmé par le Conseil supérieur de la santé (CSS) qui relève, lui aussi, une hausse de la fréquence et de la sévérité des réactions. Chaque année, en Belgique, deux – parfois trois – personnes décèdent après l’ingestion d’un aliment toxique.
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Elles touchent davantage les enfants que les adultes. Néanmoins, les réactions allergiques très graves affectent principalement les adolescents et les jeunes adultes, qui adoptent plus de comportements à risque. Parmi les explications, avancent les études: des causes environnementales mais également des modes de vie des Occidentaux. Le changement de régime alimentaire et l’introduction de nouveaux aliments, comme les fruits exotiques, pourraient modifier la réponse de notre système immunitaire. Selon d’autres recherches, la vitamine D pourrait aider le système immunitaire à développer une réponse saine. Or, sa source principale étant l’exposition au soleil, la population belge est en carence. La consommation d’aliments transformés et les additifs alimentaires seraient également une cause à la hausse des allergies. Là, cependant, les preuves restent minces.
C’est du côté des allergies alimentaires que les allergologues voient clairement une augmentation.
L’ennemi intérieur
Ce n’est donc pas uniquement la fréquence des allergies alimentaires qui augmente. L’organisme est sans cesse confronté à de nouveaux ingrédients. La liste des substances irritantes s’allonge: lait de chèvre, sarrasin, sésame, noix de cajou, lentilles ou encore kiwis sont des allergènes de plus en plus courants. Ces allergies vraies sont souvent confondues avec d’autres réactions désagréables provoquées par les aliments. C’est le cas des intolérances alimentaires, en augmentation elles aussi. Les symptômes peuvent parfois mimer ceux d’une allergie, mais elles ne font pas intervenir le système immunitaire. Elles consistent plutôt à une réaction du métabolisme, due à une enzyme inexistante, inactive ou insuffisante. L’intolérance au lactose, qui concernerait 7% à 20% des Caucasiens, est ainsi liée à un déficit de lactase, une enzyme permettant l’absorption du lactose dans l’intestin grêle.
Enfin, la pollution extérieure est dotée d’une sournoise alliée: la pollution intérieure. Colles, peintures, bois agglomérés, encens, détergents: autant de cofacteurs de déclencheurs d’allergies et de développement de l’asthme – dans 80% des cas, il est d’origine allergique chez l’enfant, 50% chez l’adulte. Auxquels il faut ajouter les acariens, la salive de chat, les moisissures ou encore le tabagisme passif. L’air intérieur est de cinq à dix fois plus pollué que l’air extérieur. De fait, la pollution intérieure serait la plus grande pourvoyeuse de maladies respiratoires, selon les allergologues. S’ils ne disposent pas de chiffres pour appuyer leurs observations, ils notent que nos intérieurs sont de plus en plus confinés et le plus souvent mal aérés et mal ventilés. Et soulignent que l’origine de la flambée des allergies est concomitante au premier choc pétrolier. Un événement à l’origine d’économies d’énergie, dont l’isolation et le calfeutrage des habitations. Décidément, l’ennemi est partout.
Le facteur génétique
La maladie reste multifactorielle, complexe, et naît de la rencontre d’une prédisposition génétique avec plusieurs facteurs environnementaux. L’allergie aux piqûres de guêpe ou aux médicaments n’est pas héréditaire, mais il existe des prédispositions. Les classiques sont un certain nombre d’allergies alimentaires, des allergies d’inhalation aux acariens, aux chats, aux chiens, aux pollens de graminées et d’arbres… Cela ne signifie pas qu’on développe les mêmes allergies que ses parents: votre père peut avoir une allergie au pollen de graminées alors que vous souffrez d’une allergie aux chats. Si vous avez un parent atopique – soit un terrain favorable aux allergies – et qui a développé une allergie, vous avez 25% de risques d’en souffrir aussi. Si les deux parents sont atopiques, le risque est même de 50% à 60%. Si vous avez la chance qu’aucun de vos parents ne soit allergique, la probabilité que vous développiez une allergie est de 5%.
En chiffres
• 10% de la population seraient allergiques au pollen d’arbres de la famille des bétulacées (bouleau, aulne, noisetier et charme).
• 18% de la population belge seraient allergiques au pollen de graminées.
• 25% de la population déclarent présenter une allergie alimentaire. Elle est prouvée chez 3% à 7% des enfants et 2% à 3% des adultes.
• Entre 4% et 7% des adultes et entre 9% et 14% des enfants souffriraient d’asthme. La Belgique présenterait une prévalence de rhinite allergique parmi les plus élevées d’Europe.
Source: Sciensano.
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