Pourquoi la santé des dents conditionne le bien-être
Une carie négligée, une couronne mal ajustée ou des gencives gonflées n’entraînent pas que des douleurs. Elles peuvent avoir des conséquences sur la santé.
En Belgique, 30% de la population se brossent les dents deux fois par jour et 20% des Belges consultent trop tardivement lorsque la situation nécessite une intervention lourde. Globalement, selon l’Agence intermutualiste (IMA), la plateforme regroupant les sept mutualités, 54,6% se sont rendus en cabinet dentaire au moins une fois entre 2018 et 2020, quand 26,4% n’ont pas du tout consulté durant cette période. Or, croquer, déguster, sourire, séduire, embrasser… la santé des dents conditionne le bien-être. S’en préoccuper ne doit cependant pas se limiter à rêver d’un sourire éclatant. La bouche constitue l’une des premières barrières de défense de l’organisme.
La parodontite est fortement soupçonnée d’accélérer le dépôt de cholestérol dans les artères.
La plaque dentaire, principale menace
Véritable nid à bactéries nocives, la plaque dentaire, appelée aujourd’hui «biofilm», fait le lit des caries, mais aussi des pathologies inflammatoires qui s’attaqueront aux tissus de soutien des dents. Si ce mélange de salive, de débris alimentaires et de bactéries n’est pas éliminé régulièrement (par un brossage deux fois par jour), il s’accumule sur et entre les dents, et se calcifie à la jonction avec les gencives. Un dépôt de tartre qui favorise la prolifération des bactéries les plus néfastes. S’il contient trop de Streptococcus mutans, producteurs des acides attaquant l’émail, cela conduit à la carie. Si c’est le Porphyromonas gingivalis qui prolifère, le risque est de développer une maladie parodontale, qui s’attaque à tout le tissu de soutien des dents (le parodonte). Au premier stade, la pathologie se limite à une gingivite: la gencive est gonflée, sensible, et saigne au brossage. Mais elle peut se transformer en parodontite. Sans traitement, elle conduit à un recul progressif de la gencive, puis au déchaussement des dents.
Sans soins, les bactéries pathogènes pénètrent les couches les plus profondes, sous la gencive, dans ce qu’on appelle des «poches parodontales», et peuvent menacer l’organisme, bien au-delà de la bouche. Ainsi, les bactéries respirables et avalables – au risque de provoquer des pneumonies, notamment chez la personne âgée – peuvent migrer dans la circulation sanguine. Chez le sujet qui présente une fragilité du tissu cardiaque et des valves ou qui porte une prothèse valvaire, elles peuvent provoquer une endocardite infectieuse. Non traitée rapidement, cette infection de la paroi interne du cœur et, éventuellement, des valvules, peut entraîner des complications mortelles, comme une insuffisance cardiaque ou une embolie.
Ce n’est pas tout. Ces mauvaises bactéries menacent également les artères. De multiples études prouvent le lien entre maladie parodontale, inflammation chronique et pathologies ou accidents cardiovasculaire. Le risque est multiplié par 1,3. La parodontite est aussi fortement soupçonnée d’accélérer le dépôt de cholestérol dans les artères, amplifiant ainsi le risque d’accident vasculaire.
Cette fameuse parodontite, les experts l’incriminent aussi dans des risques accrus de cancers. Une fois encore, il est question de bactéries. Des chercheurs de l’université de New York, dont l’étude est publiée dans Cancer Research, mettent en cause la bactérie Tannerella forsythia, inductrice de cancers, notamment de la gorge et de l’œsophage. Une autre bactérie, Fusarium nucleatum, pourrait générer un cancer des intestins. Connue comme source d’inflammation des gencives, elle est capable de se propager tout au long du tube digestif et de favoriser le développement de tumeurs du côlon.
L’état des gencives et le diabète sont également étroitement associés. Le lien entre les deux pathologies est le plus documenté de la littérature scientifique. L’interaction est à double sens: le diabète, qui s’accompagne d’une moins bonne vascularisation des extrémités, une moins bonne cicatrisation et une moindre réponse inflammatoire, augmente le risque de parodontite. A l’inverse, chez le sujet diabétique, la parodontite, en secrétant des médiateurs chimiques (l’inflammation active ces cellules qui ont besoin de communiquer entre elles), peut accroître la glycémie, rendant le contrôle de la maladie plus difficile.
Dent manquante = migraine, torticolis…
Le lien est logique. La première articulation mobile du corps est l’articulation de la mâchoire, et l’emboîtement harmonieux entre les dents supérieures (maxillaires) et inférieures (mandibulaires), que les spécialistes appellent l’occlusion dentaire, conditionne l’équilibre du squelette. Une dent manquante, une couronne dentaire mal ajustée, un bridge inadapté: un infime décalage peut suffire à induire une déviation de la mâchoire. Une tension se crée et le centre de gravité du corps est dévié. Vers le haut, une mauvaise occlusion peut causer des maux de tête chroniques et des vertiges ou favoriser le grincement de dents, qui perturbe le sommeil. Vers le bas, elle affecte l’alignement de la colonne vertébrale, des cervicales aux lombaires. Des tensions musculaires douloureuses asymétriques peuvent survenir: contractures, déchirures, tendinites, pubalgies à répétition ou encore torticolis.
Une mauvaise occlusion vers le bas affecte l’alignement de la colonne vertébrale.
… et surpoids
Des dents manquantes, ou abîmées, c’est aussi une mastication difficile. Même si ce n’est pas visible, la perte d’une molaire affecte la manière de mâcher. Les dents restantes se mettent à bouger, à basculer (puisqu’elles tenteront de combler l’espace) et, parfois, se produit une perte osseuse autour de la zone de la dent manquante, mettant en péril la stabilité des dents voisines et celles de la mâchoire opposée. Instinctivement, d’ailleurs, la mastication se concentre de l’autre côté de la bouche, provoquant une usure prématurée et un déséquilibre musculaire: des muscles de la mâchoire d’abord, des cervicales, des omoplates, des lombaires, du bassin ensuite. La digestion devient plus difficile puisque le bol alimentaire n’est pas assez réduit avant de passer dans l’estomac.
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Moins bien mastiquer, donc manger, se révèle d’autant plus problématique qu’on avance en âge, exposant à la dénutrition et à ses conséquences. Les études ont tout autant exploré le lien entre dents manquantes, surpoids et obésité. Posséder 21 dents sur 32 multiplie par trois le risque de surpoids. C’est simple, lorsqu’une ou plusieurs dents manquent, les forces de mastication sont mal réparties. Résultat: l’individu mâche moins, ou plus difficilement, et se nourrit d’aliments en général mous, plus gras, plus sucrés, ou de féculents, au détriment des fruits et des légumes.
Un mal de dents dû au stress
La nuit, quelque 15% des personnes grincent ou serrent involontairement les dents. L’origine est très souvent due au stress, à l’activité intellectuelle intense ou à une désocclusion dentaire. Une fatigue, une mâchoire douloureuse, endolorie, ou un mal de tête au réveil, ou encore des dents sensibles sont des signes potentiels d’un bruxisme nocturne chronique – soit trois nuits par semaine ou plus durant au moins trois mois. Les conséquences peuvent être graves. Ces pressions provoquent des douleurs dentaires, des fissures, voire des fractures. Elles influent sur la qualité du sommeil. En effet, la pression sur la mâchoire contractée peut atteindre deux cents kilos: serrer les dents est littéralement épuisant pour l’organisme.
Dans Le Vif du 15 juin, retrouvez la suite de notre série consacrée aux dents: «Les appareils orthodontiques».
25%
Telle est la perte osseuse un an après la perte d’une dent.
35%
des maux de dos seraient causés par une occlusion perturbée, ou malocclusion.
80 à 120 kg/cm2
La pression exercée par une personne atteinte de bruxisme sur ses dents, soit l’équivalent du poids d’un homme sur une seule dent.
30 à 40 minutes
La durée moyenne journalière de contact entre les dents du haut et du bas.
Le tabac, facteur de risque majeur
Outre qu’il multiplie, comme l’alcool, le risque de cancers buccaux, le tabac représente un risque majeur de parodontite. A chaque bouffée de cigarette, la température peut grimper jusqu’à 70 degrés à l’intérieur de la bouche, sans que le fumeur ne s’en rende compte, la salive faisant tampon. La vascularisation des gencives est alors réduite, ce qui ralentit la cicatrisation en cas de chirurgie, mais rend aussi les gencives plus vulnérables aux attaques de la plaque dentaire. Or, celle-ci est aussi favorisée par le tabac, qui augmente l’acidité et la sécheresse buccale, en modifiant les propriétés antibactériennes de la salive. Résultat: sans intervention, un parodonte fragilisé et un déchaussement dentaire accru. En moyenne, un grand fumeur (quinze cigarettes ou plus par jour) a deux à trois fois plus de risques de perdre des dents qu’un non-fumeur, selon une étude européenne publiée dans le Journal of Dental Research.
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