Pourquoi la migraine est plus handicapante que Parkinson et Alzheimer
Trop souvent assimilés à un simple mal de tête, les troubles migraineux sont reconnus par l’OMS comme plus handicapants que Parkinson ou Alzheimer. Leurs mécanismes sont de mieux en mieux compris.
Dans le langage courant, mal de tête et migraine sont quasiment devenus des synonymes. Or, ces deux termes ne sont pas interchangeables. Si la migraine est bien un mal de tête, tous les maux de tête ne sont pas des migraines. En effet, la migraine est une maladie chronique répondant à des critères précis, définis par l’International Classification of Headache Disorders. Aucune technique ne peut la déceler: le scanner, l’IRM et l’électroencéphalogramme restent muets. Seul le diagnostic, uniquement clinique, permet de la distinguer. Il repose sur la notion de céphalées récurrentes (au moins cinq au cours de sa vie) évoluant par crises, souvent unilatérales (localisées d’un seul côté) et pulsatiles (sensations de battements du cœur dans la tête), et qui durent – en l’absence de traitement – de quatre heures à trois jours. D’autres symptômes y sont associés: nausées, vomissements, hypersensibilité aux odeurs, à la lumière (photophobie) ou au bruit (phonophobie).
Aucune technique ne peut la déceler: le scanner, l’IRM et l’électro-encéphalogramme restent muets.
En outre, on distingue les crises sans aura (les plus courantes) et les crises avec aura, c’est-à-dire précédées de troubles neurologiques transitoires, visuels le plus souvent, caractérisés par la vision de points, de taches brillantes ou de trous dans le champ visuel. En grande majorité, les migraines sont «primaires», c’est-à-dire sans autre cause ou pathologie sous-jacente, une tumeur cérébrale par exemple, ou un traumatisme identifiable, un accident vasculaire cérébral.
Rien à voir, donc, avec la céphalée de tension – le banal mal de tête, en termes médicaux –, moins intense que la migraine et qui disparaît la plupart du temps sous l’effet du paracétamol. La douleur, ici, se manifeste en casque autour de la tête, non pulsatile, et accompagnée par une tension dans les épaules et la nuque. A la différence de la migraine, la céphalée n’est pas aggravée par les activités physiques habituelles.
Une «soupe inflammatoire»
La migraine est banalisée. Pourtant, il s’agit d’une maladie neurologique, avec ses mécanismes et sa physiopathologie. Reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme la deuxième pathologie la plus invalidante chez les moins de 50 ans et la deuxième cause d’invalidité, si l’on prend en compte le temps vécu avec la maladie, la migraine n’a pas encore livré tous ses secrets, d’autant qu’elle mobilise des mécanismes différents. On sait cependant qu’elle est due à une excitabilité anormale des neurones du cerveau, comme dans l’épilepsie ou certains troubles du mouvement.
Cette excitabilité est elle-même liée à des facteurs génétiques (il n’existe pas de gène de la migraine mais une susceptibilité), associés à des facteurs environnementaux (stress, hormones, consommation de certains aliments…). Les chercheurs ignorent encore comment une crise migraineuse se déclenche. En revanche, ils ont épinglé, par imagerie, le rôle de l’hypothalamus, siège de l’horloge circadienne centrale, celle qui règle les cycles de veille et d’endormissement, sous l’influence de la luminosité et de l’activité physique, la température corporelle, la faim, la soif, l’humeur… Il pourrait être un «générateur».
Ce qu’il se passe durant une migraine
Que se passe-t-il durant une migraine? Une véritable «soupe inflammatoire» s’enclenche. Chez le migraineux, le cerveau hypersensible réagit excessivement à un stimuli anodin pour le non-migraineux. Ses mécanismes d’adaptation aux changements (cycle menstruel, fortes émotions, modifications de la quantité de sommeil, brusque variation de la pression atmosphérique…) sont de toute évidence dépassés. Il réagit comme si c’était la première fois. Cette réaction anormale déchaîne une cascade de phénomènes qui conduisent à la crise.
Dans le cerveau, un ou, le plus souvent, plusieurs facteurs extérieurs, appelés déclencheurs (variant d’une personne à l’autre), engendrent une hyperactivation de l’hypothalamus. Des neurones qui innervent les artères des méninges, soit les trois enveloppes qui entourent le cerveau (la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère), sont à leur tour stimulés. Ils libèrent des substances chimiques, les neuropeptides, dans la paroi des vaisseaux méningés. Ces neuropeptides provoquent une inflammation et une dilatation des artères, causes de la douleur.
L’imagerie fonctionnelle en temps réel a permis de mieux comprendre l’«aura» neurologique qui annonce, chez un tiers des migraineux, l’arrivée d’une crise. Ce phénomène serait provoqué par une onde de dépolarisation des neurones, qui prend racine à l’arrière du crâne et avance progressivement vers le cortex frontal. On parle de «dépression corticale envahissante», qui entraîne une baisse transitoire de l’activité des neurones, avec une légère diminution du débit sanguin. Comme si le courant baissait lentement et peu à peu de la nuque jusqu’au front. Ce qui explique les troubles visuels. Si l’onde s’étend plus loin, le patient ressent alors des troubles sensitifs, du langage ou, rarement, une faiblesse motrice.
Une cascade de phénomènes conduisent à la crise migraineuse.
Un diagnostic rassurant
Plus rare, l’algie vasculaire de la face est responsable de crises décrites comme atroces, comparable, selon ceux qu’elle frappe, à une amputation sans anesthésie. Surnommée la «céphalée suicidaire», elle se confond souvent avec une migraine ou une sinusite. Or, elle se caractérise par de fulgurants épisodes de douleur aiguë. Ses symptômes sont d’ailleurs très spécifiques: douleur brutale unilatérale au niveau de la région orbitaire et au-dessus de l’œil, pouvant irradier jusqu’à l’épaule, œil rouge et larmoyant, paupière tombante, narine bouchée ou qui coule… Tous disparaissent dès la fin de la crise, qui dure de quinze minutes à trois heures et, contrairement à la migraine, peut se produire plusieurs fois par jour. La douleur, insoutenable, engendre une agitation motrice, de l’irritabilité, des syndromes dépressifs, parfois des idées suicidaires.
Au cours d’une crise d’algie vasculaire de la face, deux phénomènes se produisent simultanément à la base du cerveau. Le nerf trijumeau (qui innerve l’œil, le nez et la bouche) secrète en trop grande quantité un messager chimique, la sérotonine. Dans le même temps, les artères du cerveau se dilatent, ce qui génère la douleur. Les rythmes de sécrétion des substances produites par l’hypothalamus sont par ailleurs modifiés au cours des crises. Ces observations pourraient expliquer le cycle circadien (à heure fixe, particulièrement la nuit) et circannuel (à la même saison) des crises.
Chez la plupart des sujets, la maladie est épisodique, c’est-à-dire que les épisodes douloureux se déclarent plusieurs semaines par an, au cours desquelles les crises peuvent survenir jusqu’à huit fois par jour. Souvent, ces périodes sont récurrentes et liées aux variations des saisons (surtout au printemps et/ou à l’automne). Chez 10% à 20% des patients, la pathologie devient chronique. Ils subissent alors des crises tout au long de l’année, avec des phases de répit de moins de trois mois.
Des migraines importantes et à répétition peuvent-elles, à terme, altérer le cerveau? Cette question est la première que les neurologues entendent lorsque des patients les consultent, parfois après des années d’errance médicale. Eux se montrent aujourd’hui résolument rassurants. Des petites anomalies, affectant la substance blanche qui assure la conduction de l’information dans le cerveau, ont été observées plus souvent chez les migraineux. Cependant, ces microlésions ne dégradent pas leurs capacités cognitives, telles que la mémoire ou la faculté de raisonnement. Bonne nouvelle pour ceux qui souffrent régulièrement du syndrome de la «tête dans l’étau».
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici