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Pourquoi la Belgique doit massivement importer du sperme depuis la Scandinavie: «Vu les contraintes, les donneurs sont franchement méritants»

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’essentiel

• La Belgique manque de donneurs de sperme pour répondre à la demande des couples infertiles, des couples de femmes et des femmes célibataires.
• La majorité du sperme utilisé en Belgique provient de banques commerciales de sperme à l’étranger, principalement en Scandinavie.
• En 2021, plus de 23 000 cycles d’insémination ont été réalisés en Belgique, avec environ 40% utilisant du sperme de donneur.
• Le cadre juridique actuel limite le nombre de femmes qu’un donneur peut aider et le don de sperme reste socialement tabou.

En Belgique, les donneurs de sperme sont trop peu nombreux pour répondre à la demande des couples infertiles, des couples de femmes et des femmes célibataires. Ce don particulier reste marqué par une sorte de tabou lié à la sexualité. Et aucune campagne de sensibilisation ne l’encourage.

Marco (1) quitte l’hôpital, sourire aux lèvres. C’est la deuxième fois qu’il se rend dans cette clinique de la fertilité pour y donner son sperme. Il y a longuement réfléchi: la démarche n’est pas banale. Comme lui, quelques petites centaines d’hommes franchissent chaque année le seuil d’un centre PMA pour offrir leurs spermatozoïdes. Un nombre qui fluctue puisqu’un donneur ne peut fournir sa semence qu’à six femmes tout au plus. Marco en a parlé à ses proches. S’il avait gardé le secret, il aurait été seul à savoir qu’un jour, un enfant qui lui ressemble viendra au monde sous le regard de parents qui ne seront pas lui.

«Vous en avez des millions, faites un don», peut-on lire sur le site du centre de fertilité de la clinique liégeoise MontLegia. Le désir d’enfant peut être un parcours difficile. Soyez solidaires.» L’appel à la solidarité d’hommes potentiellement donneurs de sperme est d’autant plus utile qu’ils sont trop peu nombreux, en Belgique, pour répondre à la demande. «Comme toutes les autres cliniques, nous sommes en pénurie de donneurs, confirme Candice Autin, cheffe de clinique au centre PMA (procréation médicalement assistée) du CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Notre propre banque de sperme nous fournit 5% à peine de nos besoins en paillettes (NDLR: les paillettes sont des miniéprouvettes contenant les millions de spermatozoïdes eux-mêmes contenus dans le sperme), les 95% restants proviennent de banques commerciales de sperme installées à l’étranger, en Scandinavie surtout.»

«95% de nos besoins en paillettes sont assurés par des banques commerciales de sperme installées à l’étranger.»

Candice Autin, cheffe de clinique au centre PMA du CHU Saint-Pierre.

Chaque mois, les centres PMA belges commandent en effet des centaines de paillettes, en grande partie auprès des danoises European sperm bank et Cryos International, des deux plus grandes banques de sperme au monde. Celles-ci les approvisionnent à hauteur de 60 à 95% de leurs besoins.

En 2021, 23.688 cycles d’insémination ont été réalisés en Belgique, selon les données du Belrap (Belgian Register for Assisted Procreation) recensées par le collège de médecins de la reproduction: 54% avec le sperme du partenaire, 40% grâce à un donneur –les données manquent pour les 6% restants. On ignore également la proportion des 21.523 cycles de fécondation in vitro effectués avec du sperme offert par un donneur. Ces quelque 45.000 opérations nécessitent autant de paillettes. C’est dire le gouffre entre la demande et le sperme «local» disponible, outre celui du partenaire.

Le même constat vaut pour la France, où les centres de fertilité ne peuvent importer de paillettes de l’étranger: en 2022, on y comptait quelque 760 donneurs alors que dans le même temps, 15.100 demandes de première consultation étaient introduites par des femmes célibataires ou des couples de femmes, d’après l’Agence de la biomédecine.

«Le délai d’attente pour bénéficier d’une PMA en Belgique est de deux à six mois, détaille Romain Imbert, chef de service au centre de fertilité du Chirec. En France, il faut parfois attendre deux ans.» Certaines Françaises, soucieuses de ne pas laisser filer deux ans de fertilité, passent donc la frontière pour suivre plus vite un traitement ici. Cet afflux de candidates françaises a pourtant ralenti depuis que, en 2021, la France a légalisé ce parcours pour les femmes célibataires et les couples de femmes.

«Le délai d’attente pour bénéficier d’une PMA en Belgique est de deux à six mois. En France, il faut parfois attendre deux ans.»

Romain Imbert, chef de service au centre de fertilité du Chirec.

Pourquoi si peu de dons de sperme?

Le cadre juridique explique en partie la forte disproportion entre l’offre et la demande de femmes et de couples qui voudraient bénéficier de dons de sperme. Aujourd’hui, la loi prévoit qu’un donneur ne peut plus partager son sperme qu’avec six femmes différentes au maximum –les couples de femmes en projet de PMA étant considérés comme une seule femme. Afin de s’assurer que ce maximum soit respecté, un fichier centralise, depuis le 1er janvier 2024, les dons, inséminations et implantations de sperme enregistrés dans le pays. Baptisée Fertidata, cette banque de données gérée par l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) compile les informations transmises par les centres de fertilité.

Dans le même temps, la demande croît. «Au départ, les centres de fertilité ont été créés pour venir en aide aux couples qui ne pouvaient pas avoir d’enfants, rappelle Annick Delvigne, cheffe de service du Centre PMA de la Clinique CHC MontLégia. Aujourd’hui, les couples hétérosexuels ne représentent plus que 5 à 10% des demandeurs. Ensuite, sont arrivés les couples de femmes. A présent, la proportion de célibataires souhaitant devenir maman solo est en augmentation.»

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Mais les dons locaux de sperme ne suivent pas. On en parle peu, contrairement au don de sang ou d’organes. Si en Espagne, les dons de «matériel humain» sont courants, ce n’est pas le cas en Belgique. «Ici, on manque de dons de tout, résume Dominique Raick, embryologiste et responsable du laboratoire PMA du MontLégia. De sang, d’organes, d’ovocytes, de sperme. Beaucoup de couples choisissent ainsi de détruire leurs embryons congelés plutôt que de les donner à des couples en difficulté de parentalité.»

«Vous connaissez beaucoup de gens qui annoncent au milieu d’un repas de famille qu’ils sont donneurs? embraie Candice Autin. Ce type de don reste tabou, en raison notamment de sa connotation sexuelle.» A une époque, raconte-t-on dans les centres PMA, les donneurs rasaient les murs…

Il est en outre interdit de faire de la publicité en faveur du don de sperme –ou d’ovocytes. L’Etat n’investit pas non plus dans des campagnes de sensibilisation. «Or, quand on en parle dans les médias, nous accueillons tout de suite un à deux nouveaux candidats par mois», témoigne Dominique Raick.

«Vu le nombre de contraintes qu’on leur impose, les donneurs de sperme sont franchement méritants.»

Dominique Raick, responsable du laboratoire PMA du MontLegia.

Pourtant, les conditions imposées aux hommes prêts à ce partage ne sont pas forcément agréables. «Les candidats donneurs qui se présentent dans des centres de fertilité se retrouvent dans la même salle d’attente que des couples demandeurs, en journée. Ils doivent prendre congé, trouver une place de parking, attendre», énumère Candice Autin. Offrir sa semence prend du temps. La candidature des donneurs, qui ont entre 18 et 45 ans, est d’abord examinée sur papier avant qu’ils ne soient reçus en entretien. Leur passé médical, celui de leurs ancêtres et leurs habitudes de vie sont épluchés. Un spermogramme, destiné à mesurer leur fertilité, est imposé, ainsi qu’une prise de sang à chaque passage. La qualité générale du sperme étant en diminution depuis 30 ans, certains donneurs ne peuvent être retenus: le sperme prélevé doit présenter une qualité parfaite, qui supportera notamment les épreuves de la congélation et de la décongélation sans s’altérer. Au bout de la procédure de sélection, seuls trois ou quatre donneurs sur dix sont retenus. A Saint-Pierre, un sur dix. Certains d’entre eux, lorsqu’ils rencontrent une nouvelle partenaire, arrêtent.

Si possible 25 dons de sperme

«Nous leur demandons si possible 25 dons –mais dix, c’est déjà bien–, à raison d’une visite dans nos locaux une à deux fois par mois. Les quelque 60 à 80 paillettes que nous pourrons ainsi préparer permettront de répondre à la demande de six familles, précise Dominique Raick. Au vu des contraintes qu’ils subissent, ces donneurs sont méritants!»

Ces dons ne sont pas rémunérés mais défrayés à hauteur de 75 à 100 euros par la quinzaine de banques de sperme recensées dans le pays. Cet aspect pécuniaire ne semble guère peser dans la motivation des donneurs. S’ils se décident à pousser la porte d’un centre de PMA, c’est d’abord par solidarité. Parce qu’autour d’eux, des proches rencontrent un problème de fertilité. Ou parce qu’ils ont, à 30 ans, décidé de ne pas devenir père mais souhaitent laisser un petit peu d’eux-mêmes sur Terre.

«Ce sont plutôt des gens qui ont réfléchi au sens de cet acte, détaille Dominique Raick. Ils sont généralement intégrés dans une vie sociale et professionnelle, ce ne sont jamais des marginaux. Certains ont des enfants, d’autres non. Ils peuvent être diplômés ou exercer un métier manuel. Autrement dit, ils sont comme tout le monde

En Belgique, la majorité des donneurs sont de type caucasien. Un casse-tête pour les équipes médicales lorsqu’un couple d’origine africaine s’adresse à un centre PMA dans l’espoir de trouver un donneur qui lui ressemble. «Nous avons très peu de donneurs africains, et très peu qui proviennent de pays du Maghreb, à la fois pour des questions de culture et de religion», observe Candice Autin. «Les candidats donneurs d’origine africaine, précieux, sont parfois porteurs du virus de l’hépatite A ou B, ce qui les exclut d’office, embraie Dominique Raick. Quant à ceux qui ont été adoptés par des couples belges, ils ignorent tout des antécédents, en matière de santé, de leur famille biologique. On ne peut donc pas les retenir non plus.»

Cher enfant

Certains gribouillent quelques lignes, d’autres remplissent quatre pages. Au centre PMA de MontLégia, il est proposé aux donneurs de rédiger une lettre à l’intention des enfants qui naîtront de leur don. «Je leur demande de répondre par écrit aux questions qu’eux-mêmes se poseraient s’ils apprenaient un jour qu’ils sont nés d’un don de sperme, précise Dominique Raick. Certains donneurs parlent de leur motivation, de leurs valeurs. D’autres se racontent, évoquant leurs centres d’intérêt, leurs points forts comme leurs failles, tandis que d’autres encore sont plus pudiques. Le but, à travers ces lettres qui ne seront transmises qu’aux enfants qui le demandent, est de les aider à grandir. Tous ces courriers sont touchants. Pour nous, il est important de ne pas réduire ces hommes à quelques spermatozoïdes. Beaucoup d’entre eux trouvent dommage que les enfants ne sachent rien de celui qui a participé à leur donner la vie. D’ailleurs, certaines mamans qui viennent chez nous préfèrent les donneurs « avec lettre ». Etre enceinte d’un inconnu, ce n’est quand même pas une mince affaire!» Ces missives sont jointes aux dossiers médicaux des intéressés et seront conservées, comme la loi l’exige, entre 30 et 50 ans.

En Belgique, il est interdit d’acheter des paillettes qui proviendraient de donneurs prêts à communiquer leur identité à la majorité de l’enfant: le don de sperme doit rester anonyme. Même si, désormais, il n’est plus possible de garantir à un donneur qu’il ne sera pas identifié grâce à un test ADN. Le don de sperme «dirigé» est également possible: dans ce cas, il provient d’une personne connue de la femme ou du couple candidat pour une PMA. Ce sont alors les parents de l’enfant qui décident de lui communiquer l’information sur ses origines. «La loi devrait être revue, estime Annick Delvigne. Car toute la responsabilité de la transmission de l’information incombe aux parents. Alors qu’aux Pays-Bas ou en France, c’est l’enfant qui peut demander, à 18 ans, d’où il vient.»

«La loi devrait être revue. Car toute la responsabilité de la transmission de l’information incombe aux parents.»

Annick Delvigne, cheffe de service du Centre PMA du MontLégia.

«Tous les pays qui ont levé l’anonymat ont connu une diminution du recrutement de donneurs, assure Romain Imbert. Ensuite, leur nombre s’est restabilisé.» En France, la loi de bioéthique de 2021 a supprimé l’anonymat des donneurs depuis le 1er septembre 2022. «On confond la question de l’anonymat et celle du secret sur les origines de l’enfant, estime Candice Autin. Quand un enfant apprend, en toute transparence, qu’il est issu d’un don de sperme, cela ne pose pas de problème. Ce qui en suscite, c’est lorsqu’un jeune ou un adulte de 20, 30 ou 50 ans, découvre ses origines de manière sauvage. C’est ce secret qui fait mal. Pas le recours à un donneur. Dans les couples de femmes, la conception des enfants est évoquée naturellement. Mais dans les autres? On ne peut jamais contraindre des parents à tout dire à leurs enfants.»

Une paillette de sperme, issue de donneurs belges, s’achète aujourd’hui entre 350 euros et 500 euros. Le commerce de matériau humain et la prise de bénéfice sur ce commerce étant interdits par la loi, les centres de fertilité revendent les paillettes achetées aux banques étrangères au prix d’achat, augmenté des frais de transport. Soit entre 500 et 900 euros environ. «Dans les banques commerciales étrangères, plus les informations disponibles sur le donneur et plus la concentration en spermatozoïdes mobiles du don est élevée, plus les prix grimpent, détaille Dominique Raick. Et ils augmentent chaque année. Ça va devenir impayable, surtout s’il faut procéder à plusieurs essais.»

(1) Le prénom a été modifié

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