Pourquoi des pesticides interdits dans l’Union européenne se retrouvent dans nos assiettes
D’après une étude, la Belgique exporte plus de 6.000 tonnes de pesticides interdits dans l’Union européenne par an. Ces exportations ont un effet boomerang : des produits alimentaires contaminés se retrouvent dans nos supermarchés. Analyse avec Salomé Roylen (PAN Europe), responsable de la politique et des campagnes sur l’évaluation des risques liés aux pesticides.
Salomé Roynel, quelle est la reglementation concernant ces pesticides ?
Au niveau européen, il y a un système d’autorisation ou d’interdiction des pesticides jugés trop dangereux. Dès lors qu’un pesticide est interdit, les Etats membres ne peuvent pas les mettre sur leur marché national. En revanche, rien n’empêche la production, le stockage et l’export de ces mêmes substances ou produits finis vers l’international. Ce qui signifie que les entreprises peuvent continuer à les produire sur le territoire européen pour les exporter vers des pays non membres de l’Union européenne.
Un récent rapport de SOS Faim fait état d’un effet boomerang : les pesticides que les pays de l’Union européenne exportent se retrouvent dans les produits de nos magasins. Qu’est-il mis en place pour contrôler que les produits importés ne sont pas contaminés ?
L’ensemble de produits, que ce soient les denrées alimentaires ou ceux destinés aux animaux d’élevage, sont soumis à des règles qui imposent des limites maximales de résidus de pesticides. Cependant, pour un nombre important (mais difficile à quantifier) de pesticides, les importateurs bénéficient encore de limites maximales plus élevées : les produits importés peuvent encore contenir des pesticides interdits. C’est notamment dû aux tolérances à l’importation, très contestées et à la base de standards doubles pour les agriculteurs européens.
Les limites maximales de résidus sont établies sur base de la santé humaine mais sans tenir compte de l’environnement, alors que les substances sont interdites en Europe sur ces deux critères. Il y a eu un engagement de la Commission à mettre fin à ces mesures doubles qui devriendra en partie effectif vers 2026. Les ONG environnementales, de défense et de protection de la santé humaine et des agriculteurs s’accordent pour dénoncer l’injustice et les risques pour la santé humaine et l’environnement.
Au niveau des risques, on parle de cancers, de mutations…
Oui, ce sont des substances dont les dangers sont suffisamment avérés et sérieux pour qu’elles soient interdites. A titre d’exemple, le Mancozeb (composé utilisé pour protéger les cultures de maladies fongiques) a été interdit parce que c’est un perturbateur endocrinien et toxique pour la reproduction. Les substances présumées cancérigènes ou mutagènes sont aussi interdites.
Les limites maximales de résidus sont fixées pour chaque substance, sans tenir compte de l’effet cocktail : la possibilité qu’un produit ait été traité avec deux pesticides différents et que l’interaction de ces deux produits suscite des effets cumulatifs. On constate qu’un produit alimentaire contient souvent plusieurs pesticides différents. C’est un risque décuplé pour la santé humaine, mais il faut considérer la nature de la substance, du moment auquel la culture a été pulvérisée…
Les pays de l’Union européenne peuvent-ils exporter ces pesticides à un autre pays membre ?
Non. Mais parfois, pour brouiller les pistes, un producteur de substances actives (des composantes) peut les exporter vers un autre pays membre dans lequel le produit sera transformé en pesticide chimique qui sera ensuite exporté (en dehors de l’Union européenne).
La France, via la loi EGALIM, a interdit l’exportation de pesticides – le produit fini – vers l’étranger. En revanche, les composantes ne font pas l’objet de ces dispositions. Des entreprises peuvent donc continuer à produire les substances actives en France, les exporter vers l’Allemagne où elles sont transformées en pesticides. De là, les entreprises allemandes (qui ne sont pas soumises aux mêmes lois que les française) peuvent les exporter à l’international. Il se peut tout à fait que ce soit la future phase de l’entreprise française et, dans ce cas-là, ce sont les mêmes structures qui profitent de la non-harmonisation des règles européennes.
C’est de l’hypocrise ?
De la part des entreprises, tout à fait. L’industrie des pesticides ne peut plus écouler ses stocks dans l’ Union européenne. L’étau se resserre aussi vis-à-vis de l’export puisque plusieurs règlementations nationales se mettent en place et une future règlementation européenne va être adoptée. Ces entreprises cherchent donc toutes les failles du système pour continuer à produire. Sachant que, d’après un rapport d’il y a quelques années par l’ONG suisse PublicEyes, les pesticides qui sont interdits dans l’Union européenne représentent un peu plus de 35% des ventes de ces entreprises.
Pour quand peut-on espérer cette nouvelle réglementation européenne ?
Au niveau européen, c’est un engagement qui a été pris au début du mandat. La Commission européenne a présenté en 2020, sa stratégie pour la durabilité des produits chimiques, faisant partie du Green Deal. L’une des grandes initiatives, c’est d’interdire l’export de pesticides interdits dans l’UE. Très peu d’avancées ont été faites, au point où on se demande si la proposition sera présentée avant la fin de la législature en 2024. Les ONG font pression pour que les engagements soient tenus.
Les pays de l’Union européenne ne peuvent pas déjà prendre des mesures contre ces pesticides au niveau national ?
La France a scellé son intention d’avancer sur la question avec la loi EGALIM, entrée en vigueur en 2022. L’Allemagne a annoncé, dans son accord de coalition, son intention d’établir une législation nationale et maintenant la Belgique indique se mobiliser dans ce sens. Il y a une possibilité d’aller de l’avant mais tant que le problème n’est pas tout à fait réglé au niveau européen il y aura toujours un décalage entre les entreprises des différents états membres de l’UE. Le fait que des membres prennent des mesures au niveau national aujourd’hui, ça crée une impulsion.
Zoé Leclercq
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