Pourquoi crie-t-on sur nos enfants (alors que les Inuits ne le font pas)
L’idée selon laquelle la rage est une émotion qui doit être libérée est un concept occidental qui n’est pas universellement partagé. Dans les contrées polaires, crier sur un enfant est une humiliation pour l’adulte.
C’est après la lecture de « Never in Anger », un ouvrage de l’anthropologue Jean Briggs paru dans les années 1970 dans lequel il raconte comment les inuit apprennent à leur enfant à maîtriser leur colère sans y recourir eux-mêmes, que le journaliste scientifique Michaeleen Doucleff a voulu se rendre dans l’Arctique pour partir à la recherche de la sagesse parentale et apprendre les techniques utilisées par les communautés inuites pour aider les enfants à apprendre à gérer leurs émotions. Elle y a découvert « une règle d’or » : on ne doit pas crier sur les petits enfants. Les adultes qui gardent la tête froide ont des enfants plus calmes. Dans les contrées polaires, le sang-froid semble la norme et crier sur un enfant est humiliant pour l’adulte. Il utilisera plutôt la narration d’histoires et les jeux de rôle pour encourager les jeunes à apprendre par eux-mêmes. Une technique éducative en totale contradiction avec ce qu’elle a vu en Amérique, où » nous essayons constamment de contrôler les activités des enfants, même lorsqu’elles sont futiles ». L’impact de cette approche semblait également se répercuter sur la vie sociale au sens large. » Le calme règne là-bas de façon incroyable » dit-elle. « C’était tout le contraire de ce que j’ai vécu à San Francisco, où les gens se crient tout le temps dessus. »
Les attitudes parentales seraient façonnées par le type d’enfant que l’on pense devoir élever pour qu’il puisse s’épanouir dans la société dans laquelle on vit
De la rage déversée sur les médias sociaux à une politique qui se veut de plus en plus antagoniste, nous sommes envahis par le malheur et les frustrations. Nous célébrons les querelles. La colère, et l’agressivité en général, autant de ramifications de l’individualisme et de l’affirmation de soi, semblent souvent un chemin plus rapide vers le succès que la pondération ou la diplomatie dit encore The Guardian. Ce n’est pourtant pas le cas partout dans le monde. Dans des communautés comme celle des Inuits, la colère est dévalorisée et cela commence par l’éducation.
Batja Gomes De Mesquita, directeur du Centre de psychologie sociale et culturelle de l’Université de Louvain, dit dans The Guardian : « Nous savons que la colère est beaucoup plus répandue dans certaines cultures que dans d’autres. « La croyance occidentale est que nous devons pouvoir exprimer nos émotions et qu’en dehors de situations très particulières on ne devrait pas les cacher. Mais cette idée d’une émotion qui doit être libre de se manifester en toute circonstance n’est pas partagée ailleurs dans le monde. » Dans le cadre de ses recherches, Mesquita a mis sur pied une expérience au cours de laquelle des mères belges et japonaises ont été invitées dans le laboratoire avec leurs enfants adolescents pour discuter d’un conflit ou d’un sujet de désaccord. Par la suite, on leur a demandé de revenir sur le conflit et de faire part de leurs émotions. Les premiers résultats, bien qu’encore incomplets, étaient inattendus. Les adolescents japonais ont autant exprimé leur colère que leurs homologues belges. La différence, c’était les mères. Les mères belges maintenaient, voire cultivaient, la colère de leurs enfants en étant elles-mêmes en colère, en s’engageant dans le conflit. Les mères japonaises faisaient le choix de ne pas s’engager dans la colère avec plus de colère et semblaient plus préoccupées par leurs enfants et essayaient davantage de comprendre et de compatir « . Elle ajoute : « Cela signifie aussi que la façon dont les conflits se développent sera très différente.
Dans son livre Parenting Without Borders, Christine Gross-Loh s’interroge sur l’idée que nous nous faisons du « bon parent », en utilisant différents exemples du monde. « La chose la plus inspirante à comprendre du reste du monde, c’est que rien de ce que nous considérons comme un comportement normal n’est universel « , dit-elle. « Si vous élevez un enfant dans une société où l’interdépendance est valorisée – comme au Japon ou chez les Inuites – vous élevez un enfant qui est dans la maîtrise de soi et la régulation, plutôt que dans l’expression de ses émotions. En Occident, nous sommes plus individualistes, du coup la colère, ou du moins l’expression de la colère est plus socialement acceptable. »
Il y a aussi d’importants facteurs neurologiques (surtout pour les adolescents)
S’il est clair que la société, la culture – et les parents – jouent un rôle clé dans la façon dont nous apprenons à exprimer des choses comme la colère, il existe d’importants facteurs neurologiques qui déterminent comment et pourquoi les jeunes – les adolescents en particulier – sont si sujets aux émotions fortes. Le cerveau des adolescents est beaucoup plus stimulé émotionnellement que ceux des adultes, alors les autres parties sont moins développées. « C’est comme une Ferrari avec des freins peu fiables ». Et une grande partie de ce problème se situe au niveau du lobe frontal qui gère le contrôle des impulsions, la prise de décision, le jugement et l’empathie. Or c’est la dernière partie à se connecter complètement. Du coup lorsque votre adolescent fait une crise pour ce qui vous semble une broutille, pour lui c’est réellement un drame. Les adultes devraient leur donner une « assistance du lobe frontal ». Dans les faits cela signifie être un parent avec plus d’empathie ainsi qu’un modèle (c’est-à-dire ne pas se fâcher soi-même).
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