L’accessibilité aux soins de santé menacée? « On tire la profession vers le bas »
Il y a aujourd’hui une véritable menace qui pèse sur l’accessibilité aux soins, met en garde la Fédération nationale des infirmiers de Belgique (FNIB). Elle demande dès lors aux autorités fédérale, régionales et communautaires à ce qu’on réinvestisse dans la qualification et la rétention de ces professionnels qualifiés. Cela en vue d’apporter des solutions structurelles à la pénurie que les différents ministres ont provoquée, selon elle.
Le système des soins de santé saigne depuis ces dix dernières années, illustre cette association professionnelle. « Victime de l’indifférence politique, il se vide des professionnels infirmiers qui y travaillent », s’inquiète son président Dan Lecocq, à la veille de la manifestation nationale en front commun syndical du secteur non marchand à Bruxelles. Selon lui, « l’hémorragie est telle qu’on touche à présent aux limites de la viabilité du secteur ». A ses yeux, le secteur des soins infirmiers en Belgique est actuellement confronté à quatre défis majeurs, tous interconnectés: l’attractivité, la rétention des talents, la qualité de la vie au travail et la qualité des soins. Et l’état des lieux n’est pas bon, voire, donc, très mauvais.
Il manque en effet de bras infirmiers qualifiés. Selon des chiffres du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) datant de 2019, soit avant la pandémie de coronavirus, il y avait des postes vacants pour 1.274 équivalents temps plein. « Aujourd’hui, les chiffres seraient de l’ordre de 6.000 postes vacants », d’après Dan Lecocq. Or les besoins à venir sont connus et criants: vieillissement de la population avec allongement de la durée de vie (et pas nécessairement en bonne santé), explosion des maladies chroniques (une personne sur deux en souffre actuellement) et défis émergents tels des catastrophes comme le Covid ou des canicules et des vagues de chaleur.
S’ajoutent à cela les burnouts professionnels, où les chiffres sont, là aussi, alarmants, selon la FNIB, qui compte 2.600 affiliés (la profession comptant, elle, 140.000 personnes, dont 85% sont des femmes, NDLR). Au sein des hôpitaux francophones, il y a 50% d’infirmiers en plus en situation d’épuisement professionnel et en risque de développer un burnout.
Moins de recrutement
Il y a, en outre plus de soins à apporter à davantage de patients par jour, ce qui a parfois pour conséquence des soins non réalisés (surveillance adéquate des patients, changements de position de ceux-ci, gestion adéquate de la douleur, surveillance correcte des paramètres vitaux, réconfort et dialogue avec patient, éducation et conseils aux patients et à leur famille). Enfin, et c’est là un des nombreux noeuds du problème, le recrutement diminue dans les écoles, alarme Dan Lecocq. Il y a moins d’étudiants candidats à la profession, quand ceux-ci ne la quittent pas déjà durant leur formation, effarés par les situations auxquelles ils sont confrontés. Là aussi, les chiffres manquent, s’étonne le responsable, « comme si c’était trop sensible… ». Les effets se font déjà sentir de manière criante, mais seront plus visibles encore d’ici la fin des années 2020, puisqu’il faut 4 (voire 5) années d’étude pour devenir infirmier (spécialisé).
Il y a donc aujourd’hui une véritable menace qui pèse sur l’accessibilité aux soins, met en garde la FNIB. Et cela alors qu’il y a, sur le papier, 10,6 infirmiers pour 1.000 habitants en Belgique. Mais tous ne travaillent plus nécessairement, le font parfois à temps partiel, peuvent être en burnout ou bien ont même pu quitter la profession. Il faut donc travailler sur la rétention et l’attractivité pour le métier, via un plan en la matière dont la dernière version remonte à 2011 et avait alors porté ses fruits, se souvient Dan Lecocq.
L’objectif est, par différentes mesures, de générer à nouveau de l’enthousiasme, développe la FNIB. Que ce soit en réduisant le nombre de patients que doit gérer un infirmier pour optimiser les soins (pour arriver à la situation idéale d’un infirmier pour six patients, il manquait environ 5.500 équivalents temps plein en 2019, toujours selon les données du KCE datant de 2019, pour un budget dépassant les 400 millions d’euros). Mais aussi en donnant aux infirmiers davantage d’autonomie professionnelle en leur permettant de dresser un diagnostic ou en prescrivant certaines thérapies, sans empiéter sur le travail des médecins), en valorisant leur expertise ou en mettant en place un espace-temps de collaboration avec leurs pairs.
« Déqualification » dans les soins de santé
Il faut également apporter un support logistique et administratif et travailler sur l’équilibre entre vies privée et professionnelle, égrène la fédération. Il ne faut pas remplacer des infirmiers par ce personnel de soutien mais bien que ce personnel s’ajoute à un nombre d’infirmiers revu à la hausse. Pour le président de la fédération, il est par exemple « délirant » de confier des soins infirmiers à des aides logistiques ou des aides à domicile. Un phénomène de « déqualification » est en effet à l’oeuvre depuis quelque temps dans le secteur, constate-t-il. Ont ainsi vu le jour des aidants qualifiés, des aides familiales, des aides logistiques ou des assistants de formation. « Qui ne viennent pas en complément des infirmiers et aides soignants mais à la place… On tire la profession vers le bas! »
« Aujourd’hui, on saupoudre les moyens, en les dispersant. On éloigne du chevet du patient les professionnels qui restent. On ne va pas à l’essentiel. Si on veut sortir de cette spirale vicieuse, il faut résolument s’engager dans cette voie (de générer à nouveau de l’enthousiasme, NDLR) et voir l’argent injecté dans les soins de santé non comme un coût mais bien comme un investissement », résume Dan Lecocq. « Et on attend toujours le ministre de la Santé qui va se saisir de cette question », déplore-t-il, pointant non seulement le ministre fédéral Frank Vandenbroucke mais aussi les ministres régionaux et communautaires.