Arrêté royal limitant l’exportation de médicaments: pourquoi Frank Vandenbroucke se « trompe de cible »
Comme presque partout dans le monde, la Belgique fait actuellement face à une pénurie de médicaments. Une solution avancée par le gouvernement concerne la limitation de l’exportation de ceux-ci. Un arrêté royal a été publié vendredi dernier à ce sujet, provoquant ainsi la colère des grossistes répartiteurs. Pourquoi ? Explication avec Olivier Delaere, CEO de Febelco.
Avec plus de trois cents médicaments indisponibles en pharmacies, la Belgique subit de plein fouet la pénurie de médicaments. Pour y remédier, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke a annoncé ce lundi, lors d’une interview sur LN24, la publication d’un arrêté royal visant à interdire temporairement l’exportation de certains médicaments essentiels. « L’interdiction s’appliquera aux médicaments qui sont urgents et nécessaires, qui ont un impact majeur sur la vie du patient et pour lesquels aucun autre médicament autorisé ayant le même effet thérapeutique est disponible », peut-on lire dans le communiqué envoyé par le gouvernement.
L’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) sera chargée de cataloguer l’indisponibilité des produits sur base d’une liste avec des critères précis. Une idée saluée par Nicolas Echement, porte-parole de l’Association Pharmaceutique Belge (APB). « Ça ne va pas résoudre la situation actuelle puisque l’indisponibilité est un fait. Par contre, c’est une bonne chose dans le sens où ça pourra éviter à l’avenir ce genre de situations et permettra d’avoir accès à un stock plus large. Ça fait partie des petits pas dans le gros dossier des indisponibilités puisque pour nous, les pharmaciens, la problématique ne date pas d’hier. Cela mine notre travail depuis longtemps. »
Lire aussi | Pénurie de médicaments: faut-il s’inquiéter ?
Si l’arrêté royal séduit partiellement l’association des pharmacies, cela est loin d’être le cas des grossistes répartiteurs. « Le ministre est en train de créer lui-même une pénurie en ne se rendant pas compte du rôle essentiel de service public des grossistes répartiteurs qui sont les réservoirs de médicaments du pays. Il ne donne plus les moyens d’assurer ce rôle en ne nous donnant pas les moyens d’avoir suffisamment de stock », s’insurge Olivier Delaere, administrateur délégué de Febelco, une coopérative qui fournit plus de 40% des pharmacies.
Fondamentalement, c’est un mauvais procès et on se trompe totalement de cible.
Le problème est ailleurs
Si Olivier Delaere n’est pas contre cet arrêté royal à première vue, il ne cache pas sa déception quant à la cible choisie par le ministre de la Santé pour solutionner ce problème de pénurie. Selon lui, ce ne sont pas les grossistes qui doivent être pointés du doigt. « Fondamentalement, c’est un mauvais procès et on se trompe totalement de cible. Le fait que le ministre fasse cet arrêté ne va rien changer. C’est un problème mondial, lié à l’explosion de la demande mais aussi à tout une série de coûts dans la chaine de production par les fabricants afin d’améliorer les bénéfices et générer des économies d’échelle. »
La mesure choque l’administrateur de Febelco puisque les grossistes sont tributaires de l’industrie pharmaceutique, et plus précisément des producteurs de médicaments. Ce ne sont donc pas eux qui doivent être pris pour cible, selon lui. « J’aimerais bien alors qu’il (Franck Vandenbroucke, ndlr) aille au fond du processus, c’est-à-dire qu’il interdise aussi la pénurie organisée pour des raisons commerciales par l’industrie. A partir du moment où il n’y a plus d’export, je suppose qu’il doit aussi interdire que l’industrie bloque du stock qui pourrait être aussi livré aux grossistes puisqu’il n’y a plus de risque que ce produit soit exporté. »
Depuis plusieurs semaines, la coopérative constate les dégâts provoqués par la pénurie. A commencer par les pharmaciens, qui ne savent plus vers qui se tourner. « Il faut savoir qu’on a 10.000 appels par jour. Et 7.000 d’entre eux concernent la pénurie. Nous subissons tous les jours cette détresse des pharmaciens. On en a en pleurs parce qu’ils ne trouvent pas de solutions. »
Des solutions possibles ?
Si le problème est ailleurs, les solutions devraient, à priori, l’être aussi. Un premier élément de réponse se trouve sur le site internet PharmaStatut. Cette application, lancée par l’AFMPS en décembre 2019, collecte les informations sur la disponibilité des médicaments. Seulement, celles-ci ne seraient pas à la hauteur de la pénurie réelle, selon Olivier Delaere. « Il faut forcer l’industrie à donner les informations correctes quant à la réalité des pénuries de médicaments. Cela donne une image tronquée et édulcorée de la situation. Nous constatons bien plus de pénurie que ce qui est affiché sur ce site. »
Mais le CEO a plus d’une idée en tête. Tout d’abord, il faudrait donner plus d’alternatives aux pharmaciens. Ensuite, au lieu de pointer du doigt l’exportation, il suggère de miser sur l’importation de médicaments pour palier le problème. « On favorise d’abord le marché intérieur, c’est une question de compétitivité commerciale. Bien sûr qu’on exporte des produits qu’on a en surplus. Là, il faut surtout favoriser l’import. Aujourd’hui, on voit des pays qui ont trop de stock mais on ne sait pas les importer. »
« Ça fait des mois qu’on essaie de discuter avec le ministre Vandenbroucke concernant le fait que nous n’arrivons plus à remplir notre mission de service public. On veut le rencontrer à ce sujet-là parce que nous allons vers la catastrophe. Je suis préoccupé, car comment vont faire les pharmaciens si ce maillon de la chaine (des grossistes répartiteurs, ndlr) tombe ? », conclut le dirigeant de Febelco, qui s’inquiète de la pression subie par les pharmacies depuis plusieurs années après une crise sanitaire et, plus récemment, une vague simultanée de grippe et de bronchiolite.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici