Payer plus pour être soigné plus vite, la pratique controversée de certains hôpitaux (analyse)
A l’heure où il faut souvent attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous auprès d’un spécialiste, certains hôpitaux n’hésitent pas à demander un supplément aux patients qui souhaiteraient être soignés plus rapidement. Une pratique qui existe depuis de nombreuses années, mais qui pose pour le moins question.
« J’ai voulu prendre un rendez-vous avec un spécialiste de l’UZ Brussel. Il n’y avait pas de possibilité avant quatre mois, à moins de payer un supplément de 35 euros », témoigne une patiente. « Si j’avais accepté de payer, j’aurais eu un rendez-vous beaucoup plus rapidement », ajoute-t-elle. Le système est pratiqué dans plusieurs hôpitaux du pays.
Selon Karolien De Prez, porte-parole à l’UZ Brussel, la pratique est liée au statut de convention des médecins. « Nous avons des médecins qui font des consultations dans des polycliniques, ou même des cliniques privées et qui travaillent sous un statut différent en dehors de l’hôpital. A l’hôpital, il n’y a pas de supplément », explique-t-elle, précisant que le statut de chaque médecin est signalé sur le site web de l’hôpital. Elle rappelle aussi que pour les soins urgents, il y a moyen de passer par les urgences ou par le médecin généraliste qui peut prendre rendez-vous pour son patient.
En 2016, l’émission de la RTBF Questions à la une dévoilait déjà cette pratique. On y voyait le témoignage d’une mère d’une petite fille de 18 mois souffrant d’un problème de marche. La maman avait contacté un spécialiste de l’hôpital La Citadelle à Liège qui lui avait proposé deux types de rendez-vous: soit une consultation « classique », soit une consultation 8 mois plus tôt, mais à double tarif.
Une pratique inadmissible
Pour Solidaris, la pratique est inadmissible et fait croire aux gens que s’ils paient plus, ils seront mieux soignés. En outre, le système valorise les personnes aux revenus plus élevés alors que les citoyens les plus démunis ont souvent la santé plus fragile. « Bien souvent, le patient n’a pas d’exigence particulière qui justifierait la facturation d’un supplément », observe Bruno Deblander, directeur de communication de Solidaris.
La Mutualité chrétienne rappelle que les médecins non conventionnés sont libres de facturer des suppléments d’honoraires. « En principe, chaque patient doit être traité de la même manière. Cela signifie également que les patients doivent avoir un accès égal aux soins. Dans la pratique cela peut différer parce que le patient souhaite être traité par un médecin spécifique, ou à des tarifs conventionnés ».
Elle précise que dans le contexte ambulatoire et hospitalier, les heures au tarif conventionnel sont limitées, car, pour certaines spécialisations, il y a peu de médecins conventionnés. « Même les médecins partiellement conventionnés n’ont que des heures spécifiques où ils travaillent au tarif conventionnel. Si ces heures sont rapidement remplies, un médecin peut donc dire : ‘Je peux vous traiter plus tôt, mais ce sera à un tarif plus élevé’, car il pourra alors facturer des suppléments d’honoraires. Le patient ne peut pas forcer le traitement au tarif conventionné ».
« Pour des soins accessibles, il est important qu’il y ait suffisamment de médecins conventionnés disponibles, notamment pour éviter, en pratique, que les patients moins fortunés aient à attendre pour être soignés », conclut le porte-parole de la MC.
48 euros pour une consultation
Pour l’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) la pratique est liée à un sous-financement de la profession de médecin. « Aujourd’hui, les consultations auprès d’un médecin généraliste sont à 27 euros. Si l’on avait suivi l’inflation normale, nous serions à 48 euros. Nous reprochons à l’état de ne pas rembourser suffisamment, mais aussi qu’il limite les suppléments d’honoraires ».
« Pour des raisons idéologiques, on essaie de diminuer ou d’éviter les suppléments d’honoraires alors que l’état ne supplée par pour amener les consultations à un bon niveau », explique Johan Blanckaert, président de l’ABsym.
Selon lui, le tarif conventionné est nettement insuffisant. « Ce n’est pas un hasard s’il y a eu une grève en France cette semaine pour ramener la consultation à 50 euros. Nos calculs sont similaires à ceux des pays voisins. On demande de plus en plus aux médecins qui font les consultations (vidéophonie, téléphonie, travailler à distance). Tout cela est bien beau, mais nous sommes confrontés à une hausse d’investissements, alors que le prix de la consultation n’augmente pas », ajoute Johan Blanckaert.
Un tarif proche d’un garagiste ou d’un jardinier
« Il est regrettable que la situation ne s’améliore pas pour les citoyens, voire qu’elle puisse s’aggraver, tant que les réformes courageuses ne sont pas entreprises pour assurer une valorisation correcte des prestations médicales. Avec des consultations à quelque 25 euros, même avec 3 patients par heure, le tarif des médecins n’est plus différent de celui des autres prestataires de soins et devient proche de celui du garagiste ou du jardinier. Il n’est pas étonnant dès lors que la disponibilité et/ou l’expertise soient offertes à un autre tarif », renchérit Gilbert Benjjani, vice-président de l’ABSyM, et président de l’ABSyM Bruxelles.
Il estime toutefois « inacceptable de voir ces pratiques exister chez des médecins conventionnés, dans certaines institutions, et cela sans aucune transparence dans la pratique. Un médecin conventionné doit respecter le tarif de la convention, sauf dans certaines conditions bien spécifiques. Il faut respecter les règles du jeu. Déjà que les médecins conventionnés et non conventionnés ont un traitement similaire lors du séjour hospitalier puisque l’honoraire ne dépend plus que du choix de chambre, un choix hôtelier payant pour l’institution de soins, il n’est pas concevable de retirer la liberté tarifaire aux médecins non conventionnés », déclare-t-il.
La semaine dernière, l’ABSyM a d’ailleurs annoncé qu’elle envisageait d’engager une procédure juridique contre un projet de loi interdisant tout supplément d’honoraires pour les patients bénéficiant d’une intervention majorée. Le syndicat estime que cela revient à « imposer des tarifs conventionnés aux médecins non conventionnés et fragilise ainsi tout le système de la convention ».
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