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Patrick Demoucelle, ex-dirigeant atteint de Parkinson: «Je m’en fous de trembler, je veux qu’on trouve un remède!»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Depuis dix-huit ans, Patrick Demoucelle, ex-dirigeant de haut niveau, livre un incroyable combat contre la maladie de Parkinson. Se surpassant pour qu’un remède à la maladie soit enfin trouvé.

Au début, ce fut «comme si un nerf était coincé, dans la jambe gauche». Et une douleur au coude, gauche aussi. Pas insupportable, mais obstinée. On était en 2005, et la vie de Patrick Demoucelle bouillonnait comme les rapides de la rivière Little White Salmon, dans l’Etat de Washington, aux Etats-Unis. Deux enfants, en très bas âge – Arnaud, 3 ans, et Magdelaine, 2 ans. Anne-Marie Roumieux, sa compagne, qui dirigeait trois cents personnes chez Allianz Belgique. Et lui, vice-président chez Bain & Company, parmi les leaders mondiaux du conseil en stratégie et management. C’était la cavalcade permanente. Horaires de dingue, voyages en boucle – «J’ai fait trois fois le tour du monde physique, avec des trajets Tokyo-San Francisco-New York-Bruxelles et puis ça recommençait» – , réunions, restos avec les clients, réceptions, amis. Une course contre le temps, échevelée, mais avec vent favorable, celui qui souffle dans le dos. Patrick Demoucelle va alors avoir 40 ans et s’il dit aujourd’hui que «c’était l’enfer», c’est parce qu’il n’y avait aucun répit, pas de place pour la contemplation, toujours quelque chose à faire, mais c’était ce qu’ils avaient choisi, avec Anne-Marie: gravir les échelons dans leur carrière, vite, après leur diplôme d’ingénieur commercial à Solvay, viser haut, gagner bien, vivre fort. La feuille de route était respectée. Les planètes parfaitement alignées. «On croyait que le monde nous appartenait.»

Quand je veux bouger, mon corps ne bouge pas. Quand je ne veux pas bouger, il bouge.

Juste, cette jambe et ce coude, côté gauche. L’overbooké Patrick se résout donc à consulter. Plusieurs médecins, sur plusieurs semaines, parce qu’on ne trouve pas. «Il y en a même un qui m’a dit que c’était un tennis elbow, sauf que je suis droitier et que je ne jouais pas au tennis.» Jusqu’à ce qu’un autre aborde autrement le cas: «Si ce n’est pas le système externe, c’est le système central.» On passe donc au scan du cerveau, «dans une machine paniquante, on est couché dans un scaphandre, un cylindre, avec une lanière de cuir qui empêche de bouger, pendant quarante minutes». Le diagnostic est censé être donné quelques jours plus tard, «mais l’assistant m’a dit: “Monsieur, vous avez la maladie de Parkinson. Vous avez encore douze bonnes années devant vous”. Le lendemain, le neurologue me l’a confirmé.»

«Je m’en fous que je tremble, je veux un remède»

Patrick et Anne-Marie n’en parlent à personne, mais ils n’y croient pas. Autres consultations, autres spécialistes, autres scanners. Pour le même diagnostic. «On est restés un an sans le dire. Puis on a informé nos parents. Au bout de deux ou trois ans, on a changé de job, tous les deux, on a créé notre boîte de conseils et consultance, plus motivationnelle, inspirante, humaine, et on l’a annoncé à tout le monde.» Ils recommencent donc à zéro. Avec Parkinson en hôte permanent. Arnaud et Magdelaine l’apprennent à 9 et 8 ans, «aux sports d’hiver, où on allait chaque année: c’était la première fois que je ne savais plus skier, parce que ça demande une coordination parfaite». Arnaud demande s’il en souffrira aussi. Magdelaine, quand son papa va mourir. «En fait, ils ne m’ont jamais connu qu’avec ça.»

Son rève? «Faire un triathlon olympique.» Un exploit réalisé, chez lui, après un an de préparation.
Son rève? «Faire un triathlon olympique.» Un exploit réalisé, chez lui, après un an de préparation. © HATIM KAGHAT

«Ça», c’est une belle saloperie de maladie. Parkinson, qui vous tue les cellules du cerveau productrices de dopamine, ce qui vous dérègle complètement le système de contrôle des mouvements, qui altère votre mémoire, votre langage, votre humeur. On considère que 8,5 millions de personnes en sont atteintes dans le monde, dont plus de 40 000 en Belgique. «Les prévisions tablent sur un doublement de cas dans les 25 prochaines années.» Une maladie «dégénérative», donc qui ravage progressivement. Et, jusqu’ici, inexorablement, sans rémission, puisqu’il n’existe aucun médicament qui en vienne à bout. «On peut juste le ralentir, masquer ses effets, soulager temporairement les douleurs, mais le mal continue à d’évoluer», résume Anne-Marie.

C’est pour ça que le couple a fondé, en 2010, la Demoucelle Parkinson Charity, une fondation qui finance la recherche d’un remède. Parce que, assène Patrick, «je m’en fous des symptômes, je m’en fous que je tremble, que je ne sache pas bien parler! Je veux qu’on trouve un remède! Qu’on puisse guérir de Parkinson!»

«Do it!»

S’en foutre, des symptômes, c’est une formule. Parce qu’ils sont lourds et que Patrick raffole des phrases qui font office de bouées et de moteurs – les murs de sa salle d’entraînement, au garage, en sous-sol de la maison familiale, à Kraainem, en sont d’ailleurs tapissés. Il y a, notamment, en lettres blanches sur fond noir, «Don’t be afraid to fail, be afraid not to try» («Ne crains pas de rater, crains de ne pas essayer»). Un slogan très business et très «pensée positive», mais pas du tout une posture: ce type-là a beau avoir été foudroyé en plein vol par le sort – généralement, la maladie se déclare à partir de 65 ans, pas à 40 –, ce type-là a beau expliquer que «quand je veux bouger, mon corps ne bouge pas et quand je ne veux pas bouger, mon corps bouge», ce type-là a beau prendre treize médicaments tous les jours – pour injecter de la dopamine, pour tempérer la dyskinésie, pour ralentir la progression de Parkinson –, dont deux piqûres d’apomorphine dans le ventre ou les épaules, qui boostent pendant une demi-heure la dopamine naturelle qui reste dans le corps («Ça fait, depuis cinq ans, 2 500 piqûres, donc ma peau est une vraie passoire»), ce type-là a beau avoir renoncé à toute vie sociale hors ses murs – «Au restaurant, tout le monde me regarde ; un jour, quand je traversais la rue, un type en voiture s’est arrêté pour me crier “handicapé”. Pour les vacances, on part en voiture, comme l’été passé, à Arcachon, dans une petite maison qu’on loue» –, ce type-là continue de se battre comme dix lions.

A «faire». Pour qu’on terrasse finalement Parkinson. Et pour vivre, envers et contre tout, selon son credo: «Je ne veux pas être un inspirateur, je veux être un pionnier. Montrer que c’est possible. Faites les choses, ne vous plaignez pas. Do it!»

Do it, comme le nom de code de son dernier défi en date: DO-IT, pour distance olympique indoor triathlon. C’était le 7 avril dernier, quatre jours avant la Journée mondiale de la maladie de Parkinson. Chez lui. Dans la salle de sport aménagée et encadrée des phrases motivantes. Un vrai triathlon: 1 500 mètres sur un rameur d’aviron (à la place du premier kilomètre et demi traditionnel à la nage), quarante kilomètres à vélo, mais sur un engin stationnaire, et dix kilomètres à courir, mais sur un cross-trainer elliptique. Ce n’était pas pour récolter de l’argent, mais «pour montrer aux gens qu’on peut», encore et encore. Et pour donner une réponse à une interrogation fondamentale, existentielle, universelle: «Je n’ai plus le contrôle de mon corps mais j’ai celui de mes rêves ; et mon rêve est de faire un triathlon olympique. On verra qui est le plus fort: mes rêves ou mon corps?»

Avec Anne-Marie, son épouse, ils ont développé la «théorie des trois O»: objectivité, ouverture d’esprit et optimisme.
Avec Anne-Marie, son épouse, ils ont développé la «théorie des trois O»: objectivité, ouverture d’esprit et optimisme. © ID/ WOUTER VAN VOOREN

1 heure, 51 minutes, 45 secondes

On a vu. Patrick Demoucelle s’était préparé durant un an, avec notamment, et surtout, en tant que coach, Jean Cornet, ami fidèle et athlète averti. «J’étais bien entraîné. Avec Jean, on avait tout planifié pour que je sois à mon pic de forme le jour J.» L’objectif était de boucler le triathlon en deux heures. Un huissier était présent pour vérifier et valider la performance. Cédric Van Branteghem, le CEO du Comité olympique et interfédéral belge (COIB), est venu en soutien. Comme la Vlaamse Parkinson Liga et plusieurs associations regroupant des personnes touchées par la maladie. La maman de Patrick était là, Magdelaine aussi, Anne-Marie évidemment, d’autres membres de la famille, des amis, le bourgmestre de Kraainem…

La lumière ne se rapproche pas, j’ignore si je l’atteindrai mais il faut y croire.

Jean, «très calme, rassurant», prenait le pouls, au cou, toutes les trois ou quatre minutes. «Il m’a fait ralentir, deux fois, pour la deuxième tranche du rameur et la deuxième tranche de cinq kilomètres à vélo, j’allais trop vite, “tu vas pas tenir”.» Ça a été dur. Terrible. «Je n’ai eu aucune blessure mais j’avais mal partout. J’ai dû faire six minutes d’interruption entre vélo et course à pied, pour m’allonger et me faire masser les jambes.» C’est que le braquet poussé était «gigantesque», situe Jean Cornet. «Résistance 32, il a roulé à du 36 km/heure.» Patrick minimise: «Oui mais, en intérieur, on ne doit pas affronter de vent, et c’est tout plat.» Quand même: il a bouclé les trois épreuves en 1 heure, 51 minutes, 45 secondes! «Je m’hydratais tout le temps et je prenais des gels tous les quarts d’heure, au guarana, au coca, au sucre, dont un qui s’appelle Coup de fouet: en deux minutes, tu fais le plein d’énergie, je sais pas ce qu’ils mettent dedans.»

Magdelaine, aujourd’hui en deuxième bachelier de droit à la KU Leuven – Arnaud est, lui, en avant-dernière année d’ingénieur civil, cursus qu’il suit, en chinois, à l’université de Shanghai –, dit que son père «est le plus ambitieux de nous tous», qu’«il les tire vers le haut». Gianni Franco, neurologue réputé, explique que «l’activité sportive facilite la plasticité cérébrale et réduit les phénomènes oxydatifs et inflammatoires, qui provoquent la perte neuronale» ; que Parkinson, «diminuant la performance du mouvement, troublant le sommeil, déstabilisant l’humeur et déclenchant de l’hypotension», fait que la personne atteinte «est mal et a tendance à ne plus bouger. Et penser aussi qu’elle ne peut plus bouger». Patrick a démontré qu’elle le peut.

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Le sol et la voûte

Le 27 mai dernier, il a bouclé les 20 km de Bruxelles, avec 365 autres coureurs et coureuses en tee-shirt rouge floqué «Run, or Walk, for Parkinson». «Je cours trois kilomètres, puis j’en fais deux en buggy, puis de nouveau trois en courant, deux en buggy, et ainsi de suite.» Ça a rapporté 85 000 euros à la recherche pour un remède, via la Fondation, qui financera aussi, dès la rentrée de septembre, le salaire et les frais de fonctionnement, pendant quatre ans, d’un étudiant en Flandre commençant son doctorat sur la recherche en matière de Parkinson (pareil en Fédération Wallonie-Bruxelles dès 2025) et qui lancera, l’année prochaine, un prix de 1 000 euros attribué au meilleur mémoire, de toutes les universités belges, consacré à la maladie.

Prochain défi? «Là, j’arrête un petit peu. Jusqu’à la fin de l’année.» Mais les conférences qu’il donne avec Anne-Marie, dans des entreprises notamment, continuent. Leur philosophie se retrouve dans Positif, leur livre publié en 2014 chez Racine et dans lequel ils développent leur «théorie des trois O»: objectivité, ouverture d’esprit et optimisme. «Même quand un gros contretemps, très, très, très lourd, vous tombe dessus.» Patrick raconte d’ailleurs qu’au téléphone, il y a une dizaine d’années, Michael J. Fox, l’acteur parkinsonien depuis 1991, lui a dit: «Ne pense pas que ceci est la fin de ta vie. C’est le début d’une deuxième, où tu apprends à découvrir ton corps, à marcher, dormir et vivre différemment.» Lui-même confesse adorer «cette phrase incroyable, de Confucius: “On a deux vies et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une.”»

Sa deuxième, à lui, garde pourtant l’allure de course perpétuelle contre la montre: «Ça fait 18 ans que je me dis qu’on va trouver un remède. Je suis comme un spéléologue, dans une grotte et avec la lumière au bout. Mais le couloir se rétrécit. J’étais d’abord debout, puis accroupi, puis j’ai dû me coucher, puis ramper. Je suis maintenant coincé entre le sol et la voûte. La grotte est dix ans plus longue que ce que je croyais, la lumière ne se rapproche pas, j’ignore si je l’atteindrai mais il faut y croire.»

Souvent, la nuit, dans son lit, «où je passe huit heures mais seulement trois à dormir, à cause des tremblements, des muscles qui font mal tellement ils bougent et du cerveau où des balles de ping-pong rebondissent non stop», il n’y croit plus. Mais dès le matin, sa rage de vivre et de faire reprend le dessus. Et puis, «j’ai une femme exceptionnelle, deux enfants incroyables, plein de vrais amis. Je ne vais pas me plaindre, hein.»

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millions de personnes sont atteintes de la maladie de Parkinson dans le monde, dont plus de 40 000 en Belgique.

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