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Ozempic: quels autres médicaments sont parfois détournés de leur usage ?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Jeudi dernier, le fabricant d’Ozempic Novo Nordisk annonçait que plusieurs versions de son médicament étaient en rupture de stock. En cause, une explosion de la demande due à ses effets sur la perte de poids. L’Ozempic n’est toutefois pas le seul médicament à être utilisé off label. D’autres médicaments, tels que Viagra, Diane 35 ou encore Avastin, sont parfois détournés de leur usage.

Ozempic

A base de sémaglutide, Ozempic réduit la teneur en sucre dans le sang tout en supprimant l’appétit. En Belgique, il n’est disponible que sur ordonnance. Fin septembre, l’Agence fédérale des médicaments et produis de santé (AFMPS) a averti d’une pénurie et a appelé les médecins et les pharmaciens à ne prescrire Ozempic qu’aux patients atteints de diabète.

« L’Ozempic est indiqué pour les patients diabétiques de type 2, atteints d’une surcharge pondérale ou d’obésité. Il y a quelques mois, le sémaglutide, principe actif de l’Ozempic, a obtenu une nouvelle indication pour l’obésité sans diabète, mais il il sera commercialisé sous un autre nom et à d’autre dosages. Cette spécialité n’est pas encore disponible en Belgique. Il s’agit donc d’un usage détourné, car comme Ozempic fait perdre du poids, les patients non diabétiques veulent l’utiliser. C’est un usage largement favorisé par la publicité sur les réseaux sociaux », explique Anne Spinewine, professeure à la Faculté de pharmacie et des sciences biomédicales à l’UCLouvain et pharmacienne hospitalière au CHU UCL Namur.

A l’instar de l’AFMPS, l’Association du Diabète craint que cette ruée sur l’Ozempic soit néfaste pour les patients diabétiques. « Il est clair que si les prescriptions hors diabète se multiplient, les personnes diabétiques seront privées d’une thérapie majeure qui a fait ses preuves, en réduisant les complications cardiovasculaires et rénales liées à la maladie. Ce recul thérapeutique, particulièrement dommageable, aura inévitablement des conséquences sur les personnes affectées par la maladie », met en garde l’association. Aussi exhorte-t-elle les personnes concernées à « adopter dès à présent un comportement responsable et en phase avec les recommandations émises, afin d’éviter un recul thérapeutique inacceptable ».

Le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, souhaite prendre un Arrêté Royal pour réserver le médicament Ozempic aux patients atteints de diabète.

Viagra

En 1998, le laboratoire Pfizer découvre que le Viagra, initialement développé pour traiter l’hypertension et l’angine de poitrine, ou citrate de sildénafil, a un effet secondaire inattendu : dès les premiers essais cliniques, les hommes constatent une amélioration de leurs érections.

Cependant, le Viagra ne sert pas à soigner les troubles de l’érection: dans le cadre du traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire, certains médecins prescrivent du Viagra au lieu du Revatio, beaucoup plus cher que le premier.

Periactine

Sur les réseaux sociaux, des femmes qui se trouvent « trop maigres » vantent les mérites d’un médicament antiallergique qu’elles détournent pour prendre rapidement du poids et surtout « des fesses ». Un objectif qu’elles atteignent au moyen d’un médicament en vente libre à moins de 10 euros la boite: le Periactine (du laboratoire Teofarma). « Moi qui ne mangeais plus, j’ai tout le temps faim, même dans mon lit je mange », témoigne l’une d’elle. « Ça marche trop bien, ça fait grossir tout de suite ». Les photos avant/après attestent de prises de poids spectaculaires en quelques semaines seulement. Le problème c’est que la Periactine (qui a pour principe actif la cyproheptadine) n’est pas un complément alimentaire mais un médicament destiné aux personnes allergiques.

La cyproheptadine est un « médicament très ancien, commercialisé en France depuis les années 60 », qui a été dépassé par des molécules bien plus performantes et n’est plus prescrit », explique à l’AFP Laurent Chouchana, en charge de la pharmacovigilance de cette molécule et membre de la SFPT (Société française de Pharmacologie et de Thérapeutique).

Jusqu’en 1994, le médicament était indiqué « pour la stimulation de l’appétit chez les malades présentant une diminution de l’appétit accompagnée d’une perte de poids », indication retirée du fait notamment d’une balance bénéfice/risques mal évaluée, précise-t-il. Les molécules qui agissent sur le poids sont particulièrement surveillées pour leur mésusage potentiel, ajoute le Dr Chouchana.

Avastin

Utilisé contre différents cancers, notamment les cancers métastatiques du gros intestin et du sein, l’Avastin est également utilisé comme traitement de la dégénérescence maculaire. Il existe un médicament pour soigner cette affection, mais celui-ci est beaucoup plus cher.

L’Avastin se trouve d’ailleurs au cœur d’une affaire de non-respect des règles de concurrence. Fin janvier, l’Autorité belge de la concurrence a décidé d’infliger une amende de 2,78 millions d’euros à la firme pharmaceutique Novartis pour abus de position dominante. Selon l’autorité, Novartis détenait, entre novembre 2013 et fin 2015, une position dominante collective avec le groupe Roche sur ce marché. La firme disposait d’un contrat conclu avec le gouvernement pour commercialiser un médicament concurrent plus cher, le Lucentis. Et elle a continué à mettre en garde les ophtalmologues, hôpitaux et autorités réglementaires contre les risques d’un usage off label d’Avastin. Novartis a réfuté ces allégations.

« Quand on voit les différences de prix, il paraît parfois révoltant de devoir payer cher un médicament alors qu’il existe sous une autre spécialité beaucoup moins chère pour une autre indication », souligne Anne Spinewine.

Diane 35

Utilisé « pour traiter des maladies de peau telles que l’acné, associée ou non à une peau très grasse, et la pilosité excessive chez les femmes en âge de procréer », Diane 35 est aussi prescrit comme contraceptif oral. Bayer, l’entreprise qui le commercialise, préconise cependant de prendre la Diane 35 uniquement si les autres traitements anti-acnéiques, notamment les traitements locaux et les antibiotiques, n’ont pas permis d’améliorer l’acné.

En raison du risque thromboembolique connu, la Commission européenne a restreint l’utilisation de Diane 35 et de ses génériques au traitement de seconde intention de l’acné modérée à sévère liée à une sensibilité aux androgènes (associée ou non à une séborrhée) et/ou de l’hirsutisme, après échec d’un traitement topique ou de traitements antibiotiques systémiques, chez les femmes en âge de procréer.

Antibiotiques

Il arrive aussi régulièrement que les infectiologues prescrivent des antibiotiques pour une utilisation non reprise dans la notice. « Cela ne signifie pas que ces médecins font n’importe quoi, mais qu’ils savent qu’ils l’utilisent contre une bactérie sensible à cet antibiotique particulier. C’est le cas de plusieurs antibiotiques », souligne Anne Spinewine.

Pourquoi les entreprises pharmaceutiques n’autorisent-elles pas le second usage si celui-ci est généralisé? « Au départ, les études sont réalisées dans le cadre de certains types d’infections bien particulières, pour lequel la firme obtient une autorisation de mise sur le marché. Soit il y a de nouvelles études qui arrivent après, soit il n’y a pas suffisamment d’études pour élargir la notice. Mais finalement, tout ce que veut le médecin, c’est un antibiotique efficace contre la bactérie, que cette utilisation figure dans la notice ou pas. Pour certains antibiotiques, l’usage off label est tout à fait courant, et cela ne signifie pas forcément qu’il est mauvais », déclare la professeure.

C’est également la position de l’AFPMS. « Pour une extension de l’indication d’un médicament autorisé, l’entreprise doit soumettre une demande de variation étayée par des données montrant que le rapport bénéfice/risque du médicament pour cette nouvelle indication est positif. Des essais cliniques sont généralement nécessaires pour le démontrer. Le fait qu’un médicament soit utilisé off-label ne suffit pas à lui seul à confirmer un rapport bénéfice-risque positif. Le choix revient donc à l’entreprise de décider si elle souhaite investir dans la documentation de la nouvelle indication ou non », estime l’agence.

L’Agence du médicaments souligne l’importance du consentement du patient en cas d’usage détourné du médicament. « Le patient ou son représentant doit être informé à propos de la prescription « off-label« , des effets secondaires ainsi que des avantages et inconvénients du médicament. Dans des usages documentés scientifiquement mais non encore confirmés en pratique clinique courante, le patient doit donner son accord« .

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