Origines du Covid: le mystère reste entier
Où est né le Sras-CoV-2? D’où vient-il? Quand et comment a-t-il été transmis à l’homme? Un an après, le mystère demeure entier sur son origine. Son issue semble encore loin.
Ils sont rentrés bredouilles, ou presque. Les enquêteurs internationaux mandatés, en janvier dernier, par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), pour identifier la source originelle de l’épidémie, n’ont ramené aucun résultat concluant. Qui y croyait? Pékin aurait canalisé leur visite: selon des informations du New York Times, relayées par Le Monde, l’équipe d’experts spécialistes des maladies infectieuses, bien que réputés, a été validée par les autorités chinoises elles-mêmes. Sur le terrain, elle a dû se contenter des travaux déjà menés par la Chine, sans pouvoir les reproduire. Donc, sans pouvoir réellement investiguer. Jamais un virus n’a été autant étudié, décrypté, analysé. Pourtant, près d’un an après la déclaration officielle de l’émergence du Sras-CoV-2, les chercheurs ignorent encore d’où il vient, et dans quelles circonstances il a franchi la barrière d’espèce.
Surveiller constamment, écouter les rumeurs de maladies émergentes locales pour pouvoir, dès le début d’une épidémie, la contrôler et l’enrayer.
Le saurons-nous un jour? La question continue de mobiliser, partout, des microbiologistes et des généticiens. « A ce jour, on n’exclut rien », note d’emblée Eric Muraille, immunologiste et biologiste au laboratoire de parasitologie de l’ULB. De quoi est-on sûr? « Les travaux de phylogénétique conduits sur l’histoire évolutive du SARS-CoV-2 montrent que le virus qui circule aujourd’hui sur tous les continents est originaire d’une souche apparue en Chine, sans doute à l’automne 2019 », poursuit le spécialiste. Il semble acquis que l’animal « réservoir » du nouveau coronavirus est une espèce de chauve-souris vivant dans le sud de la Chine ou l’Inde. Mais l’hôte intermédiaire éventuel, l’animal qui serait le tremplin biologique grâce auquel le Sras-CoV-2 aurait pu transiter de la chauve-souris à l’humain, reste introuvable. Rien n’accuse le pangolin ni un autre animal.
Certes, le coronavirus qui infecte le pangolin présente à sa surface des « spicules » presque identiques à celui du Sras-CoV-2 humain. Mais, aujourd’hui, pour la plupart des chercheurs, cette piste apparaît caduque. D’abord, la proximité génétique entre les deux virus n’est pas si grande que ça. Oui, il existe des similitudes au niveau de la protéine de spicule, celle-là même qui permet au virus de pénétrer dans l’organisme en se fixant sur l’enzyme ACE 2. Mais ce point commun n’est pas suffisant pour affirmer que ces deux virus ont une origine récente commune. Des données plus précises, fournies par l’OMS, sur les premières infections identifiées au début de l’épidémie signalent, en outre, que seuls 60% sont directement liées au marché de Wuhan. Enfin, ce schéma de transmission du virus entre le petit mammifère braconné et vendu sur les marchés chinois et la chauve-souris ne tient pas. « Le modèle le plus réaliste pour qu’il y ait passage d’un virus entre espèces, ce sont des échanges fréquents, nombreux, prolongés », explique Eric Muraille. Plus les animaux vivent proches, plus le risque de transfert augmente. Difficile d’imaginer cela concernant le pangolin, animal sauvage, solitaire, difficile à élever en ferme, à cause notamment de son régime alimentaire reposant sur les fourmis et les termites. Bref, il n’est pas le candidat idéal pour démarrer une épidémie.
Revenons à la chauve-souris. Très tôt, en février 2020, l’équipe scientifique de l’institut de virologie de Wuhan retrouve dans son immense collection d’échantillons un virus très proche du Sras-CoV-2, baptisé RaTG13. Il avait été prélevé, en 2013, sur une chauve-souris insectivore du Yunnan, à plus de 1 500 km de là. Mais si le RaTG13 est à ce jour le virus le plus proche qu’on connaisse du Sars-CoV-2, il ne lui correspond qu’à 96% – c’est encore moins qu’entre l’homme et le chimpanzé. D’ailleurs, 4% de différence sur un génome de plus de 30 000 nucléotides, ça représente quelque 1 200 nucléotides séparant les deux virus. Autrement dit, le Sars-CoV-2 ne descendrait pas du RaTG13. Ce sont plutôt des cousins qui ont divergé d’un même ancêtre commun il y a plusieurs décennies.
Le mystère demeure entier. Et si la transmission était directe, carrément de la chauve-souris à l’homme? L’hypothèse est théoriquement possible, du moins in vitro. Mais aucune épidémie liée à la transmission directe de la chauve-souris à l’homme n’ayant été démontrée à ce jour, les spécialistes pensent que l’hypothèse la plus probable reste tout de même une transmission via un hôte intermédiaire, au sein duquel les virus peuvent évoluer, puis être sélectionnés vers des formes susceptibles d’infecter des cellules humaines.
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Quelles sont, dès lors, les autres pistes? « Au début, c’est vrai, on a focalisé sur les animaux sauvages, imaginant que ce coronavirus est originaire de la faune sauvage comme tant d’autres pathogènes émergents », explique l’immunologiste. L’idée semble réaliste, au regard de l’histoire des épidémies récentes. Ce fut le cas pour le VIH, les grippes aviaires H5N1, Ebola ou encore le Mers. A mesure que les explications avancées dès le mois de janvier sont ébranlées par de nouvelles données, des experts pensent que l’hôte intermédiaire est à chercher dans les animaux d’élevage. C’est dans ces contextes que l’on trouve les meilleures conditions pour une contamination inter-espèces. En Chine, la proximité de fermes géantes avec la faune sauvage ne fait qu’augmenter le risque épidémique. « Si l’on regarde ce qui se passe dans les élevages de visons et la facilité avec laquelle le virus s’y propage, on pourrait imaginer que cet animal ou un de ses semblables aurait pu jouer un rôle dans le démarrage de la pandémie », souligne Eric Muraille. Qui poursuit: « En réalité, la recherche reste frustrée, parce que depuis près d’un an, elle a collecté peu de nouvelles informations. Elle est bloquée, elle manque de données, poursuit Eric Muraille. On ignore si la Chine enquête sur l’animal source. Si elle le fait, on ignore alors si elle communiquera sur ses résultats. »
Quel est l’intérêt de connaître la source originelle du Sras-CoV-2? Reconstituer le point de départ n’est pas une curiosité scientifique. Ce travail peut paraître moins spectaculaire, plus ingrat, que la mise au point de vaccins et de traitements efficaces, mais il semble plus fondamental encore. « Ce qui va sauver encore plus de vies est la prévention de la transmission du virus, déclare Gary Wong, professeur à la faculté de médecine de l’université Laval, au Québec. Pour cette raison, trouver la source est essentiel si l’on veut adopter des mesures de santé publique qui préviendront de nouvelles éclosions. Sinon, la maladie pourrait connaître de nouvelles flambées là où on la croyait endiguée. » Ou réapparaître là où on ne s’y attend pas.
Tous les Etats gèrent mal la pandémie et se révèlent incapables de la contenir. C’est le plus inquiétant!
C’est ce qu’on a oublié, négligé dans cette pandémie. Didier Sicard, professeur émérite d’infectiologie à la Sorbonne, en est convaincu: la lutte contre la multiplication des épidémies passe par un retour sur le terrain. « Avec le développement de la génétique, trop de chercheurs ont cru qu’ils allaient pouvoir résoudre l’ensemble des problèmes sanitaires sans sortir de leur laboratoire. » Recenser ces virus, savoir où ils vivent et cartographier les zones à risque, connaître leurs cycles annuels et leurs variations saisonnières, le mode de vie de leur hôte principal et ses interactions au sein de l’écosystème… Tout cela suppose des programmes d’observation de long terme impliquant virologues, vétérinaires, biologistes ou encore spécialistes des sciences humaines. Avec le recul historique, les scientifiques commencent d’ailleurs à pouvoir isoler les facteurs aggravants, des conditions qui favorisent l’apparition d’une épidémie et qui ne font guère plus de doutes. « Les moteurs de l’émergence d’une nouvelle maladie infectieuse sont des changements affectant le climat, l’exploitation agricole (la déforestation), les comportements humains (les déplacements, les migrations, les marchés d’animaux vivants et sauvages) », liste Emmanuel André, médecin microbiologiste à la KULeuven. L’épopée de la pandémie d’Ebola en a fourni une éclatante confirmation. Apparu en 1976 et d’abord circonscrit à l’orée des forêts, le virus n’a cessé de voir sa dangerosité croître à mesure qu’il a passé les frontières, touché le Liberia, la Sierra Leone voisine et menacé l’Europe et les Etats-Unis. « Car le virus avait emprunté d’autres routes, celles des humains, en l’occurrence, il avait atteint les centres urbains, les grandes villes, où la densité de la population se révèle forte, et gagné un potentiel de contagion cataclysmique. »
Cellules antiterroristes
Selon un rapport, publié le 29 octobre 2020, par le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (Ipbes, l’équivalent pour la biodiversité de ce que le Giec est au climat), à terme, le monde pourrait connaître une pandémie tous les dix ans. « Notre approche n’est pas la bonne », écrit l’un de ses auteurs, Peter Daszak, spécialiste des maladies infectieuses, à la tête d’EcoHealth Alliance, organisme américain dédié à la recherche sur la prévention des épidémies. Le chercheur préconise une approche à l’égard des pandémies similaire à celle des cellules antiterroristes. « Il faut faire exactement le même travail, c’est-à-dire surveiller constamment, écouter les rumeurs de maladies émergentes locales pour pouvoir, dès le début d’une épidémie, la contrôler et l’enrayer. Aujourd’hui, nous ne faisons qu’attendre que les épidémies se développent et circulent. »
La question est d’autant plus importante, qu’un virus peut circuler très longtemps chez un hôte intermédiaire avant de pouvoir infecter l’humain. Ainsi le Mers était déjà présent chez les dromadaires dans les années 1960, soit cinquante ans avant de contaminer les hommes. Les repérer avant qu’il n’acquière la capacité de se transmettre efficacement dans la population humaine permettrait de prendre une avance précieuse. Un temps mis à profit pour développer des traitements et des vaccins.
Pour comprendre la genèse du Sars-Cov-2, il faut donc collecter des échantillons chez des espèces sauvages ou domestiques. « Mais il n’y a aucune donnée sur l’état des lieux de l’élevage en Chine, regrette Didier Sicard. Nous n’avons guère d’informations sur les élevages en cours au début de l’épidémie à l’automne 2019. »
De fait, cette approche implique de conduire une gestion globale, une collaboration internationale, et de mener des programmes de santé publique communs à l’homme et à l’animal. « Tous les Etats gèrent mal la pandémie et se révèlent incapables de la contenir, s’agace Eric Muraille. C’est le plus inquiétant! » Comme lui, d’autres experts plaident depuis longtemps pour lancer un conseil intergouvernemental sur la prévention des pandémies afin de fournir aux décideurs les meilleures données scientifiques sur les maladies émergentes ; rédiger des accords internationaux fixant des objectifs contraignants ; renforcer l’application des lois sur le trafic d’espèces sauvages ; enfin, la création d’une « police sanitaire internationale. « On a vu ce que donne cette crise alors qu’on est face à un virus qui induit une faible mortalité. On peut se retrouver à l’avenir face à des pathogènes beaucoup plus mortels. C’est une question de survie », conclut l’immunologiste. On s’en voudrait, pour finir, de jouer les « affoleurs du peuple ». Mais ce que les experts craignent le plus, ce qui reste leur pire cauchemar, c’est la grippe. L’histoire de la grippe aviaire H7N9 semble leur donner raison. En 2013, pour la première fois, un cas humain d’infection par un virus aviaire H7N9 a été identifié en Chine chez une personne vivant en contact étroit avec des volailles. Jusqu’en 2017, des épidémies périodiques sont régulièrement survenues, toutes sur le territoire chinois, au sein de populations vivant en contact direct avec les volailles. Le nombre cumulé d’infections humaines par le H7N9 depuis 2013 s’élève à plus de 1 600 cas confirmés, dont environ 600 mortels, soit un taux de létalité de près de 40%. Rien n’a fait bouger la Chine jusqu’en 2017. Jusqu’à ce que le virus devienne virulent pour ses volailles, si virulent qu’il tuait près de 100% de ces élevages…
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