Ode à la masturbation
» Du bon usage du sexe « , le dernier essai du sexologue français Jean-Claude Piquard, vante la masturbation en solo et en couple. Il avance que, depuis le XVIIIe siècle, il existerait une » conspiration nataliste » initiée par le protestantisme et nourrie par le capitalisme, qui mettrait, aujourd’hui encore, le plaisir sexuel des femmes en danger. Une thèse intéressante, malheureusement trop peu documentée et parsemée d’inexactitudes.
1760 : voilà l’année qui, selon le sexologue féministe Jean-Claude Piquard, marque la survenue brutale de l’interdiction de la masturbation, dans le monde occidental. Que s’est-il donc passé, cette fameuse année bissextile, qui a démarré par un mardi ? Un médecin suisse, l’hygiéniste Samuel Auguste Tissot, publie un tonitruant essai : « L’Onanisme, essai sur les maladies produites par la masturbation ». Le pitch est simple : la masturbation mène à une mort rapide et inévitable. Chez l’homme. Chez la femme. Et dans le couple. Le bouquin (qui ne se base sur aucune observation rigoureuse, mais se nourrit de seules anecdotes) est effrayant et devient vite un best-seller. Entre 1760 et 1905, il connaît soixante-trois éditions ! Compréhensible : au XVIIIe siècle, la vie est courte (l’espérance de vie ne dépasse pas 30 ans, en France). Les gens ne sont pas emballés à l’idée de mourir, la main se caressant l’entre-jambe.
Quand la contraception met le plaisir en danger
Là où Jean-Claude Piquard prend ses aises avec l’Histoire, c’est lorsqu’il insiste sur le fait que le Dr Tissot était protestant. C’est dans le protestantisme que le sexologue puise en effet l’idée d’une puissante conspiration secrète dont le but était simple : promouvoir la natalité dans le cadre conjugal. Or comme la masturbation ne mène pas une grossesse, elle constitue de facto une forme de contraception qu’il « fallait » bannir à tout prix.
On a donc l’image de huguenots se rassemblant autour d’une table, pour établir en secret cette stratégie d’alcôve… L’Histoire n’en a pas retenu la moindre trace. Et Piquard ne le nie pas. Mais il avance que les protestants avaient tout intérêt à voir grossir leurs rangs, tout comme les pouvoirs, en général : qui dit natalité, dit plus de bébés, donc plus de chair à canon pour les guerres, et plus d’ouvriers, pour huiler la jeune machine capitaliste.
« Je ne suis pas historien »
Hormis le manque de documentation, on peut regretter des inexactitudes, dans le livre de Piquard (il fait l’impasse sur le médecin flamand Ferdinand Peeters, qui a perfectionné la pilule contraceptive ; il se mélange les pinceaux, dans les dates (concernant la pilule, les lois natalistes, ou encore l’année où l’homosexualité a cessé d’être considérée comme une maladie mentale). Mais il se dédouane, en avertissant : « je ne suis pas historien ». Le plus gênant, peut-être, est que, en se posant comme le héraut du plaisir des femmes (un plaisir qu’il perçoit comme principalement clitoridien, obtenu via la masturbation, et mis en danger par un complot nataliste) il manque de nuance, malgré ses intentions que l’on sent bienveillantes. Quand il explique que l’endomètre vaginal, peu innervé, n’est pas plus sensible que l’intestin, et que l’orgasme vaginal est donc une fiction d’abord nourrie par Freud, il fait fi du pouvoir inouï du cerveau, qui est peut-être notre principal organe sexuel. Il balaye l’amour, les fantasmes, le désir de fusion, ou encore l’instinct de pénétration : oui, on peut être féministe et avoir envie d’être pénétrée.
« L’orgasme vaginal ? Une fiction dont sont complices journalistes et scientifiques »
Si le plaisir des femmes passait principalement et presque exclusivement par une stimulation du clitoris (plaisir que personne n’oserait plus nier, aujourd’hui, heureusement), comment expliquer alors le boom actuel sans pareil de la vente de godemichets ou encore le fait que le premier gode connu, date de 28 000 ans avant J.-C. ? Selon Piquard, les journalistes et scientifiques qui véhiculent l’idée de l’existence d’un hypothétique orgasme vaginal, expliqué par la proximité du clitoris, soutiennent une sexualité archaïque, purement pénétrative… un puissant pilier de notre société patriarcale. Ce faisant, journalistes et scientifiques se rendraient, ni plus ni moins, complices de cette fameuse « conspiration nataliste » anti-plaisir féminin, qui est le fil rouge de son essai. Et surtout : tous participeraient à sa pérennisation.
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