« Nous sommes toujours en train d’admettre des patients aux soins intensifs »
Deux jeunes femmes, une pneumologue et une intensiviste, gèrent le service Covid et les soins intensifs du site Joseph Bracops des Hôpitaux Iris Sud. Les Drs Emmanuelle Papleux et Sarah Heenen témoignent de ce qu’elles vivent au quotidien.
Le nombre d’hospitalisations est à la baisse depuis plusieurs jours (au 8 avril, ndlr). Quelle est la situation dans vos services ?
Dr Heenen, cheffe du service des soins intensifs : Nous sommes toujours en train d’admettre des patients aux soins intensifs. Il y a déjà eu des sortants mais globalement assez peu. Certains patients admis en USI meurent rapidement, dans les douze heures. Les autres y restent jusqu’à trois ou quatre semaines avec de longues intubations et des difficultés de sevrage. Nos lits sont occupés par des patients qui ont de longues durée de séjour. Sur les 23 lits du service USI de Joseph Bracops (HIS), 17 étaient occupés au 7 avril, dont seul un Covid négatif.
Dr Papleux, pneumologue, cheffe de clinique adjointe, et responsable de l’unité Covid à Joseph Bracops : Depuis 48 heures, nous assistons à une diminution du nombre de nouvelles admissions dans nos unités Covid. Les Hôpitaux Iris Sud ont ouvert quatre unités Covid. Sur le site Bracops, nous avons 26 places. Jusqu’à samedi, nous avions chaque jour cinq/six sortants et cinq/six entrants par jour. Depuis samedi, nous avons deux à trois entrants par jour dans notre unité. Nous avons des patients chroniques que nous ne pouvons pas faire sortir du service parce qu’ils ont besoin de revalidation ou parce que ce sont des patients gériatriques qui doivent rentrer en maison de repos. Or, toutes les maisons de repos n’ont pas encore d’ailes spécialisées pour accueillir les patients Covid. Notre service est bien rempli mais le turn-over est moins important que durant la première semaine d’avril.
Quid du matériel de protection? Vos services sont-ils bien équipés ?
Dr Heenen : La situation n’est pas encore rassurante et pérenne. Nous devons utiliser un masque durant huit heures par jour, avec maximum trois jours d’utilisation. Ce qui est moins bien que nos confrères français qui ont droit à un masque par tranche de six heures. Nous devons les garder nettement plus longtemps. Nous sommes confrontés à du rationnement de matériel et à une gestion des stocks difficile. Pour les blouses, nous devons utilisons des protections en tissu parce que nous n’avons plus assez de blouses jetables. Il faut nettoyer les anciennes blouses de salle d’opération. A un moment, nous avons eu le risque de manquer de voies centrales et de voies artérielles. C’est du bricolage. Nous sommes protégés mais le matériel n’est pas optimal.
Dr Papleux : Le manque de visibilité sur nos stocks de matériel est très stressant. Nous avons reçu 800 casques à visières fabriqués dans l’hôpital. On entend dire que nous n’avons plus du matériel que pour une semaine et puis, heureusement, des masques arrivent finalement. Tous les hôpitaux essayent de trouver des solutions en interne pour pallier les pénuries. Nos visières sont fabriquées par un anesthésiste de l’hôpital grâce à une imprimante 3D. On est dans la débrouille.
Manquez-vous également de curare pour soigner vos patients ?
Dr Heenen : Les difficultés que l’on rencontre dans l’approvisionnement des médicaments est particulièrement stressante. D’habitude, nous utilisons du Nimbex ®. Le cisatracurium est extrêmement malléable. Cette molécule s’élimine en une heure. Si on augmente la dose, on a un effet dans les trois minutes. Ce qui permet de tester l’efficacité. Il ne faut pas monitorer le malade pour vérifier s’il est correctement curarisé. Depuis le vendredi 3 avril, nous n’en avons plus sur deux de nos sites. Nous utilisions de l’atracurium, mais nous n’en avions plus. In extremis, des ampoules sont arrivés. Malheureusement, nous avons une visibilité sur nos stocks de seulement une semaine. Nous devons recourir à des solutions inconfortables, par exemple utiliser du rocuronium, une molécule qui s’utilise par induction et non pour les perfusions continues a priori. On pourrait sédater plus lourdement les malades pour pouvoir consommer moins de curare. Cette solution entraîne un allongement de la durée de séjour hospitalier, une plus grande utilisation des respirateurs et des fontes musculaires plus importantes.
Dr Heenen : Sans compter le stress post-traumatique. Il ne faut pas négliger les conséquences psychologiques de ces traitements de sédation.
Manquez-vous actuellement de respirateurs ?
Dr Heenen : Jusqu’à présent dans les hôpitaux Iris-Sud, nous n’avons jamais manqué de respirateurs. On a équipé de respirateurs des salles qui sont prêtes mais pas encore ouvertes. C’est plus difficile de trouver les bons filtres antibactériens et antiviraux qui sont en pénurie. Nous sommes constamment en train de chercher des solutions pour équiper correctement les respirateurs. Cette solution est fort inconfortable.
Comment tenez-vous le coup par rapport à ce stress constant ?
Dr Papleux : Nous pouvons compter sur le service achat et la pharmacie pour trouver rapidement des solutions. Jusqu’à présent, ces services m’ont toujours répondu favorablement dans les 24 heures. On trouve toujours des solutions mais on ne peut pas se tourner vers d’autres hôpitaux parce qu’ils sont dans la même situation de pénurie.
Des transferts sont-ils organisés entre hôpitaux ?
Dr Heenen : Nous organisons des transferts entre hôpitaux voisins. Par exemple, Bracops va transférer à Erasme s’il n’a plus de place en médecine interne. Molière va envoyer des patients à Saint-Jean ou Sainte-Elisabeth…
Dr Papleux : Il y a une bonne solidarité entre les hôpitaux mais on sent bien qu’il est difficile de transférer les nouveaux patients qui arrivent aux urgences. Nous essayons tous de trouver des solutions en interne, idem pour les transferts entre les services. Il faut parfois attendre un ou deux jours. Le temps de s’organiser.
Etes-vous confrontées au manque de médecins?
Dr Heenen : Aux soins intensifs, nous sommes, à la base, neuf médecins pour faire tourner trois sites. Un confrère a été écarté parce qu’il a été gravement malade. Un a été coincé à l’étranger. Deux autres ne peuvent pas augmenter leur temps de travail parce qu’ils ont d’autres engagements. Nous sommes donc cinq qui tournons pour maintenir un intensiviste sur chaque site chaque jour. Nous avons aménagé des jours de repos pour pouvoir souffler un peu.
Dr Papleux : Dans les unités Covid, nous avons mis tout un système en place, avec les pneumologues, les infectiologues et les médecins en formation qui travaillent toujours à deux. Nous sommes en permanence cinq médecins présents. Un médecin s’occupe de la partie administrative. C’est une aide précieuse. Il récolte les données, remplit les tableaux, contacte le laboratoire et accueille les familles pour répondre à leurs questions par téléphone. Pour les annonces de mauvaises nouvelles ou les diagnostics difficiles, ce sont les médecins en charge des patients qui appellent les familles. Nous ne devons jamais travailler plus de quatre jours d’affilée dans le service avec deux à trois jours de repos. Aujourd’hui (le 7 avril, ndlr), cela fait un mois que j’ai pris en charge mon premier patient Covid-19.
Le renfort de confrères
Dr Heenen : Nous avons du renfort aux soins intensifs de la part d’autres confrères. Sur chaque site HIS, un intensiviste prend en charge ce qui relève de ses compétences. Il a l’aide d’un anesthésiste et d’un médecin en formation, pas toujours de soins intensifs. Sur un des sites, il y a, par exemple, un assistant en gynécologie. Des chirurgiens ont proposé de faire les petites mains pour faire des prescriptions. Nous sommes constamment sur le fil, mais heureusement nous ne sommes jamais trop peu.
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