«Nous ne parvenons pas à casser la chaîne de transmission»: pourquoi le virus du VIH progresse en Belgique
Le virus du VIH touche de plus en plus de personnes en Belgique. Dès lors qu’elle peut être traitée, la maladie est banalisée et les plus jeunes ne la craignent plus. Au point d’adopter des comportements à risques…
L’an dernier, quelque 665 personnes ont été diagnostiquées comme porteuses du VIH, ce virus susceptible d’évoluer vers le Sida, en Belgique. Cette augmentation, de 13% par rapport à l’année précédente, confirme une hausse ininterrompue des cas depuis trois ans. Cette propagation du virus s’observe tant dans la communauté hétérosexuelle (328 hommes et femmes nouvellement diagnostiqués, soit + 13%) qu’homosexuelle (297 hommes nouvellement diagnostiqués, soit +12%). La même évolution s’observe chez les femmes et chez les hommes, parmi les Belges et parmi les non-Belges. «La moitié des femmes porteuses du virus proviennent d’Afrique subsaharienne, observe-t-on chez Sciensano. De nombreuses personnes nées à l’étranger auraient contracté le virus en Belgique.» En termes d’âge, c’est dans la catégorie des 30-39 ans et chez les plus de 60 ans que l’augmentation est la plus marquée.
«Malgré tous les outils de dépistage existants et les traitements disponibles, nous ne parvenons pas à casser la chaîne de la transmission du virus», constate Stephen Barris, coordinateur de Ex-Aequo, le partenaire santé des hommes qui aiment les hommes.
Divers éléments expliquent cette recrudescence du virus depuis trois ans. D’abord, la méconnaissance du risque encouru lors de rapports sexuels non protégés. Alors que la génération qui a connu les années 1980 et 1990, lorsque le SIDA, alors méconnu, faisait ses terribles ravages, a toujours eu conscience de la dangerosité de la maladie, ce n’est plus le cas des plus jeunes générations. Elles savent que l’on ne meurt plus, a priori, du VIH. Le levier de la peur, donc de la prudence, n’agit donc plus auprès d’elles.
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Autre élément d’explication, lié au premier: le recul de l’utilisation des préservatifs. Selon la première grande étude flamande sur le sujet, réalisée par Sensoa, le centre flamand d’expertise pour la santé sexuelle, 27% des participants ayant eu des rapports sexuels au cours des six derniers mois utilisaient toujours un préservatif pendant ces rapports; 33%, parfois et 40%, jamais. Interrogées sur les freins relevés à son utilisation, les personnes sondées ont d’abord avancé des motifs d’ordre psychologique: 76 % d’entre elles souhaitent ainsi ne pas y recourir si elles connaissent bien le partenaire sexuel. Quelque 17 % disent redouter une perte d’érection et 28 % trouvent peu agréable d’interrompre les rapports sexuels pour s’équiper. Enfin, 74 % des adolescents participants pensent que les préservatifs sont trop chers et 31 % d’entre eux n’ont pas pu en utiliser pour cette raison. Parmi les non-adolescents, 15% des participants avancent le prix des préservatifs pour ne pas y recourir.
La question du coût de ce produit n’est pas anodine: au dernier trimestre de 2022, la maison-mère de la marque de préservatifs Durex, Reckitt Benckiser, a vu ses ventes reculer de 5,8% après avoir augmenté ses prix de 12% en raison de l’inflation. La plupart des mutuelles proposent pourtant de rembourser les moyens de contraception, dont les préservatifs, à hauteur de 30 à 50 euros par an. Les lieux fréquentés par la communauté homosexuelle masculine, les plannings familiaux et les associations en promotion de la santé en distribuent aussi gratuitement. «Si, à l’instar de la France, la Belgique décidait de distribuer des préservatifs gratuits aux 18-25 ans, par exemple en pharmacie, ce serait bien sûr une bonne chose, commente Stephen Barris. Mais la recrudescence des cas de VIH semble relever davantage d’un obstacle culturel qu’économique.»
Parmi les pistes avancées par les acteurs de la lutte contre le Sida pour tenter de venir à bout de la maladie figurent bien sûr une sensibilisation à l’éducation sexuelle, notamment dans les écoles et via des campagnes de communication grand public; la promotion de dépistages réguliers dans des centres de planning familial –745 514 tests VIH ont été réalisés en 2023, soit 64 par 1 000 habitants; et un accès plus large et facilité à la prophylaxie pré-exposition, également appelée PrEP. Ce traitement, sous forme de pilules avant et/ou après un rapport sexuel non protégé, inhibe le VIH et empêche donc de contracter la maladie. «Ce bouclier chimique est particulièrement indiqué pour les hommes homosexuels qui ont un comportement à risques et pour les femmes d’origine sub-saharienne dans l’impossibilité d’imposer l’utilisation d’un préservatif à leur partenaire», détaille Stephen Barris. Ce traitement est encore sous-utilisé à l’heure actuelle. Il peut pourtant être remboursé s’il est prescrit par un médecin attaché à l’un des centres de référence SIDA ayant une convention avec l’INAMI.
Sans le savoir, quelque 1325 personnes vivent aujourd’hui en Belgique en étant porteuses du virus du VIH.
Dans les prochaines années, ce traitement pourra se faire par injections, une fois tous les deux mois via un hôpital et, d’ici 3 ou 4 ans, au rythme d’une fois tous les six mois. «Ce traitement devrait être disponible ailleurs que dans les hôpitaux, par exemple dans les pharmacies, glisse-t-on chez Ex-Aequo. Car ce qui est en jeu, c’est le temps qui s’écoule entre le moment où une personne est infectée et l’ignore et le moment où elle commence un traitement.» Actuellement, une moyenne de 4 ans s’écoule entre l’infection et sa prise de conscience, pour les hétérosexuels, et une moyenne de 2,5 ans parmi les homosexuels. Un temps très long durant lequel le virus continue à circuler entre partenaires, en toute ignorance de cause.
Pour ne rien arranger, les autres maladies sexuellement transmissibles (IST), comme la gonorrhée et la chlamydia, sont également en augmentation. Or les personnes atteintes d’une de ces maladies courent davantage le risque d’être infectées par le VIH si elles y sont exposées. «Nous assistons à un sentiment de banalisation des IST et beaucoup nous disent ne pas se sentir concernés, regrettait récemment Thierry Martin, directeur de la Plateforme Prévention Sida. Les jeunes et les moins jeunes, abandonnent ainsi trop souvent et trop vite le préservatif, sans avoir nécessairement réalisé un test de dépistage dans les conditions adéquates. Il est aussi urgent que les applications de rencontres s’impliquent et prennent leur part de responsabilités dans la prévention des IST.» Le dépistage précoce des IST est d’autant plus nécessaire que, dans leurs premiers stades, la plupart de ces maladies sexuellement transmissibles sont asymptomatiques. Ignorant qu’elles en sont porteuses, d’aucuns et d’aucunes pourraient donc contaminer d’autres partenaires.
La journée de lutte contre le Sida sera célébrée ce 1er décembre, comme chaque année. En Belgique, quelque 20 000 personnes vivent aujourd’hui avec ce virus, ce qui les contraint à prendre des comprimés à vie, à en supporter les effets indésirables, et à être suivies en permanence par un infectiologue. Certes, le VIH ne fait plus peur. La situation de ceux qui en souffrent n’en est pas moins douloureuse. «La plupart de ces patients ne font pas état de leur maladie auprès de leur entourage, de peur d’être stigmatisé, rejeté ou victime de violences», ajoute Stephen Barris.
Aujourd’hui, en Belgique, quelque 1.325 sont porteuses du virus du sida. Et l’ignorent encore.
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