Carte blanche
Notre seul espoir face au coronavirus : de la fermeté, de l’intelligence et de l’imagination dans les mesures de distanciation (carte blanche)
Le 3 mars dernier, au Parlement, la ministre de la Santé publique minimise le coronavirus: » Tout au plus une grosse grippe, maximum 700 à 800 morts « . Joli flop. Quinze jours plus tard, c’est le confinement et ce sera plus de 10.000 morts.
Depuis lors, la Santé publique est à la dérive : de l’agitation, des mesures dans le désordre, aucune directive efficace (et même une opposition initiale aux masques !), aucun leadership, aucun cap, aucune vision, aucune anticipation. On teste à tour de bras, mais très peu les contacts asymptomatiques qui sont les contaminateurs silencieux. Du coup, ceux-ci ne sont quasi pas isolés.
Sciensano nous bassine avec des moyennes de cas positifs, ce qui n’aide guère à la décision. D’abord, parce qu’au plus on teste, au plus on trouve des cas positifs. Ensuite parce qu’une moyenne ne représente pas le danger immédiat à partir duquel il faut réagir rapidement (le fameux « baromètre » …). Avec une moyenne, si Bill Gates rentre dans un bar où se trouvent 30 personnes, la richesse moyenne de chaque personne est de près de 3 milliards de dollars. En statistique, la moyenne ne tient pas compte des extrêmes, la médiane oui. Le seul vrai critère d’ALERTE est celui des admissions hospitalières (et des décès) en sachant qu’on aura toujours 10 à 15 jours de retard pour observer le succès (ou non) des mesures appliquées. La période pour un doublement des hospitalisations est donc un index très significatif : on tourne aujourd’hui autour des 12 jours, mais si on anticipe la croissance actuelle, cela peut diminuer dramatiquement vite. Passer de 600 à 1.200 admissions s’est passé sans mal, mais de 6.000 à 12.000, puis 24.000, chaque fois en 6 à 8 jours, sera une autre affaire.
Les hôpitaux ont tenu en mars-avril au prix d’un arrêt complet des activités habituelles, pourtant nécessaires et souvent essentielles, avec certainement une morbidité et une mortalité accrue, par exemple en cancérologie. Le seuil de tolérance est déjà atteint à Bruxelles, qui transfère vers la province. Les personnels ont donné et n’ont pas été reconnus. Ils ne pourront plus courir pour ouvrir une unité Covid après l’autre ni pousser les murs des soins intensifs. On ne pourra pas leur en vouloir : sans compter qu’ils ne sont pas épargnés par le virus, ils donneront tout ce qu’ils ont, mais les ressources en réserve sont maigres, tant au moral, qu’en personnel et en matériel. Le porte-parole interfédéral est parfaitement ambigu : « la voix de son maître », il porte la parole du gouvernement, mais il n’est plus du tout la caution scientifique qu’il a été auparavant. Il s’est montré rassurant, il perd sa crédibilité devant les faits.
Certains ne voient toujours rien venir
On n’a pas retenu les leçons, et certains ne voient toujours rien venir. Les tergiversations provinciales wallonnes sur un couvre-feu sont révélatrices du fait que certaines autorités n’ont toujours pas pris conscience de la réalité. On recommande le télétravail sans l’imposer. On ferme les bars, mais on laisse les restaurants faire le bar. On laisse les gens s’agglomérer en rue piétonnière et dans les transports en commun où la distanciation est impossible.
A moins du retour à un confinement pur et dur, il faut urgemment prendre toutes les dispositions possibles pour absolument restreindre les contacts inter-humains et leur durée, tracer les contaminateurs et les isoler. Ne reste donc qu’UNE seule option : plus aucun laxisme, plus aucune exception, une fermeté affirmée dans des mesures de distanciation univoques, compréhensibles et applicables par tous, qui respectent autant que possible, avec imagination et intelligence, la continuité de la vie économique.
Dr Patrick Guérisse- Professeur émérite à l’École de Santé publique
Titulaire de l’enseignement de Médecine de Catastrophe 1992 – 2018
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