Nos enfants avalent 109 millions de médicaments par an
Si l’on cumule tout ce que les enfants belges gobent comme pilules, sirop et vaccins, on arrive au chiffre astronomique de 109 millions de médicaments par an. Il y a 10 ans, ce chiffre n’était que de 89. Pourquoi une telle hausse ?
Ce sont surtout les médicaments qui traitent les problèmes respiratoires qui ont la cote. Ensuite, on retrouve ceux qui traitent les remontées acides, les antibiotiques et les gouttes pour le nez ou l’oreille. Pourtant, dans la plupart des cas, ces médicaments ne sont pas nécessaires. Car si le nombre de médicaments est en hausse, les enfants ne sont pas plus malades qu’avant. « C’est juste leurs parents qui sont plus rapidement inquiets » dit le professeur Yvan Vandenplas (VUB). « Les médecins et pharmaciens feraient bien de se demander plus régulièrement si c’est bien utile de donner ou prescrire telle goute pour le nez, tels antibiotiques ou encore ces médicaments contre la diarrhée ou même tel laxatif. »
Mais qu’est-ce qui peut bien pousser les jeunes parents à courir à la moindre petite quinte de toux vers la pharmacie ?
Premièrement, beaucoup d’entre eux manquent de confiance en eux et ne s’autorisent pas la moindre erreur. « Un enfant qui pleure ou qui à mal confronte ses parents avec leurs propres limites », explique Stijn Vanheule. « Pour cette raison, ils se sentent très impuissants. Ce qui n’est pas facile à accepter. Il serait bon de discuter plus ouvertement des problèmes qu’on rencontre avec les autres parents, les membres de la famille et les amis, mais nous ne le faisons pas assez aujourd’hui. Par honte souvent. «
Ensuite, la plupart des parents ont des vies bien remplies. Ils ne peuvent se permettre de passer des nuits blanches à cause d’un bébé qui pleure ou d’un jeune enfant qui tousse. Ils sont alors tellement fatigués qu’ils ne sont plus opérationnels à leur travail » dit le pédiatre et pharmacologue Pauline De Bruyne de l’UZ Gent.
Et comme on ne trouve pas facilement un baby-sitter pour un enfant malade et que leurs propres parents ont encore un travail, ils font tout pour s’assurer que leur enfant soit guéri le plus rapidement possible. Ou tout du moins assez retapé pour retourner à l’école ou à la crèche.
Le plus rapidement possible
« En raison de la combinaison de développements technologiques et de la croyance croissante dans les capacités de l’homme, de nombreuses personnes sont convaincues qu’elles doivent résoudre tous les problèmes le plus rapidement possible », explique Stijn Vanheule (UGent), psychologue clinicienne et psychanalyste. Cependant, il est parfois préférable de ne pas intervenir de manière drastique et de se contenter d’écouter son enfant et d’être là pour lui.
Des médicaments qui ne guérissent rien
Il est frappant de constater que les médicaments les plus utilisés pour les enfants ne guérissent rien: ils combattent les symptômes sans soigner la maladie. Et peuvent masquer certains signes annonciateurs d’un mal plus grave. Comme beaucoup de sirops contre la toux. Ceux-ci ne font que supprimer la toux, alors que celle-ci est justement utile pour faire sortir les glaires.
« Nous sommes très dépendants à ce qui régule notre corps, notre comportement ou nos pensées », explique Vanheule. Si cela régule, cela ne soigne pas pour autant. « Un analgésique régule le corps, mais n’en enlève pas la cause de la fièvre. La rilatine, un médicament pour le traitement du TDAH, ne fournit que temporairement un certain équilibre des neurotransmetteurs dans le cerveau. » Tous des médicaments qui ne s’attaquent pas au fond du problème.
Or lorsqu’un enfant prend des médicaments, cela ne se fait pas sans risques. Chaque médicament a potentiellement des effets secondaires. « Ceux qui traitent les remontées acides augmentent le risque d’infections respiratoires et intestinales. Les enfants qui en utilisent courent aussi un plus grand risque de souffrir d’allergies alimentaires », explique M. De Bruyne. Les médicaments peuvent aussi affecter le système immunitaire des jeunes enfants. Certains médicaments, tels que les antiacides ou les antibiotiques, peuvent perturber la flore intestinale d’un enfant. Le résultat est que tout le système immunitaire est perturbé », explique Yvan Vandenplas.
« S’il est effectivement indiqué de donner certains médicaments à un enfant, les antibiotiques peuvent sauver des vies par exemple, nous devons aussi tenir compte de ces effets secondaires.
Enfin, donner trop de médicaments aux enfants n’a pas seulement un impact sur leur corps. S’ils n’apprennent pas à gérer la douleur et l’inconfort, cela peut aussi affecter leur développement psychologique. « C’est comme si nous ne pouvions accepter que la douleur fasse partie de la vie », pense Stijn Vanheule. « Aujourd’hui, les enfants apprennent que tout inconfort dans leur corps ou leurs émotions peut être résolu immédiatement. Un enfant qui souffre reçoit une pilule. Pour consoler un enfant, on lui permet de regarder un film sur un iPad. En soi, il n’y a rien de mal à ça. Mais si vous enveloppez complètement votre enfant dans une couverture de solutions toutes faites, vous créez une énorme dépendance. De cette façon, nous élevons des personnes qui ont de fortes chances de devenir des malades chroniques.
Le rôle des médecins et pharmaciens
Si quelque chose ne va pas avec leur enfant, les parents cherchent des conseils sur Internet. Ils consultent docteur Google ou postent un message suppliant sur les médias sociaux. Armés de ces précieux conseils, ils se ruent en pharmacie. Si jamais les effets se font attendre, ils demandent à leur médecin ou pédiatre une solution toute faite. De préférence sous la forme d’une pilule aux couleurs vives ou d’une boisson très sucrée. Si un médecin leur dit qu’ils doivent laisser le temps faire son travail, ce dernier va être confronté à beaucoup d’incompréhension de la part des parents.
Du coup, si les généralistes ou les pédiatres refusent de prescrire des médicaments, il y a une chance qu’ils ne revoient plus jamais leur patient parti vers un autre collègue.
« Il y a en effet des gens qui insistent sur les médicaments », explique De Bruyne. « Il est alors beaucoup plus facile et moins long pour un médecin de faire une prescription que d’essayer de les convaincre que leur enfant n’en a pas besoin ».
Il est encore plus difficile pour les pharmaciens de convaincre les clients qu’il vaut mieux ne pas acheter un médicament en particulier pour leur fils ou leur fille. « Les parents ne veulent pas partir sans solution », explique Hilde Deneyer. « En tant que pharmaciens, nous essayons de leur proposer une alternative moins inoffensive, telle qu’un produit à base de plante, et nous conseillons toujours d’aller chez le médecin si les symptômes ne s’améliorent pas après quelques jours. Cependant, dans la pratique, il existe encore de nombreux pharmaciens qui donnent des médicaments sans avoir posé une seule question. «
Ceci dit, le rôle des pharmaciens évolue. « Nous voulons nous concentrer encore davantage sur la sensibilisation et l’orientation. Cela signifie, entre autres, que nous vérifions s’il est nécessaire qu’un patient prenne des médicaments. Mais un tel changement prend du temps. Et de l’argent. Un pharmacien qui décourage les clients d’acheter des médicaments se tire aujourd’hui une balle dans le pied », estime Deneyer.
Les dangers de l’automédication
Les pharmaciens et les médecins craignent aussi que beaucoup de gens donnent à des enfants un médicament pour adultes. Même dans des doses adaptées c’est dangereux, car l’enfant ne réagit pas de façon identique. Par exemple, les benzodiazépines, comme le sédatif Temesta, rendent les adultes somnolents. Si chez certains enfants cela a le même effet, chez d’autres cela va au contraire les rendre hyperactifs. En réalité les effets de certains médicaments sur un enfant sont imprévisibles. Se contenter de donner à votre enfant une demi-pilule de votre propre traitement est donc une très mauvaise idée.
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