Ne dites plus «syndrome d’Asperger»: «Il y a eu un certain nombre de diagnostics douteux, abusifs, voire d’arnaques»
Après un immense succès, le syndrome d’Asperger est relégué au placard.
Audrey, consultante hors norme auprès de la police dans la série HPI, Shaun, savant interne en chirurgie dans The Good Doctor, Sam, jeune autiste en quête d’amour et d’indépendance dans Atypical ou encore Sheldon, brillant physicien dans The Big Bang Theory, sans oublier une fameuse galerie de génies, d’Alan Turing, père de l’informatique moderne, en passant par le pianiste virtuose Glenn Gould, au milliardaire multientrepreneur Elon Musk: ces «héros» ont popularisé les Asperger, des autistes de haut niveau présentés sous des traits sympathiques et évoquant, pour le grand public, des personnes originales, décalées, maladroites avec un haut QI. Bref, une version «glamour» de l’autisme, associée à une certaine forme de génie.
Contrairement à une idée reçue, tous les Asperger n’ont pas un haut potentiel intellectuel, même s’ils sont dotés d’une intelligence normale. Mais ils se distinguent des autres formes d’autisme par une absence de retard dans le développement du langage oral. Depuis 2013, cette catégorie a d’ailleurs disparu du DSM-5, la bible du diagnostic en psychiatrie, en tant que trouble à part. En 2019, l’OMS a suivi le mouvement, en apportant le même changement à ses directives de diagnostic. Le syndrome d’Asperger figure à présent au sein d’une entité unique de «troubles du spectre de l’autisme» de niveau 1, soit une forme légère. «Cette position est justifiée par l’absence d’une définition qui faisait consensus», note Pascale Tits, psychologue à la fondation Susa. Concrètement, l’un des obstacles était la difficulté à différencier le syndrome d’Asperger de l’autisme de haut niveau. Auquel s’ajoute le manque de validité de critères diagnostiques.
Le pionnier de la recherche sur l’autisme a coopéré activement avec le IIIe Reich.
Entre-temps, en 2019, un ouvrage a fait l’effet d’une bombe dans le monde de l’autisme. Celui de l’historienne américaine Edith Sheffer, Asperger’s Children. The Origins of Autism in Nazi Vienna, basé sur des documents d’archives exhumés par l’historien autrichien Herwig Czech, dévoilant le double visage glaçant d’une sommité, le pédiatre autrichien visionnaire Hans Asperger, né en 1906. Premier à avoir montré que certains enfants autistes pouvaient receler des capacités hors norme, Hans Asperger était respecté et considéré comme le père des méthodes actuelles utilisées par le monde pour stimuler le développement des enfants autistes. Auréolé également pour avoir sauvé ces petits de la persécution nazie. En réalité, le pionnier de la recherche sur l’autisme a coopéré activement avec le IIIe Reich. S’il aide ceux qu’il estime capables d’apprendre (auxquels sera donné son nom des décennies plus tard), les autres, ceux qu’il considère comme «inéducables», sont envoyés à une mort certaine.
Aux Etats-Unis, l’enquête a conduit à débaptiser définitivement le syndrome autistique qui portait son nom. En France et en Belgique, elle a ravivé le débat sur la pertinence scientifique de critères adoptés pour distinguer les Asperger des autres autistes, bien que le syndrome ne soit plus employé par les médecins et soit de moins en moins mentionné dans la littérature scientifique. Reste le grand public, qui semble résister. Entrée dans les mœurs, son étiquette demeure couramment utilisée, encore auréolée de prestige dont a été drapé le syndrome. «Certains personnages, à l’ego particulièrement chatouilleux, ont profité de ce « label » pour se donner des airs formidables et intelligents, dénonçait, en 2020, Josef Schovanec, autiste et militant pour la dignité des personnes autistes. Il y a eu un certain nombre de diagnostics douteux, abusifs, voire d’arnaques, à cause de ce mythe de l’Asperger génial.»
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