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Metformine, sénothérapie, reset cellulaire : ces médicaments qui, bientôt, nous feront vivre jusqu’à 120 ans… en bonne santé (enquête)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les recherches pour ralentir le vieillissement progressent à pas de géant et pourraient bientôt s’appliquer à l’homme.

La pilule de jouvence existe peut-être déjà. Sans le savoir, des millions de personnes à travers le monde en avalent même chaque jour un comprimé. Son nom? La metformine. Un antidiabétique découvert en 1922, très peu cher, bien connu et aux vertus surprenantes. S’il est généralement prescrit pour traiter les diabétiques de type 2, particulièrement ceux en surpoids ou obèses, de plus en plus de chercheurs pensent qu’il peut faire bien davantage: ralentir le vieillissement. Aux Etats-Unis, certains en sont si convaincus qu’ils en prennent quotidiennement, et depuis longtemps. Les généticiens et spécialistes de la longévité David Sinclair et Nir Barzilai, par exemple, le cofondateur d’OpenAI Sam Altman, le transhumaniste Raymond Kurzweil et une longue liste de patrons du secteur de la biotechnologie.

Au-delà de ses effets sur la glycémie, des études ont montré que ce médicament serait associé à une diminution du risque de démence, de maladies cardiovasculaires, de cancers de la prostate, du sein, du pancréas et du colon. Une véritable pilule magique – la plus prometteuse, en tout cas. Pour l’instant, à moins d’être prédiabétique ou diabétique, aucun médecin ne la prescrira. En effet, la vieillesse n’est pas considérée comme une pathologie par les agences sanitaires. Impossible, donc, de disposer d’un médicament validé contre ses dommages.

Cela pourrait toutefois bientôt changer. Après des années de lobbying intense, un groupe de scientifiques, emmené par Nir Barzilai, directeur de l’Institut de recherche sur le vieillissement de l’Albert Einstein College of Medicine (New York), a réussi à convaincre la FDA, l’agence américaine du médicament, de les laisser évaluer les propriétés antivieillissement de la metformine. L’essai clinique démarrera au cours de cette année. Quelque 3.000 personnes non diabétiques, âgées de 65 à 80 ans, seront traitées durant six ans. La moitié recevra un placebo, l’autre 1.500 milligrammes de metformine chaque jour. Les chercheurs étudieront l’effet de la molécule sur l’apparition ou l’aggravation de cinq maladies majeures liées à l’âge (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, cancer, insuffisance cardiaque, déficience cognitive ou démence). S’ils parviennent à démontrer qu’ils peuvent freiner le processus, et donc la survenue de ces pathologies, l’homme vivra bientôt en bonne santé bien plus longtemps.

Plusieurs molécules antivieillissement sont prêtes à être testées sur l’homme.

Le coureur cycliste Charles Coste, 100 ans depuis me 8 février dernier. © Getty Images

Une nouvelle discipline

Ce serait le début d’une révolution. Car, après des décennies de recherches, les scientifiques comprennent mieux comment nos organismes se dérèglent et comment y remédier. Dans leurs laboratoires, les vers vivent plus longtemps, les primates rajeunissent et les vieilles souris se trémoussent. D’autres molécules potentiellement aussi efficaces que la metformine ornent leurs étagères. La nouveauté, c’est qu’elles sont prêtes à être testées chez l’homme. Des essais cliniques ont même débuté contre différentes pathologies comme la résorption osseuse, l’arthrose ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).

Le grand public, échaudé par de nombreuses promesses vite démenties, peine à y croire. La DHEA (hormone stéroïde naturellement produite par l’organisme), l’hormone de croissance, les cures d’oméga 3, les antioxydants, comme le resvératrol, ont tous été présentés comme des élixirs de jeunesse, avant que des études scientifiques ne refroidissent l’engouement initial. Des personnages controversés comme Liz Parrish, qui s’est injecté sa propre thérapie génique anti-âge mise au point par sa société BioViva, le millionnaire Bryan Johnson, qui teste sur lui tous les traitements en développement, Peter Thiel, qui recourt à des transfusions sanguines avec le sang de jeunes adolescents, ont contribué à décrédibiliser la recherche. Celle-ci, pourtant, se situe aujourd’hui à un tournant.

«Tous les chercheurs et cliniciens s’accordent désormais sur le fait que le vieillissement est le premier facteur de risque d’apparition des pathologies liées à l’âge. Si nous agissons sur les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués, nous pouvons retarder le vieillissement», résume Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche à l’Inserm et codirecteur de l’Institut de médecine régénératrice et biothérapies (IRMB) de Montpellier. Pour eux, il s’agit d’un réel changement de paradigme: vieillir est une maladie, qui comme toutes les affections, peut se traiter. «Au lieu de cibler les maladies liées au vieillissement une à une, comme la médecine le fait aujourd’hui, le but est de tenter de les contrecarrer toutes en même temps, avant leur survenue ou à leur tout début.» La discipline porte même un nom: la «géroscience».

Et c’est un «tsunami scientifique»: «Près de 300.000 articles scientifiques sur la biologie du vieillissement ou de la longévité en dix ans», recense encore Jean-Marc Lemaitre, auteur de Décider de son âge. La recherche se déploie en effet tous azimuts et suit simultanément plusieurs pistes. La plus explorée est la restriction calorique – de 30% à 40% de calories en moins. Plusieurs travaux ont démontré qu’elle peut allonger significativement l’espérance de vie chez tous les animaux étudiés – rongeur, mouche, ver, singe, chien – et même chez l’humain. Problème: réduire d’autant l’apport calorique n’est pas envisageable chez l’homme, car pour qu’il soit efficace, ce régime draconien doit être observé tout au long de la vie. Intenable. Les scientifiques cherchent donc des molécules capables de mimer ses effets positifs, sans s’affamer. La liste des candidates est longue. Parmi elles, la metformine, qui induit chez la souris des modifications moléculaires similaires à celles déclenchées par la diète. La rapamycine, prescrite pour prévenir le rejet après une transplantation, procure à une souris un gain de longévité jusqu’à 60%. Elle n’est toutefois pas anodine puisqu’elle diminue les défenses immunitaires. Les chercheurs tentent encore de développer une molécule analogue, une «rapalogue», visiblement sans effets secondaires.

A 90 ans, Judi Dench, la M des James Bond, est un exemple de longévité au cinéma. © WireImage

Un autre potentiel mimétique de la restriction calorique intéresse la communauté scientifique: le nicotinamide mononucléotide (NMN), un dérivé de la vitamine B3. Il s’avère être un booster pour la production de sirtuines, des enzymes qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre métabolique et dans les mécanismes de réparation cellulaire. En laboratoire, la molécule a transformé des souris âgées en véritables athlètes, au point qu’il a fallu concevoir de nouvelles roues d’exercice plus résistantes. Elle relance également les mitochondries, ces centrales à énergie des cellules. En 2021, un essai clinique sur 25 femmes a montré qu’elle diminuait la résistance à l’insuline, un trouble associé à l’obésité et au vieillissement. D’autres essais cliniques doivent évidemment être menés et confirmer ses effets anti-âge. Si ce composé, ou les autres possibles mimétiques, tiennent leurs promesses, ils pourraient devenir les tout premiers médicaments «anti-âge» utilisables chez l’humain. Et pour cause: «Le repositionnement de médicaments est un processus plus rapide que l’autorisation de nouvelles molécules, car leur sûreté a déjà été établie», précise Jean-Marc Lemaitre.

«Au lieu de cibler les maladies liées au vieillissement une à une, le but est de les contrecarrer toutes en même temps.»

«Cellules zombies»

Le plus fascinant reste toutefois ces deux stratégies thérapeutiques: se débarrasser des cellules sénescentes et reprogrammer les cellules pour les rajeunir. La «sénothérapie» est aujourd’hui la plus avancée. Son principe? Eliminer les cellules sénescentes qui peuvent produire des résidus oxydés toxiques pour l’organisme. Elles s’accumulent avec l’âge et encombrent les tissus. Ces cellules sont à la fois mortes, puisqu’elles ne se divisent plus pour se répliquer, et vivantes, puisqu’elles conservent leur activité métabolique, entraînant des réactions inflammatoires. Les Anglo-Saxons les surnomment les «cellules zombies», tant elles causent des maux. «Elles s’accumulent là où commencent les principales maladies chroniques liées à l’âge comme le diabète, l’arthrite, l’ostéoporose, la démence, les maladies rénales, etc.», précise le biologiste.

L’idée de les détruire n’est pas neuve. Elle trotte dans la tête des chercheurs depuis leur découverte dans les années 1960. Ce sont ceux de la Mayo Clinic – une fédération d’hôpitaux privés et de centres de recherche considérés comme les meilleurs des Etats-Unis – qui ont ouvert la voie. En 2016, ils ont réussi à prolonger de 30% l’espérance de vie moyenne de souris en déclenchant l’apoptose des cellules sénescentes, c’est-à-dire leur autodestruction, grâce à une ingénierie génétique sophistiquée. En 2019, les mêmes ont administré un cocktail de quercétine, un composé organique présent notamment dans les fraises et les mûres, et de dasatinib, un anticancéreux, pour la première fois chez l’homme, sur quatorze patients atteints d’une fibrose pulmonaire rare, dans laquelle la sénescence cellulaire semble jouer un rôle important. Avec le traitement, leurs capacités physiques se sont nettement améliorées. La publication de cette preuve de concept a ouvert les vannes. «Ce champ de recherche explose littéralement et la course aux sénolytiques est engagée», relève Jean-Marc Lemaitre. Une trentaine d’essais cliniques chez des humains sont en cours pour tester des candidats sénolytiques, dont la liste s’est élargie. Tous, de phase 1 ou 2 (sur les trois nécessaires à la commercialisation d’un produit de santé) visent à évaluer l’impact de ces molécules sur des pathologies associées à l’âge.

Depuis, il y a déjà eu une déception. Une équipe de l’Institut français de recherche sur la cancer et le vieillissement (Ircan), supervisée par Dmitry Bulavin, directeur de recherche à l’Inserm, a montré, chez la souris, que détruire les cellules sénescentes, dans le foie (c’est principalement dans cet organe que les premières cellules sénescentes apparaissent en grande quantité), détériore davantage encore les fonctions hépatiques que le vieillissement. «Les souris traitées deviennent très malades. Elles présentent un défaut de plaquettes sanguines, signe d’une mortalité précoce, mais aussi des fibroses hépatiques, rénales, pulmonaires et cardiaques», note Dmitry Bulavin. Pas de quoi freiner d’autres chercheurs, qui étudient d’autres molécules naturelles (comme la fisétine, un antioxydant) ou chimiques (tel le navitoclax, un anticancéreux). La manipulation de ces traitements s’avère cependant délicate. En effet, les cellules sénescentes aident à la cicatrisation et à la réparation des tissus endommagés. Surtout, elles empêchent les cellules abîmées de se répliquer et de se transformer en tumeurs. Les éliminer toutes ne serait alors pas sans conséquences.

Les spécialistes cherchent donc encore les meilleures associations. Cibler certaines cellules sénescentes mais pas toutes? Ou miser sur des molécules «sénomorphes», qui limitent ou bloquent leur activité en les empêchant de sécréter des agents nocifs?

Une reprogrammation des cellules répétée tout au long de la vie peut accroître de 30% la vie en bonne santé.

Ses 103 ans n’empêchent pas le philosophe Edgar Morin d’être encore consulté sur tous les sujets. © Getty Images

«Touche de réinitialisation»

A moins que le remède soit de rajeunir biologiquement les cellules âgées. L’idée, plus complexe, mobilise aussi beaucoup d’efforts et de milliards. Ainsi, la société Altos Labs, créée en 2022, a réuni trois milliards de dollars – du jamais-vu pour une biotech. La piste est née des travaux du prix Nobel Shinya Yamanaka. En 2012, ce Japonais a réussi à reprogrammer une cellule de peau d’un individu adulte en cellule souche pluripotente, entité capable de se différencier en n’importe quelle cellule de l’organisme, comme les cellules souches embryonnaires. La prouesse a été possible grâce à l’injection d’un «cocktail» de quatre gènes, choisis parmi les 23 très actifs dans les cellules souches embryonnaires – appelés désormais «facteurs de Yamanaka». En d’autres termes, Shinya Yamanaka a découvert la «touche de réinitialisation».

Ce «reset» peut-il agir sur des cellules sénescentes et vieillissantes de centenaires? De la science-fiction? Pas pour les souris de laboratoire. En enrichissant le cocktail des chercheurs japonais (par l’ajout de deux autres facteurs), Jean-Marc Lemaitre a été le premier à prouver que le vieillissement cellulaire était réversible. Concrètement, des cellules de peau ont été prélevées, converties en cellules souches pluripotentes avant d’être retransformées en cellules de la peau. Ces cellules âgées reprogrammées conservent la capacité d’inverser les processus de sénescence. Elles se comportent tout simplement comme des cellules jeunes! Depuis, son équipe a réussi à reprogrammer l’ensemble des cellules d’un organisme entier, celui d’une souris. Une seule reprogrammation effectuée tôt dans la vie permet d’augmenter de 15% l’espérance de vie en bonne santé des souris. «Elles prennent moins de masse grasse et maintiennent leur masse musculaire. Leur peau est incroyablement jeune! Leur force et leur mobilité sont considérablement améliorées, leurs poumons et leurs reins, protégés, l’arthrose et l’ostéoporose, diminuées, et ce jusqu’à un âge avancé», détaille Jean-Marc Lemaitre. Une reprogrammation répétée tout au long de la vie peut même accroître de 30% la vie en bonne santé.

Une application à l’homme semble une perspective de moins en moins lointaine. Des premiers essais cliniques devraient voir le jour d’ici à cinq ans pour la peau et dans les dix ans pour d’autres organes. «Mais on ne pourra pas manipuler ainsi un organisme humain. Il faut imaginer d’autres stratégies», avance le biologiste. La méthode qui se dessine est la diffusion des facteurs de reprogrammation sous forme d’ARN messagers, véhiculés par de petites vésicules qui cibleront telles ou telles cellules. Comme lui, des laboratoires s’attachent à cibler des organes plutôt qu’un corps entier. Toujours chez les souris, cette technique s’est révélée efficace pour régénérer les cellules du cœur, des intestins, des yeux, ou des muscles.

«Nous avons prouvé qu’il est possible de traiter le vieillissement. C’est plutôt fabuleux, non?»

En attendant, d’autres équipes combinent les sénothérapies et la reprogrammation cellulaire. Cette approche permettrait d’envisager un résultat plus important encore. C’est la voie suivie à l’Ircan par Dmitry Bulavin, après avoir démontré, en 2020, que tuer les cellules sénescentes s’avère potentiellement nocif. «Les cellules supprimées ne sont pas remplacées par de nouvelles. Elles laissent la place à un tissu fibreux cicatriciel délétère, relève le spécialiste. D’où l’idée de reprogrammer les cellules voisines pour qu’elles produisent de nouvelles cellules capables de remplacer celles éliminées.» Il a obtenu des résultats marquants, publiés en 2023.

A terme, un médicament aux vertus rajeunissantes – ou plus sûrement un cocktail de molécules – fera gagner de nombreuses années en bonne santé. Vivre jusqu’à 120 ans en bonne santé sera possible, selon les chercheurs, d’ici une vingtaine d’années. «Les preuves expérimentales sont aujourd’hui suffisantes. Nous avons prouvé qu’il est possible de traiter le vieillissement. C’est plutôt fabuleux, non?» se réjouit Jean-Marc Lemaitre. Bref, demain, tous âgés mais pas vieux!

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