Maladies des yeux: comment limiter le risque de les développer
Troubles de la vision, sensibilité à la lumière, cécité: les maladies oculaires peuvent être très handicapantes. Mais elles se soignent de mieux en mieux.
«La première chose que je regarde le matin, c’est la lucarne au-dessus de mon lit. Une lumière apparaît, c’est le signe que je vois encore.» (1) A l’image de Jeanne, professeure de biologie, des milliers de Belges vivent dans un monde où les objets du quotidien prennent des formes inattendues, où les couleurs sont moins vives, où d’étranges taches noires masquent les visages sur lesquels leurs yeux se posent. C’est en regardant dans un microscope, lors d’un cours, que Jeanne a remarqué ces tâches inhabituelles. Un examen ophtalmologique a confirmé ses appréhensions. Jeanne est atteinte de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, la DMLA.
Première cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans dans les pays industrialisés, la DMLA concerne 8,7% de la population mondiale, soit 196 millions d’individus. D’ici à 2040, compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, ils seront près de cent millions de plus. C’est ce que révèle une méta-analyse publiée dans The Lancet, en 2020. La maladie touche indistinctement les hommes et les femmes, surtout de type caucasien, et la probabilité qu’elle se déclare augmente significativement avec l’âge: 1% des 50 à 55 ans sont concernés, 10% des 65-75 ans, 25 à 30% des plus de 75 ans.
La cataracte et le glaucome sont les deux principales causes de cécité en Belgique.
La gêne, dans un premier temps, n’est souvent perceptible qu’à un œil. Le risque que la maladie touche également le deuxième est de 10% dans l’année suivante, de plus de 40% dans les cinq ans. Si la pathologie est clairement liée à l’âge, les chercheurs ont également identifié certaines prédispositions génétiques et d’autres facteurs favorisant son développement, comme le tabagisme, une mauvaise alimentation et l’obésité.
La dégénérescence maculaire liée à l’âge a pour effet d’altérer la macula (aussi appelée «tache jaune»), la zone centrale de la rétine où convergent les rayons lumineux dans laquelle sont concentrées des photorécepteurs, les cônes. C’est grâce à la macula que nous disposons d’une vision fine pour lire, écrire, distinguer les détails et les couleurs en éclairage diurne.
Chez les patients atteints de DMLA, on observe des lésions au niveau de ces photorécepteurs, ainsi que sur d’autres zones: l’épithélium pigmentaire, soit la couche la plus externe de la rétine contre laquelle les photorécepteurs sont apposés, la couche choriocapillaire, riche en vaisseaux sanguins, et la membrane de Bruch qui les sépare. Ces lésions peuvent être décelées avant même l’apparition des premiers symptômes. Le diagnostic établi lors d’un examen du fond de l’œil peut être confirmé par d’autres plus poussés, dont la tomographie en cohérence optique.
Si la dégénérescence maculaire liée à l’âge est une maladie courante, tous ceux qui en souffrent ne sont pas affectés de la même façon. La pathologie s’exprime, en effet, sous différentes formes: l’une non dégénérative, appelée sèche, et l’autre dégénérative, de type humide (exsudative) ou atrophique (sèche avancée). Des formes mixtes peuvent exister, tout comme une maculopathie liée à l’âge (MLA) peut rester stable au cours de la vie.
Au stade précoce, l’ophtalmologue pourra observer dans les yeux de ses patients des «drusens», soit des dépôts de graisses et de protéines à l’intérieur et autour de la macula. Le patient, lui, ne ressentira, dans la plupart des cas, aucun symptôme, mais des déformations des lignes droites peuvent être perçues.
L’une se traite, l’autre pas (encore)
Dans chacune des deux formes dégénératives, le praticien constatera que la maladie a endommagé la macula de manière irréversible, soit par la formation de petits trous dans le tissu, soit par la prolifération de vaisseaux sanguins anormaux. L’évolution de la maladie ne sera pas la même chez le patient atteint de la forme atrophique que chez un autre atteint de la forme humide. Le premier verra sa vision baisser lentement. Chez le second, cela peut aller plus vite: quelques semaines, voire quelques jours. Dans les deux cas, les conséquences sur la qualité de vie seront importantes: difficultés à la lecture, déformation de la vision et, à un stade plus avancé, taches noires. Bien que très invalidante, la DMLA ne rend toutefois jamais complètement aveugle puisque la périphérie rétinienne reste indemne.
Chez Jeanne, l’enseignante qui aime les livres, la vie a pris un tournant qu’elle n’avait pas envisagé jusque-là. Depuis que la DMLA s’est installée dans sa vie, elle ne peut plus bouquiner et a besoin d’une loupe pour lire ses messages sur son téléphone et d’un dispositif adapté pour regarder la télévision. Il lui faut aussi un certain temps pour reconnaître les visages. Comme elle n’a pas renoncé à une vie sociale et aux sorties culturelles, au quotidien, elle doit faire appel à son entourage pour la conduire à ses activités, ses rendez-vous médicaux, l’aider dans ses démarches administratives. Dans son malheur, Jeanne a toutefois la chance d’être atteinte de la forme humide de la DMLA, la seule qui se traite. Et de plusieurs façons: injections intravitréennes, photocoagulation (destruction thermique des vaisseaux anormaux) ou encore photothérapie dynamique (injection d’un produit photosensible).
Depuis sa mise au point, au début des années 2000, c’est la thérapie dite antiangiogénique (anti-VEGF) qui est surtout utilisée en traitement de référence. Son efficacité est telle qu’elle a supplanté les autres techniques. Elle consiste, toutes les quatre à douze semaines, à injecter des médicaments directement dans l’œil (injection intravitréenne) afin de bloquer la prolifération des vaisseaux sanguins et la formation d’œdème. Ceci permet souvent de stabiliser la maladie, voire, parfois, d’améliorer l’acuité visuelle.
A l’heure actuelle, il n’existe chez nous aucun traitement spécifique pour traiter la forme atrophique de la maladie. Or, elle représente plus de 80% des cas de DMLA. Seules quelques changements dans les habitudes de vie – arrêt du tabac, prise de compléments alimentaires – peuvent aider. L’espoir est toutefois permis: la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine des médicaments, a approuvé cette année un traitement destiné à traiter la DMLA sèche. Ce médicament ne permet pas de guérir la maladie, juste de ralentir sa progression. Par ailleurs, de récents progrès en matière d’imagerie de l’œil devraient permettre de mieux comprendre le développement et l’évolution de la DMLA. Initialement utilisée dans l’observation des étoiles, l’optique adaptative permet de mesurer la progression de la maladie et de tester les approches thérapeutiques sur des temps courts.
Globalement, 80% des troubles visuels peuvent être évités ou traités.
Enfin, des centres de «basse vision» avec des aides à la vue (lunettes spéciales, loupes…) et l’association des patients de DMLA peuvent aider les patients, qu’ils soient atteints de la forme humide ou sèche, à conserver une certaine autonomie.
Comme dans un épais brouillard
Aussi répandus que la DMLA, la cataracte et le glaucome sont les deux principales causes de cécité en Belgique. La cataracte touche plus d’une personne sur cinq à partir de 65 ans et près de deux sur trois après 85 ans. Elle se caractérise par une opacification partielle ou totale du cristallin. Cette lentille, située derrière l’iris et dont le rôle est de diriger les rayons lumineux vers la rétine, devient laiteuse et jaunâtre, donc moins transparente. Comme il s’agit d’une maladie évolutive, les patients atteints de cataracte constatent une baisse progressive de leur vue, ils ont besoin de plus de lumière ou, au contraire, se sentent vite éblouis. Un examen du cristallin permettra de poser le diagnostic et d’évaluer la sévérité de la maladie.
Tout comme la DMLA, la cataracte est en grande partie liée à l’âge. Mais pas que. Dans les cas les plus précoces, elle peut résulter d’un traumatisme oculaire (choc, brûlure, décollement de la rétine, etc.), d’une inflammation, d’une maladie (diabète), d’un traitement médical (cortisone ou radiothérapie) ou encore d’une maladie dégénérative rare et héréditaire, la rétinite pigmentaire. Elle peut aussi avoir une origine congénitale. C’est ce qui explique que des enfants naissent avec un cristallin opaque, notamment parmi ceux porteurs de la trisomie 21.
Les adultes atteints d’une DMLA, d’un glaucome chronique ou d’une forte myopie sont plus susceptibles de développer une cataracte. Le tabac, l’alcool et une alimentation pauvre en fruits et légumes sont d’autres facteurs de risque.
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Seule la chirurgie permet de libérer le patient de ce voile brumeux. L’opération est généralement proposée lorsque la cataracte devient handicapante pour le patient, qu’elle altère sa qualité de vie et que la vision ne peut être améliorée par un changement de verres de lunettes. Au cours de l’opération, en principe indolore, le chirurgien «aspirera» littéralement le cristallin cataracté pour le remplacer par un cristallin artificiel sous forme d’implant. Cette lentille intraoculaire peut permettre, par la même occasion, de corriger la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme.
A elle seule, la prise en charge de la cataracte justifie 143 000 opérations (remboursées en totalité par l’Inami) par an. C’est l’intervention la plus pratiquée en Belgique. Elle concerne six femmes pour quatre hommes, âgés en moyenne de 75 ans.
Une lentille intelligente pour le glaucome
Un autre type de lentille suscite beaucoup d’attentes. Le prototype développé par une équipe de chercheurs coréens s’inscrit dans la recherche pour soigner une autre maladie des yeux très fréquente: le glaucome. Cette lentille serait en effet capable à la fois de surveiller l’état du patient et d’administrer le médicament de manière adaptée lorsqu’il évolue. Jusqu’ici, les tests n’ont été réalisés que sur des lapins, mais les résultats, parus en 2022 dans Nature Communications, sont encourageants.
Le glaucome est considéré par l’OMS comme l’une des causes évitables de cécité contre lesquelles il faut agir, au même titre que la cataracte, le trachome (infection bactérienne), l’avitaminose A (liée à un régime pauvre en vitamine A ou à un trouble de l’absorption ou hépatique) et l’onchocercose (maladie tropicale causée par un parasite). Globalement, 80% des troubles visuels peuvent être évités ou traités.
Pour le glaucome, c’est donc la pression intraoculaire qui est en cause. Cette augmentation de pression oculaire provoque des lésions progressives du nerf optique. La majorité des patients présentent une des deux formes les plus fréquentes: le glaucome chronique à angle ouvert ou le glaucome à angle fermé. La différence? Lorsqu’on parle d’angle iridocornéen, on parle en réalité de la zone située entre l’iris et la face postérieure de la cornée. Il abrite le trabéculum, un tissu de fibres collagènes dont le rôle est de filtrer l’humeur aqueuse. Dans le glaucome aigu, c’est l’iris qui obstrue le passage vers le trabéculum, empêchant l’humeur aqueuse de s’évacuer correctement. Le patient ressent alors une douleur, présente une rougeur, a des nausées et perd brutalement la vue. Pour éviter une perte irréversible de la vision, le médecin prescrira des collyres, un traitement systémique et au laser.
Le glaucome chronique à angle ouvert est le plus fréquent. Il est aussi plus sournois. L’atteinte visuelle est progressive: elle débute à la périphérie du champ visuel et s’étend progressivement vers le centre. L’augmentation de la pression oculaire étant généralement asymptomatique, le glaucome est souvent diagnostiqué à un stade assez évolué. Comme le processus est lent, il peut s’écouler plusieurs années avant que le patient ne s’aperçoive du problème. Pour traiter le glaucome ouvert, on aura également recours à l’administration de collyres et au laser mais aussi à la chirurgie. Le laser permet d’augmenter le flux de l’écoulement de l’humeur aqueuse. La chirurgie, elle, de dégager le trabéculum. Quelle que soit la méthode, le patient a de bonnes chances de voir son état se stabiliser si le nerf optique n’est pas trop endommagé.
Comme pour les autres pathologies, tout l’enjeu repose donc sur le dépistage précoce. D’autant qu’environ 30% des glaucomes ont un caractère héréditaire. Les personnes présentant une très forte myopie, une hypertension, un diabète, des apnées du sommeil ou encore la prise prolongée de corticoïdes devraient également rester vigilantes. Pour la santé des yeux aussi, la sensibilisation et la prévention évitent bien des complications.
(1) www.dmlainfo.fr/jeanne-jean
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