Mal de dos: « L’exercice est l’analgésique le plus puissant qui existe »
Connaissez-vous un adulte qui ne souffre pas de maux de dos ? Malgré les nombreuses recherches dans ce domaine, il semble que les interventions médicales soient inutiles, voire empirent le mal. Pourtant il existerait bien une solution toute simple.
Les chiffres varient quelque peu selon la source, mais ils n’en sont pas moins limpides: plus de 80 % des personnes souffrent de maux de dos. Les femmes sont plus touchées que les hommes – les deux tiers des patients concernés sont en effet des femmes. Dans 80 à 85 % des cas, on ne trouve pas de cause claire au mal de dos. Pas moins de 95 % des douleurs s’en vont d’elles même, généralement assez rapidement. Pour les 5 % restant, on parle de douleurs lombaires chroniques – soit quand les douleurs persistent pendant plus de six semaines.
On comprend de mieux en mieux que, dans bien des cas, la douleur n’a pas grand-chose à voir avec le dos proprement dit, mais qu’elle est due à un cerveau qui ne réagit plus de façon normale. « Les maux de dos commencent souvent par un épisode de douleur aiguë provoquée, par exemple, par un mauvais mouvement dans le jardin qui a mis à rude épreuve les muscles du dos », explique Bart Morlion (KU Leuven), expert en douleur. Cela commence par des stimuli de douleurs qui vont du dos au cerveau. Beaucoup de gens pensent alors automatiquement qu’il se passe quelque chose de grave, mais habituellement la douleur disparaît d’elle-même. Sauf que ce n’est pas le cas chez tout le monde puisque chez un certain nombre de patients, la douleur sera maintenue par toutes sortes de facteurs qui n’ont plus rien à voir avec le dos. Par exemple, c’est le système nerveux central, qui dirige la douleur vers le cerveau, qui réagit de façon excessive. Ce qui pousse le cerveau à prendre en charge la douleur et à la maintenir. Vous ressentez encore des douleurs dans le dos, mais en fait, le problème se situe dans votre cerveau.
Sonnette d’alarme dans nos têtes
La douleur commence habituellement en tant que signal du corps qui indique que quelque chose ne va pas. « Mais la douleur est avant tout une expérience émotionnelle », explique Morlion. Notre cerveau peut amplifier la douleur en réponse à des stimuli qui n’ont rien à voir avec le signal original. On peut le comparer à une alarme incendie qui se déclenche en cas d’incendie. Si l’incendie est éteint, mais que l’alarme continue à retentir, on devrait vérifier l’installation. Dans le cas de la douleur chronique, l’installation se situe dans nos nerfs, notre moelle épinière et notre cerveau.
« Le fait que la douleur se situe littéralement entre nos oreilles ne signifie cependant pas qu’elle soit purement psychologique « , ajoute le physiothérapeute et physiologiste de la douleur Jo Nijs (VUB). « Vous pouvez rendre la douleur dans le cerveau visible avec des scanners cérébraux. Vous verrez alors que les régions du cerveau qui produisent la douleur chez les patients souffrant de douleur chronique sont plus grandes et plus actives que dans des circonstances normales. Beaucoup de maux de dos dits chroniques n’ont plus rien à voir avec le dos, mais tout avec le cerveau. Il ne s’agit pas d’un problème structurel local du dos qui doit être traité par de la chirurgie ou d’un problème de stabilité pour lequel des séances de kiné sont nécessaires. Nous le savons depuis une vingtaine d’années, mais il a fallu tout ce temps pour que cette idée soit largement acceptée dans la société. En effet, pendant longtemps, notre médecine a été essentiellement technique et axée sur l’intervention. Aujourd’hui encore, notre système de santé est dominé par la consommation médicale : plus nous examinons et traitons de patients, plus cela rapporte au prestataire de soins ou à son employeur. Cette approche ne contribue pas à la mise en oeuvre d’avancées scientifiques permettant de réaliser des économies dans ce domaine ».
La vraie solution pour les maux de dos que les médecins et les thérapeutes préconisent aujourd’hui avec toujours plus de vigueur est très simple et peu couteuse : il faut faire plus d’exercice ! « Bien sûr, dans un premier temps, nous devons veiller à ne pas trop vite exclure les signaux « , dit la spécialiste Gaëtane Stassijns (Médecine physique et rééducation UZA/UA). « Il reste primordial de vérifier si le mal de dos n’est pas le résultat d’une fracture, d’une infection ou d’une maladie comme le cancer. Celles-ci nécessitent encore et toujours une approche médicale solide et adéquate. A ceci près que la douleur est rarement un bon étalon pour mesurer la gravité du mal. Certaines de mes patientes disent que leurs maux de dos sont pires que les douleurs ressenties à l’accouchement, mais cela ne signifie pas nécessairement que leur dos soit touché de façon dramatique. C’est ce message qui est parfois très difficile à faire passer. »
Dans la plupart des cas, le traitement standard contre le mal de dos est aujourd’hui la thérapie par le mouvement. « Beaucoup de gens ont tendance à en faire le moins possible lorsqu’ils ont mal au dos « , explique encore Stassijns. « Mais c’est presque la pire chose à faire. Non seulement on adopte parfois des postures contre nature qui peuvent amplifier les symptômes, mais vous lâchez aussi la bride à la douleur qui va mener sa propre vie et s’autoentretenir. On peut empêcher cela en bougeant le plus normalement possible, malgré les stimuli douloureux. En bougeant, la douleur disparaîtra graduellement. Même si, au début, il faudra probablement un peu mordre sur sa chique. »
Autogestion de la douleur
La recherche scientifique sur cette approche est désormais si solide que les médecins et les thérapeutes veulent qu’elle soit remboursée. Le physiothérapeute Lieven Danneels (UGent) a récemment organisé à Anvers le dixième congrès mondial multidisciplinaire sur les lombalgies, auquel ont participé 750 experts de 64 pays. Il a ainsi remarqué qu’en particulier les pays scandinaves mettent de plus en plus de responsabilités sur le patient lui-même en ce qui concerne le traitement des lombalgies. Le patient doit apprendre à gérer sa douleur lui-même.
« Je pense qu’il est temps pour les médecins et les thérapeutes de s’asseoir avec les autorités compétentes pour prendre des mesures qui peuvent changer la politique, » dit-il. Le Centre fédéral de connaissances sur les soins de santé a déjà publié des lignes directrices pour prescrire l’exercice comme principal traitement contre le mal de dos. Mais cette approche est si contre-intuitive qu’il est difficile de convaincre les patients. C’est pourquoi il serait utile d’y associer des leviers financiers. On pourrait ainsi pénaliser un patient qui ne veut pas suivre la thérapie par le mouvement, simple et donc peu coûteuse pour la santé publique. C’est une évidence que la thérapie par le mouvement est de loin le meilleur traitement pour les maux de dos, mais elle exige plus de participation d’un patient que ce à quoi il est habitué. Nous devons encourager ce changement de comportement. »
« Nous sommes encore trop dans une société qui dorlote, dans laquelle le patient doit en faire le moins possible lui-même « , dit Bart Morlion, spécialiste de la douleur. Un patient veut des pilules ou une opération. Le traitement des lombalgies dans notre pays dépend fortement de vers qui votre médecin vous envoie. S’il vous envoie chez un chirurgien du dos, il y a souvent un traitement onéreux qui, dans de nombreux cas, n’apporte aucun soulagement. Un thérapeute du mouvement et un expert de la douleur sont beaucoup moins chers. Mais la société semble se moquer des coûts en ne se concentrant pas sur le traitement le plus efficace, en l’occurrence la thérapie par le mouvement. Les prestataires de soins de santé doivent s’éloigner de l’ancien modèle de rémunération et les patients doivent prendre en charge leur propre traitement plus souvent.
« Il va sans dire qu’une telle chose doit être expliquée correctement à un patient. On doit lui faire comprendre que rester en mouvement est crucial, même avec la douleur « , souligne également Morlion. C’est de loin le meilleur moyen d’entrainer son dos, mais aussi pour aider son cerveau à réduire la douleur. Mais tous les patients n’acceptent pas que vous disiez qu’il ou elle peut combattre la douleur en soulevant des poids. Votre dos ne se brisera pas si vous soulevez une caisse de bière, au contraire. Bien sûr, vous devez augmenter progressivement la charge, mais votre douleur disparaît plus rapidement si votre dos est régulièrement soumis à une charge lourde. Une bonne éducation sur la douleur est cruciale. Une grande partie de nos patients sont déjà partiellement soulagés lorsqu’on leur explique ce qui se passe exactement. Soit lorsqu’ils réalisent qu’il ne s’agit pas d’un dos cassé, mais d’un système douloureux trop sensible.
Grosse hernie discale
« Malheureusement, on constate que c’est encore trop souvent le contraire qui se passe « , dit Gaëtane Stassijns, spécialiste du dos. Les gens ont toujours peur de se forcer ou ne croient pas à l’effet d’un traitement si simpliste. Ils se vautrent parfois dans le sentiment d’avoir besoin d’aide sauf qu’il ne s’aide pas en agissant ainsi. Il y a aussi des facteurs émotionnels et sociaux qui peuvent rendre la guérison plus difficile et encourager les maux de dos chroniques. Un divorce pénible, du harcèlement au travail, le chômage, des problèmes d’assurance après un accident de la route : tout cela peut jouer un rôle dans le maintien de ce que l’on appelle commodément encore le mal de dos. C’est oublier un peu vite qu’une grosse hernie peut disparaître d’elle-même avec le temps.
Le nouveau tabagisme
Vous pouvez également aborder la question des traitements médiocres ou inefficaces. Il existe sur le marché toutes sortes de matelas et d’appareils pour soulager le dos, mais il n’y a pratiquement jamais de progrès médicalement démontrables. Et selon les experts, « croquer » le dos a dans le meilleur des cas une petite valeur ajoutée en plus d’une thérapie du mouvement bien exécutée.
« Il n’y a pas un seul analgésique qui donne de bons résultats pour le traitement des maux de dos « , explique le physiothérapeute Jo Nijs. Au contraire, certains médicaments peuvent aggraver la situation – regardez la crise des analgésiques aux États-Unis qui cause de nombreux décès. Nous savons par la recherche que plus un patient montre des signes de douleurs, plus les analgésiques qu’il recevra seront lourds et nombreux. Sauf que, souvent, ces derniers ne font effet que pendant quelques jours. Après cela, on doit augmenter la dose. Par exemple, vous pouvez devenir dépendant à des analgésiques pris pour une maladie que l’on pourrait combattre en faisant juste un peu plus d’exercice et en adoptant un mode de vie plus sain.
« Car on l’ignore souvent, mais un bon sommeil et une alimentation saine jouent un rôle important dans la lutte contre le mal de dos tout en évitant le stress à long terme « , ajoute le collègue Lieven Danneels. Néanmoins, bouger reste la chose la plus importante. On peut faire ses exercices partout, même au travail. Il est dans votre intérêt de ne pas rester immobile plus d’une demi-heure et de vous promener régulièrement. La position assise est nocive – certains l’appellent même « le nouveau tabagisme ». Grâce aux smartphones, nous pouvons encourager les gens à faire de l’exercice régulièrement et nous pouvons vérifier s’ils suivent leur thérapie correctement. »
Danneels souligne néanmoins que chaque cas est différent et nécessite une approche individuelle: » Cela doit bien sûr être pris en compte. Tous les traitements n’auront pas l’effet désiré sur tous les patients. Si vous avez une tendance à paniquer rapidement, vous aurez moins de chances de vous débarrasser de votre douleur parce que vous serrez trop doux avec votre dos. Alors que d’autres devront être modérées pour ne pas en faire trop. Un patient peut aussi apprendre à faire face à la douleur et apprendre à fonctionner malgré elle. La douleur chronique est souvent moins intense que la douleur aiguë.
Cartables trop lourds
Le nombre de maux de dos a tendance à augmenter, bien que les chiffres ne soient pas univoques. « En vieillissant, les symptômes s’aggravent « , dit Jo Nijs. Il est également trop facile de dire que ces problèmes de dos sont liés au fait que les enfants portent des cartables trop lourds. Mais cela ne joue guère de rôle, à moins que leur dos ne soit extrêmement tendu. En principe, le dos n’a pas de problèmes à effectuer des tâches quotidiennes. Nous devons nous débarrasser de l’idée que les gens doivent protéger ou épargner leur dos. Ce n’est que dans des cas très extrêmes, tels que les haltérophiles professionnels, qu’il est conseillé d’utiliser des techniques de levage ergonomiques pour protéger le dos. Nous ne le rappellerons jamais assez: le mouvement est l’analgésique le plus puissant qui soit. On le voit bien avec les cyclistes qui chutent, mais qui finissent quand même la course. Ce n’est que lorsqu’ils se détendent, après avoir franchi la ligne d’arrivée que la douleur devient insupportable.
Et les douleurs dorsales croissantes chez les enfants ? » C’est parce qu’ils bougent beaucoup moins qu’avant et qu’ils végètent longtemps dans une position contre nature et inclinée vers l’avant « , explique Gaëtane Stassijns. Leur dos est alors courbé, alors que notre dos doit être légèrement creux pour fonctionner de façon optimale. De plus, leur cou est courbé vers le bas pour pouvoir regarder les écrans. Si vous faites cela pendant des heures, cela peut entraîner des problèmes de dos. Au lieu d’envoyer un message Whatsapp à quelqu’un qui se trouve dans la maison, vous feriez mieux d’aller le voir et de lui dire ce que vous avez à dire. Même de courtes séances de petits mouvements peuvent soulager un dos douloureux. Il est également plus malin de changer de posture régulièrement plutôt que de ne rien faire pendant une journée et puis de faire du vélo pendant une heure. L’exercice est également bon pour le traitement de troubles tels que les maladies intestinales et la maladie de Parkinson. Si vous ne forcez pas, cela ne peut être que bénéfique.
Est-ce que tout cela signifie la fin du mythe selon laquelle les humains ont de nombreux problèmes de dos parce que nous nous sommes trop vite mis debout ? Bart Morlion : » De nombreuses plaintes sont davantage le résultat d’un forçage musculaire que d’une surcharge des vertèbres et de la colonne vertébrale. Elles sont causées par de longues postures non naturelles, comme le travail penché vers l’avant dans un champ ou de rester trop longtemps assis sans bouger. En fait, il semble que de nombreux ouvriers qui travaillent en extérieur souffrent moins de maux de dos que les personnes qui passent des journées devant leur ordinateur avec stress. En ce qui concerne les maux de dos, les métiers pénibles ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit.
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