L’hydroxychloroquine, remède contre le coronavirus ?
Le groupe d’experts en charge des guidances cliniques chez Sciensano préconise dès maintenant le recours à cette molécule déjà utilisée contre d’autres affections pour tous les patients alités victimes du Covid-19. Bien connue et éprouvée, elle pourrait contribuer à faire baisser la durée de traitement et le taux de décès. Et constituer un levier majeur de lutte contre la maladie.
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Le Covid-19 a déclenché la plus intense campagne de recherche scientifique de l’histoire pour trouver non seulement un vaccin, mais aussi des médicaments curatifs ou préventifs. Y compris en testant de » vieux » médicaments. Et cela n’est pas qu’une vue de l’esprit, cela donne des résultats. Depuis le 13 mars, la Belgique a décidé d’utiliser l’hydroxychloroquine (HCQ) chez tous les patients hospitalisés avec une maladie sévère, mais aussi ceux chez qui la maladie reste légère à modérée, mais qui appartiennent à une catégorie à risque, car il sont aussi affectés par une infection pulmonaire, une atteinte rénale ou un diabète nécessitant une hospitalisation. Après deux doses d’attaque de 400 mg, on en donne 200 mg pendant cinq jours. Cette découverte provient de Chine, où des milliers de malades ont été traités.
La molécule a déjà confirmé son efficacité.
Est-ce le remède miracle ? Non. Comme tout médicament ou traitement, celui-ci comporte évidemment des risques et des effets secondaires. Mais aujourd’hui, ils sont très largement compensés par tous ses avantages.
Le premier, c’est d’être une molécule utilisée depuis très longtemps pour soigner d’autres affections, en l’occurrence le lupus et l’arthrite rhumatoïde. Des millions de patients l’ont donc déjà utilisé dans le monde depuis quarante ans.
Le deuxième, c’est d’être peu cher et disponible immédiatement, même si on ne sait pas actuellement si les producteurs pourront assurer une continuité des fournitures si la demande explose.
Le troisième, c’est d’afficher peu de contre-indications, contrairement aux antiviraux plus » modernes » testés pour le moment contre le Covid-19. Le médicament peut, par exemple, être administré aux femmes enceintes.
Le quatrième, c’est que, s’il est efficace, c’est sans doute dès un traitement de cinq jours, limité dans le temps et donc peu coûteux.
Le cinquième, c’est la possibilité d’avoir un effet prophylactique. C’est le cas en culture cellulaire, mais il faut le confirmer par des essais cliniques. Si c’est vérifié, on pourrait donc le donner aux patients appartenant aux groupes à risque et suspectés d’avoir contracté le virus, sans attendre une confirmation du test.
Une décision étayée scientifiquement
Ces avantages ont emporté la décision d’une task force réunie au sein de Sciensano, l’institut scientifique de santé publique dépendant du Service public fédéral Santé publique. Qui recommande donc l’utilisation hospitalière de l’hydroxychloroquine pour les stades léger, moyen et sévère de la maladie. Cette task force est composée de trois personnes, un représentant de l’UZ Anvers et de l’hôpital universitaire Saint-Pierre, à Bruxelles, les deux hôpitaux de référence pour les virus respiratoires émergents, ainsi que d’un médecin de l’Institut des maladies tropicales d’Anvers.
Les trois experts se sont basés sur les protocoles élaborés dans les deux hôpitaux précités, en charge des premiers malades, mais aussi sur le travail d’analyse de Sciensano et l’expertise sur les médicaments de l’Agence fédérale de sécurité des médicaments et des produits de santé. Que peut-on en attendre ? C’est une recommandation adaptable prise au moment même de l’amplification de l’épidémie en Belgique. » Elle est par nature destinée à être adaptée en permanence. Toute nouvelle étude publiée, même des éléments issus de la littérature dite grise, c’est-à-dire des avis d’experts non encore soutenus par des études complètement publiées, peuvent aider notre compréhension de la meilleure manière de soigner ce virus. Mais cette recommandation constitue ce qui est le plus robuste actuellement « , souligne le docteur Nicolas Dauby, de l’hôpital universitaire Saint-Pierre (ULB) et un des trois auteurs de ces recommandations (lire son interview plus bas).
La chloroquine non retenue
Une recherche du professeur Xueting Yao, affilié au Peking Union Medical College Hospital, publiée dans Clinical Infectious Diseases (presses académiques d’Oxford), le 10 mars, indique en effet que l’hydroxychloroquine est trois fois plus efficace in vitro que la chloroquine, une molécule apparentée déjà largement étudiée dans les affections virales, dont celles à coronavirus. Lors de l’épidémie du Sras en 2002-2003, la chloroquine avait démontré une efficacité in vitro contre le virus responsable, le Sars-CoV1 (qui partage 80 % de son patrimoine génétique avec l’actuel virus). L’épidémie passée, les fonds avaient manqué pour un essai clinique robuste… qui aurait été pourtant bien utile aujourd’hui.
La molécule avait pourtant confirmé son efficacité face au Mers-Cov, quelques années après l’épidémie du Sras. Elle la confirme même contre le virus actuel, à en croire quelques premières études rétrospectives sur des malades traités, mais non encore publiées. Une étude clinique est en cours. Pourtant, la molécule n’a pas été retenue par le comité scientifique du consortium français REACTing, qui lançait, le 16 mars, un essai clinique de grande taille. Trois traitements potentiellement efficaces y seront comparés avec les simples traitements de soutien visant à alléger les symptômes.
Des effets secondaires
Ce consortium est présidé par le professeur Jean-François Delfraissy, actuel président du Comité consultatif français d’éthique (CCNE). Il estime que » nous aurions pu inclure la chloroquine, cela a été sérieusement envisagé, mais nous avons considéré qu’elle présentait trop de problèmes d’interactions médicamenteuses « . Un avis qui laisse perplexes d’autres spécialistes : » Les interactions médicamenteuses sont bien plus nombreuses avec l’association lopinavir/ritonavir, que REACTing a inclus dans deux des trois schémas thérapeutiques testés « , souffle une de nos sources. Pour autant que nous ayons pu le vérifier, l’association lopinavir/ritonavir n’est pas inclue dans l’essai clinique de REACTing.
Ce sont manifestement les » antichloroquine » qui ont pu imposer leur vision. Comme Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris : » Tous les spécialistes que j’ai vu disent de la chloroquine : « A chaque fois qu’il y a un nouveau virus, il y a un type qui dit que ça va marcher » « , a-t-il déclaré sur Europe 1. Martin Hirsh reconnaît que la chloroquine peut fonctionner, mais pas sur un individu porteur du virus. » La chloroquine marche très bien dans une éprouvette mais n’a jamais marché chez un être vivant. » Gilbert Deray, néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, jugeait, sur Europe 1, ce médicament » inutile et dangereux. Il faut y faire très attention parce qu’il donne beaucoup d’effets secondaires et, en particulier, porte atteinte à la rétine avec des pertes de la vision qui peuvent être irréversibles « .
L’hydroxychloroquine testée à Marseille
Mais le médicament préconisé par Sciensano est bien l’ hydroxychloroquine, un métabolite de la chloroquine, nettement mieux toléré que cette dernière. Les partisans de la chloroquine/hydroxychloroquine restent profondément convaincus qu’ils tiennent là ce qui pourrait devenir un levier majeur de lutte contre la maladie.
C’est tellement vrai qu’un essai clinique évaluant l’hydroxychloroquine portant sur 24 malades atteints du Covid-19 a commencé à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection de Marseille, par les équipes du professeur Didier Raoult, virologue au pedigree impressionnant. » J’utilise la chloroquine depuis vingt ans, notamment contre les infections. Car au niveau intracellulaire, elle agit contre les bactéries comme elle agit contre les coronavirus. C’est le même mécanisme d’entrée dans la cellule. Des équipes chinoises de haut niveau ont publié des résultats très clairs dans Cell Research, le 4 février dernier, qui démontrent en effet que la chloroquine présente une activité antivirale en empêchant les étapes d’entrée et de sortie du virus dans des cellules cultivées in vitro, stoppant ainsi efficacement sa réplication et sa propagation. Et, in vitro, la molécule était efficace contre le Sras. On peut faire confiance aux Chinois, ils ont vingt essais en cours sur le sujet. Mais entre les résultats bruts et une publication par peer review, il peut s’écouler des mois. On ne peut pas attendre. On connaît les doses adaptées, sans risque pour le patient. D’ailleurs, les Chinois en ont fait une instruction officielle : les malades doivent être traités avec de la chloroquine « , explique Didier Raoult dans une vidéo postée par l’IHU. A la question » Si vous étiez touché par le corona, en prendriez-vous ? « , le spécialiste répond clairement par l’affirmative.
Etant trois fois plus efficace in vitro que la chloroquine, l’hydroxychloroquine pourrait potentiellement raccourcir la durée de la prise en charge, du séjour, du séjour à l’hôpital et diminuer la morbidité et la mortalité. Dans quelle mesure ? On ne le sait pas précisément.
Par Frédéric Soumois.
« Le HCQ doit être utilisé à l’hôpital chez quasi tous les patients »
Le docteur Nicolas Dauby est spécialiste postdoctorant FRS-FNRS auprès du département des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire Saint-Pierre (ULB), à Bruxelles. Il fait partie de la task force de guidance clinique contre le Covid-19.
L’hydroxychloroquine, c’est l’arme absolue contre le Covid-19 ?
C’est encore trop tôt pour l’affirmer sans réserve. Ce qu’on sait, c’est que l’hydroxychloroquine inhibe la réplication du virus in vitro et qu’elle empêche l’infection d’autres cellules. Elle rend les cellules réfractaires à l’intrusion du virus, ce qui laisse augurer d’un possible effet prophylactique. Ce n’est pas si surprenant si on se souvient qu’elle a aussi ce double effet, curatif et prophylactique, contre la malaria.
Comment ça marche ?
On pense que l’hydroxychloroquine modifie les récepteurs spécifiques par lesquels le virus s’introduit dans les cellules. Et elle fonctionne sur le Sars1, sur le Mers, sur le Sars2. Il y a donc un effet de classe.
Combien de temps faut-il le prendre ?
On ne sait pas. Mais les Chinois ont publié un communiqué de presse qui semble indiquer que quatre jours suffisent pour ressentir un effet bénéfique important. L’hydroxychloroquine est trois fois plus efficace que la chloroquine standard (en fait du phosphate de chloroquine). Cela signifie que vous pouvez obtenir l’effet bénéfique avec des doses plus réduites, donc avec des effets secondaires diminués et un risque de surdose minimisé. Il est très important que les gens ne se ruent pas sur la chloroquine ou l’hydroxychloroquine n’importe comment, car c’est un médicament qui doit être administré sous surveillance stricte. Pour l’instant, nous ne le recommandons qu’en milieu hospitalier et nous demandons aux généralistes de ne pas l’utiliser. C’est une utilisation off-label qui impose une surveillance intensive qui ne peut être réalisée à la maison. Il y a notamment un risque de cardiotoxicité et d’arythmie. L’avantage de l’hydroxychloroquine est d’avoir été utilisée depuis des dizaines d’années et d’être disponible et d’un coût très abordable.
Parce qu’il y a un autre médicament efficace ?
Oui, le remdesivir, un médicament développé initialement pour traiter le virus Ebola. C’est un agent antiviral large qui s’attaque à l’étape de la polymérase du virus, c’est-à-dire quand il réplique son ARN pour mieux se reproduire. De nombreux essais cliniques sont en cours. Mais sa disponibilité dans les prochaines semaines semble problématique. Il est uniquement disponible pour usage compassionnel. (NDLR : qui permet l’utilisation thérapeutique de médicaments sans autorisation de mise sur le marché pour des malades en impasse thérapeutique).
Y a-t-il des contre-indications à l’hydroxychloroquine ?
Un indice Q/T supérieur à 500 msec mis en évidence à l’électrocardiogramme, la myasthénie aiguë, la porphyrie, la rétinopathie et l’épilepsie. Il est donc très important de bien connaître les antécédents du patient.
» Nous ne sommes pas dépourvus de solutions contre le Covid-19, mais nous devons encore progresser dans la connaissance de la maladie, affirme le docteur Nicolas Dauby, de l’hôpital ULB Saint-Pierre. Ainsi, on s’aperçoit qu’il y a une période très critique dans l’évolution de la maladie, cinq à sept jours après l’apparition des premiers symptômes, dans laquelle peuvent apparaître subitement des complications lourdes liées à la réponse inflammatoire de l’hôte et plus directement au virus en soi. C’est une espèce de rebond qui défie évidemment le traitement de la maladie. Des traitements destinés à moduler la réponse inflammatoire sont en cours d’évaluation en Chine et en Italie. Les patients non hospitalisés ou qui sont revenus à la maison après un traitement doivent impérativement recontacter leur médecin s’ils constatent une détérioration clinique, comme des difficultés à respirer. Une réévaluation journalière est alors recommandée. Les solutions dépendent également des facteurs médicaux de risques, comme des comorbidités, mais aussi une isolation sociale, etc. »
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