nitazènes
Les nitazènes seraient 500 fois plus puissants que la morphine © Getty Images

Les nitazènes, ces drogues de synthèse puissantes qui inquiètent l’Europe (et la Belgique): «Eviter une crise comme le fentanyl»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

L’essentiel

• Les nitazènes sont de nouvelles drogues de synthèse puissantes et potentiellement mortelles qui inquiètent l’Europe et la Belgique.
• Plus forts que le fentanyl, les nitazènes seraient 500 fois plus puissants que la morphine et proviennent principalement de Chine.
• En Belgique, un nombre limité de nitazènes a été détecté, dont l’isotonitazène, découvert en 2019.
• L’ONUDC évoque un lien probable entre l’expansion des nitazènes et la baisse de la production d’opium en Afghanistan, ce qui pourrait entraîner une pénurie d’héroïne sur les marchés.

De nouvelles drogues de synthèse inquiètent: les nitazènes. Ces substances très puissantes et potentiellement mortelles ont été identifiées dans plusieurs pays européens, dont la Belgique.

Après la crise du fentanyl, une crise des nitazènes? Les voyants sont au rouge. Dans son dernier rapport, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUCD) pointe l’expansion de ces «opiacés très puissants». Plus forts que le fentanyl, les nitazènes seraient 500 fois plus forts que la morphine. Provenant principalement de Chine, ils ont été identifiés aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi en Grande-Bretagne, Belgique, Estonie, Lettonie et Slovénie. Un premier cluster de cas en France a également été identifié et deux décès rapportés. Dans un récent rapport, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) s’est également inquiété de ce phénomène.

Cette substance est moins chère et plus facile à produire que l’héroïne. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) l’a d’ailleurs placé sur la liste des stupéfiants. La production, la vente et l’usage sont donc interdits depuis le 9 juillet 2024

Pas vraiment nouveaux

Les nitazènes ne sont pas nouveaux. Ils ont été développés dans les années 1950 par l’entreprise qui a précédé le groupe pharmaceutique Novartis. Identifiés comme traitement potentiel de la douleur, ils n’ont finalement pas été approuvés en raison d’une puissance trop dangereuse, et d’effets secondaires potentiels très néfastes. «D’autres produits se sont avérés meilleurs et plus sûrs, abonde le Dr. Thomas Pietschmann, Senior Research Officer à l’UNODC. Ils n’ont donc jamais réussi à l’introduire dans la pratique médicale. Mais ils ont été en quelque sorte réinventés et refondés.»

Les principales substances identifiées actuellement sont, en principe, déjà sous contrôle. «Mais lorsqu’elle émerge dans plusieurs pays, cela doit interpeller. Cela a commencé autour de 2019. Et en 2023, tout à coup, il y a eu des décès en Irlande, au Royaume-Uni, en Estonie et en Lettonie.»

En Belgique, un nombre limité a été détecté, indique Sciensano. L’isotonitazène a été le premier nitazène détecté dans le monde en 2019, découverte dans le cadre d’activités de surveillance de routine sur le web par l’Unité Drogue illégales. «Quatre autres nitazènes ont été trouvées depuis 2019, soit saisies par les douanes soit trouvées dans des échantillons biologiques», précise-t-il. En Belgique, c’est l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) qui est chargée d’élaborer la réglementation. «L’AFMPS a déjà inscrit les nitazènes dans l’arrêté royal du 6 septembre 2017 réglementant les stupéfiants et les substances psychotropes depuis fin 2021 (entré en vigueur début 2022)», informe l’Agence. Une dizaine de nitazènes y sont énumérés (étonitazène, butonitazène, étonitazépine…).

Les nitazènes, des opioïdes très actifs

Les opioïdes agissent sur le système nerveux central et sont utilisés principalement comme antalgiques, tels la morphine ou le fentanyl. Ces substances, classées comme stupéfiants, peuvent être d’origine naturelle, hémi synthétique ou synthétique. Les nitazènes appartiennent à cette dernière catégorie. Ils présentent une structure chimique de type benzimidazole et sont aussi appelés «dérivés benzimidazolés». Comme avec les autres opioïdes, ils peuvent provoquer des overdoses associant des troubles de la conscience, une dépression respiratoire et un myosis (pupille rétrécie).

En Belgique, les nitazènes «sont classés dans la catégorie des nouvelles substances psychoactives (NPS), également appelées « legal highs » ou « designer drugs »», explique Sciensano. Les NPS comprennent généralement une variété de composés conçus pour imiter les effets de drogues illicites connues, servant d’alternatives légales à ces substances.» Les nitazènes sont généralement des opioïdes très actifs. «La plupart des analogues du nitazènes sont plus puissants que la morphine. Cela signifie que des concentrations plus faibles sont généralement suffisantes pour produire des effets opioïdes», précise encore Sciensano.

Quels effets?

Plusieurs effets sont observés lors de l’exposition aux nitazènes. D’abord de l’analgésie, l’euphorie, la détente, la sédation, la bradycardie (rythme anormalement lent du coeur) et l’hypothermie. Ensuite, à des doses plus élevées, une dépression respiratoire. Enfin, de l’apnée et un arrêt respiratoire. Les overdoses peuvent survenir dans un délai très court et mettre le pronostic vital en danger. «La naloxone est un antidote sûr et efficace pour inverser la dépression respiratoire causée par les nitazènes, ajoute néanmoins Sciensano. Mais plusieurs doses sont souvent nécessaires.» Un nombre précis de doses n’a néanmoins pas été établi pour l’instant. Il est recommandé d’évaluer chaque situation individuellement.

Bien plus puissants que l’héroïne et le fentanyl, ils seraient même jusqu’à 500 fois plus forts que la morphine. «C’est énorme, donc la moindre erreur peut être mortelle, acquiesce le Dr Pietschmann . Or, les personnes qui les font circuler ne sont pas des pharmaciens. Ils veulent gagner de l’argent, rapidement, et commettent des bévues

Eviter une crise

Le rapport de l’ONUDC évoque un lien probable avec la situation en Afghanistan. Premier producteur mondial jusqu’au bannissement de la culture du pavot par le chef suprême des talibans en avril 2022, le pays a vu chuter sa production d’opium l’an dernier, ce qui a conduit à une baisse de 74% dans le monde. «A l’heure actuelle, les stocks sont toujours disponibles, mais ils finiront par s’épuiser, avertit le Senior Research Officer. Il y aura soudainement une pénurie d’héroïne sur les marchés. Comment les gens vont-ils réagir à la pénurie?» Selon lui, la plupart des pays européens sont bien équipés, avec des programmes de substitution moins dangereux et mieux contrôlés. Mais tout le monde ne pourra pas y avoir accès.

L’essentiel est d’avertir tôt, pour éviter une crise. «Nous ne considérons pas la Belgique comme un cas majeur, mais l’identification dans plusieurs pays permet de coopérer et d’avoir un système d’alerte précoce, bien plus rapide qu’avant, conclut le Dr. Thomas Pietschmann. Le problème de drogue européen est minime par rapport aux Etats-Unis, qui ont connu une grosse crise avec le fentanyl. Nous ne voulons pas d’une telle crise en Europe.» Il conseille aux autorités de mettre en place des systèmes qui permettent à ceux qui le souhaitent d’avoir accès à un traitement de substitution et de contrôler davantage le trafic sur le darknet.

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