Les huiles essentielles, médecine de demain ?
Hélichryse, tea-tree, ravintsara… Utilisées pour soigner ou soulager, ces substances aux noms poétiques et mystérieux ont de plus en plus de succès en Belgique francophone. Encore faut-il y recourir à bon escient. Enquête sur le marché très convoité des huiles essentielles.
Un hématome au genou du gamin ? Quelques gouttes d’hélichryse sur la zone heurtée font des miracles, assurent ceux qui ne conçoivent plus une trousse de santé familiale sans petits flacons d’huile essentielle. Une brûlure en cuisinant, une piqûre d’insecte ? La lavande aspic est le produit ad hoc, répondent ces adeptes de l' » aromathérapie « . Votre ado est défiguré par de l’acné ? Le tea-tree fera merveille, conseillent-ils. Un rhume ou une bronchite ? Le ravintsara est recommandé contre les infections des voies respiratoires. Une crampe après l’effort sportif ? Un massage du muscle sensible à la gaulthérie couchée diluée dans une huile végétale vous soulagera.
Hélichryse, tea-tree, ravintsara… Ces substances aux noms poétiques et mystérieux connaissent un succès croissant en Belgique et dans le monde. A tel point que les zones de production des plantes dont sont extraites ces huiles essentielles sont de plus en plus sollicitées et convoitées . Cet engouement tient à l’attrait pour les produits naturels et bio, mais aussi à la défiance croissante à l’égard de certains médicaments, en particulier les antibiotiques. » Depuis plus d’un siècle, l’industrie a tout misé sur l’essor de la chimie de synthèse, au point de rejeter dans les marges les substances végétales aromatiques « , explique Dominique Baudoux, ancien pharmacien devenu une référence internationale en aromathérapie scientifique.
Plus de 12 % par an
Aujourd’hui, les ventes de médicaments stagnent, tandis que celles d’huiles essentielles, certes nettement plus modestes, ont bondi de plus de 12 % en 2015 en Belgique francophone (la vogue touche peu la Flandre, où ces huiles sont surtout utilisées en massage et pour parfumer des pots-pourris). Une croissance dont profitent, notamment, quelques laboratoires spécialisés, secteur où les Belges se distinguent. Dans le même temps, l’utilisation d’huiles essentielles pour traiter des pathologies et améliorer le bien-être, appelée » aromathérapie « , commence à être reconnue parmi les professionnels de la santé. Ces substances ont fait leur apparition dans certains services hospitaliers. Elles servent à calmer les angoisses des patients, à apaiser leurs douleurs, à prévenir les escarres, à favoriser le sommeil, à assainir les chambres…
Effet placebo ?
Concentrés de plantes aromatiques, les huiles essentielles ont montré leur efficacité dans de nombreux domaines : pathologies virales, bactériennes et parasitaires ; affections des muscles, des tendons, des articulations ; troubles liés au système nerveux… L’aromathérapie a pourtant ses détracteurs. Des médecins et scientifiques considèrent les soins par les plantes comme de gentils remèdes de grands-mères ou des lubies d’écologistes. Pour les plus critiques, les huiles essentielles sont des poudres de perlimpinpin, qui auraient un simple effet placebo. » Tout traitement a une part d’effet placebo, convient Dominique Baudoux. Y compris, d’ailleurs, les médicaments. Des études cliniques soulignent néanmoins l’action bénéfique de plusieurs huiles essentielles. Certaines régulent l’immunité. D’autres ont des vertus cicatrisantes ou digestives. L’aromathérapie prévient ou soulage nombre de maux quotidiens : refroidissements, stress, courbatures… » Guides pratiques et sites Internet abondent sur le sujet. Encore faut-il distinguer les approches rigoureuses des messages commerciaux et informations lacunaires ou erronées.
La littérature scientifique pointe l’utilité des huiles essentielles dans le traitement de la nausée postopératoire, de l’arthrite, des maladies respiratoires, des mycoses, de l’eczéma, de l’acné, de l’herpès labial… La recherche clinique se heurte toutefois à un obstacle méthodologique : ces concentrés de plantes sont détectables par l’odeur, ce qui complique les études dites » en double aveugle « , destinées à évaluer l’efficacité d’un traitement. » De plus, les utilisateurs d’huiles essentielles sont infiniment moins nombreux que les consommateurs de médicaments, ce qui constitue un handicap statistique, relève une aromatologue. En outre, les études, le plus souvent financées par l’industrie concernée, sont onéreuses et la plupart des laboratoires spécialisés en aromathérapie ne disposent pas des capacités financières des multinationales du médicament. »
Inhalations, diffusion, massages…
A la différence de la phytothérapie, qui prend en compte l’ensemble des éléments de la plante, l’aromathérapie met en oeuvre la quintessence du végétal. Elle est qualifiée de » super-phytothérapie » par Danièle Festy, pharmacienne et auteure du bestseller Ma bible des huiles essentielles. Employées pures ou diluées dans une huile végétale, elles peuvent être administrées de trois façons : par voie respiratoire (en inhalations ou en diffusion atmosphérique), cutanée (par massages) ou interne (avec du miel, sur de la mie de pain… ou sous forme de gélules). A chacun sa culture : les Britanniques privilégient les inhalations et diffusions, les Français recourent plus souvent à la voie orale. L’école anglo-saxonne est orientée confort et bien-être, tandis que l’école franco-belge valorise l’approche clinique et scientifique.
Comme ne manquent pas de le rappeler médecins et autorités sanitaires, les huiles essentielles peuvent causer du tort. A l’état pur, celles qui contiennent des phénols (clou de girofle, thym à thymol) irritent la peau. Celles riches en cétones (sauge officinale, menthe poivrée) sont toxiques pour les tissus nerveux immatures ou fragilisés, et peuvent déclencher une crise d’épilepsie et autres soucis neurologiques. Les essences de zestes d’agrumes – citron, mandarine, orange douce – ont un effet photosensibilisant : il est déconseillé de s’exposer au soleil après une application sur la peau, sous peine de virer au rouge écrevisse ! Les huiles de térébenthine, genévrier, santal stimulent l’activité rénale et peuvent être néphrotoxiques. A utiliser avec précaution.
» Les huiles essentielles sont des minibombes, reconnaît Dominique Baudoux. Elles sont potentiellement très actives. Cette puissance est liée à leur chimie complexe et à l’extrême concentration d’extraits de plantes qu’elles contiennent. Ce n’est pas parce ces produits ont une origine végétale qu’ils sont inoffensifs. C’est aux pharmaciens à veiller à éviter les dérives de l’automédication. Ces substances ne s’utilisent pas sans avoir acquis des connaissances en aromathérapie. »
En vente libre
Se procurer des flacons d’huile essentielle est pourtant aisé : on les trouve en vente libre dans les rayons des magasins bio, en pharmacie ou sur Internet. De plus, ces produits sont exempts d’avertissements médicaux. Leur utilisation sans consultation préalable d’un professionnel de la santé bien formé peut se révéler à risque si le bon diagnostic n’a pas été posé, si le dosage et la fréquence des prises sont exagérées, ou en cas de confusion entre deux huiles (lavande aspic, lavande officinale et lavandin n’ont pas les mêmes effets). Certaines peuvent provoquer des allergies. De même, une essence conseillée aux adultes peut ne pas convenir aux enfants. Une huile essentielle appliquée sur la peau doit, en général, être mélangée à une huile végétale, dilution qui réduit les risques d’irritation. Quelques-unes peuvent être utilisées pures, sur une petite surface.
Dans tous les cas, les spécialistes recommandent, pour se soigner, des huiles essentielles de qualité, 100 % naturelles. » Car les huiles de synthèse, en vente sur les marchés, dans les boutiques de souvenirs ou dans des magasins de produits cosmétiques, ont une action thérapeutique nettement moindre et sont toujours plus toxiques « , prévient un pharmacien bruxellois. Si les huiles essentielles naturelles sont beaucoup plus chères que les synthétiques, c’est parce qu’elles nécessitent énormément de travail et de matière première. Il faut récolter et traiter 4 tonnes de pétales de rose de Damas, soit un hectare de culture, pour obtenir 1 kilo de la précieuse huile essentielle. Quelque 150 kilos de sommités fleuries de lavande vraie sont nécessaires pour extraire 1 kilo d’huile, et 100 kilos de camomille pour obtenir 200 grammes d’huile !
Extraire la quintessence du végétal
Sécrétée par une plante aromatique, l’huile essentielle est une substance liquide huileuse, volatile et odoriférante. Elle peut provenir de la fleur, des feuilles, de la tige, des racines, du zeste ou de l’écorce. Pour extraire la quintessence du végétal, la distillation est le procédé le plus répandu, car il convient à la majorité des plantes. Les huiles essentielles sont insolubles dans l’eau, mais solubles dans la vapeur. De la vapeur d’eau est donc envoyée dans la cuve contenant les végétaux et elle se charge, au passage, de leurs molécules aromatiques. Refroidie dans un serpentin, la vapeur enrichie d’huile essentielle redevient liquide. De densité inférieure à celle de l’eau, l’huile essentielle flotte à la surface et est récupérée par décantation. Le temps de distillation varie d’une plante à l’autre : une heure pour le lavandin, quatre pour le clou de girofle. Les essences d’agrumes – orange, citron, mandarine, pamplemousse, bergamote -, elles, s’obtiennent sans distillation, par expression à froid des zestes. Non distillées, ces « essences » conservent leur intégrité moléculaire. Troisième technique : l’extraction par macération dans des solvants volatils. Cette méthode est utilisée en parfumerie et dans l’industrie des arômes alimentaires.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici