Les gummies, c’est pas bon(bon): pourquoi il faut se méfier de ces nouveaux compléments alimentaires
Immunité, sommeil, digestion, cheveux souples… Réinventés sous forme de gommes gélifiées, les compléments alimentaires sont en vogue. Ils ne sont pourtant pas nos meilleurs alliés santé.
« Si vous avez vu ma dernière story, vous savez que j’utilise depuis un bon mois les compliments (sic) alimentaires Good Hair, des gummies aromatisés et donc hyperfaciles à prendre. Ils contribuent à renforcer les cheveux et stimuler la pousse… »
Sur Instagram, l’auteure de ces lignes et de la jolie coquille, l’influenceuse française Armelle Brown, arborant une impressionnante chevelure, affiche près de septante mille followers. Elle est loin d’être la seule à vanter sur Internet les bienfaits de ces « compliments » alimentaires vendus sous forme de bonbons. Ophély Mézino (91 000 followers sur Instagram), première dauphine de Miss France et de Miss Monde en 2019, est « trop contente de tester une cure Good Skin » du même type.
Plus transparente sur son partenariat rémunéré avec la marque HairCare, La Petite Gaby (185 000 followers sur Instagram) affirme obliger sa maman à prendre deux gummies le matin pour éviter la chute de cheveux. Idem pour l’influenceuse belge sponsorisée Gaëlle Garcia Diaz (1,6 million de followers ! ) qui se vante d’avoir « des résultats juste dingues au niveau de la pousse de cheveux » grâce aux gummies goût framboise « force et croissance » de Luxeol. Même l’animatrice de télé française Karine Le Marchand (près de 720 000 followers) fait la pub d’une marque phare en France, avec un slogan bien rôdé : « Deux gummies par jour, une routine facile, un plaisir efficace. »
Les gummies: un succès venu des Etats-Unis
Venue des Etats-Unis, où la célèbre famille Kardashian en fait la promotion depuis des années, la folie des compléments gélifiés a déferlé sur l’Europe. Le succès est impressionnant, en partie grâce aux influenceurs. Selon le site de Market Research Future, la taille du marché mondial des gummies aura représenté six milliards de dollars en 2023, soit presque cinq fois plus qu’il y a quatre ans. En 2030, ce chiffre devrait dépasser les dix milliards. Les plus gros consommateurs sont les Nord-Américains (46 %), suivis par ceux d’Asie-Pacifique – notamment les Chinois qui augmentent de plus en plus leurs dépenses de santé – et d’Europe.
A l’instar des compléments alimentaires classiques sous forme de gélules ou de poudres, les gummies se déclinent pour tous les petits soucis de santé liés au sommeil, au stress, à l’humeur, à la vitalité, au transit intestinal, au poids, aux menstruations, à la ménopause, aux cheveux et aux ongles, au régime végan, à la mémoire, à l’immunité… Il y en a pour tous les goûts, puisqu’ils empruntent les codes et les couleurs de la confiserie. Aux Etats-Unis, ils représentent plus de 20 % des compléments vendus. Dans les pharmacies françaises, ils occupent plus de 40 % de l’espace réservé aux multivitamines pour enfants. Leurs ventes ont été boostées, comme pour le reste des compléments alimentaires, après l’épidémie de Covid.
Marketing gagnant
Leur succès fait fi de l’âge. Ados et adultes en sont très friands, grâce à leur goût sucré et fruité, leur texture et leur emballage souvent ludique. Les générations Y (nés entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) et Z (entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000) sont les plus ciblées par cette nouvelle offre marketing. Et ça marche. Malgré leur prix : souvent entre seize et vingt euros le flacon, non remboursés, pour une cure de vingt à trente jours. On trouve des produits un peu moins chers dans les grandes surfaces, soucieuses, aussi, de profiter du filon.
De manière globale, près de deux tiers de la population consomment des compléments alimentaires, selon un baromètre récent du syndicat français du secteur (Synadiet), et 27 % de ces consommateurs sont des jeunes de 18 à 34 ans, plus attentifs à leur santé et leur alimentation qu’auparavant. Une partie se méfie aussi des Big Pharma et préfère ces produits naturels aux médicaments chimiques. Pourtant, les logiques commerciales ne sont pas très différentes.
Gummies, des compléments alimentaires qui ne sont pas sans risque
Néanmoins, les risques liés à l’automédication sont réels avec les compléments alimentaires, surtout si on en prend plusieurs qui peuvent contenir les mêmes vitamines ou les mêmes minéraux. Leur surconsommation peut avoir des effets contraires à ceux escomptés. A fortiori avec les gummies qui, véhiculant un message brouillé entre le plaisir et le bien-être, incitent à en manger plus qu’indiqué.
« Attention aux enfants, prévient la porte-parole de testachats, Julie Frère. Les compléments alimentaires qui leur sont destinés ressemblent de plus en plus aux bonbons auxquels ils sont habitués :
oursons, dinosaures, personnages Disney… De manière générale, le marketing de ces produits effectue parfaitement son travail en créant un besoin. Nous recommandons de rester critique envers les influenceurs qui incitent à adopter tel ou tel produit. Il vaut toujours mieux demander l’avis d’un médecin. »
Autre point d’attention : la teneur en sucre, qui varie fortement d’un fabricant à l’autre. « Et si ce n’est pas du sucre, ce sont des édulcorants, observe Nicolas Paquot, endocrinologue, professeur de nutrition et diabétologie à l’ULiège. Le premier ingrédient de ce type de compléments est d’ailleurs très souvent l’un ou l’autre. C’est absurde. On les prend pour améliorer son alimentation et on fait le contraire. En tout cas, les édulcorants n’ont aucun intérêt pour la santé. Ne parlons pas du sucre… ».
Testachats confirme : « Nous avons mesuré 2,3 grammes de sucre par dose quotidienne dans des gummies pour enfants, précise Julie Frère. C’est autant que dans le classique bonbon en forme d’ourson. Cette quantité peut sembler minimale, mais ces sucres restent inutiles et sont donc déconseillés. On y trouve également toutes sortes d’arômes et de colorants. Les vitamines et les minéraux ne représentent finalement qu’une faible proportion de la liste des ingrédients. » Sans parler de la gélatine de bœuf ou de porc utilisée pour leur donner une texture élastique mais qui ne convient pas à tous, selon les convictions.
Vraiment utile ?
De manière générale, mais davantage encore avec ces gummies alléchants, la question de l’utilité des compléments alimentaires doit être posée. « Pour la grande majorité de la population, une alimentation équilibrée et variée est suffisante pour apporter tous les nutriments nécessaires, assure Julie Frère. Des suppléments en minéraux et vitamines peuvent avoir leur utilité pour les végétaliens ou dans des moments de la vie comme la croissance ou lorsque la femme est en désir de grossesse. »
Certains compléments se vantent d’être préventifs contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires, mais il n’en est rien, idem pour l’obésité et le diabète
Nicolas Paquot
L’efficacité des compléments alimentaires est controversée, surtout dans le monde scientifique. « Il n’existe quasi aucune étude sérieuse qui confirme les allégations avancées par les concepteurs de ces produits, constate Nicolas Paquot. La littérature scientifique a même démontré que des compléments à base d’oligo-éléments ou de minéraux pris de manière excessive ou prolongée pouvaient avoir des effets toxiques voire provoquer certains cancers des poumons ou de la prostate. »
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Pour le reste, beaucoup ont des effets neutres. « Certains compléments se vantent d’être préventifs contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires, mais il n’en est rien, idem pour l’obésité et le diabète que j’étudie beaucoup, enchaîne le Pr Paquot. La cannelle, le ginseng, le sélénium… En l’état actuel, aucune recherche n’a démontré qu’ils jouent sur le métabolisme ou aident à faire fondre les graisses. Même si certains de ces éléments sont impliqués dans le fonctionnement de l’insuline, par exemple, cela ne signifie pas qu’en les prenant, on modifiera les choses. Sauf dans des cas particuliers de carence ou pour certaines pathologies et sous le contrôle d’un médecin, il vaut mieux investir son argent dans des aliments sains et de qualité plutôt que dans ces produits coûteux. »
Quels contrôles ?
Face aux critiques scientifiques et pour se montrer plus persuasives, des firmes privées de compléments alimentaires tentent de paraître plus crédibles. Elles sollicitent des laboratoires universitaires pour tester et valider leurs produits qui sont soit à l’état de projet soit déjà sur le marché. Ainsi, à Louvain-la Neuve, le Centre d’investigation clinique en nutrition (CICN), une plateforme technologique de l’UCLouvain, effectue des études sur les effets de telle ou telle substance. Quatre sont en cours, cinq sont terminées.
Elles concernent des produits censés diminuer le cholestérol, améliorer le sommeil, le transit intestinal, réguler l’humeur ou encore agir sur le stress et la fatigue. « Nos études sont contrôlées par un comité d’éthique des Cliniques universitaires Saint-Luc, spécifie Valérie Dormal, responsable scientifique du CICN, qui collabore avec plusieurs facultés et laboratoires universitaires. Nous devons respecter des normes très strictes. Chaque étude est suivie par un médecin investigateur. »
« Nous n’avons pas pu mettre en évidence des résultats probants »
Alors, résultats positifs ou négatifs ? Les deux. Exemple : une étude, effectuée sur un double échantillon de personnes souffrant d’insomnies, dont un recevait un placebo, portait sur l’effet d’un complément à base de valériane et d’escholtzia sur le sommeil. La cure durait six semaines. Les participants étaient équipés d’un actimètre au poignet pour mesurer leur temps de sommeil. Ils devaient compléter un questionnaire et un « carnet de sommeil ». Des paramètres sanguins et du microbiote (avec échantillon de selles) étaient aussi prélevés.
Deux effets positifs ont été constatés chez ceux qui prenaient le vrai complément : une diminution significative de la sévérité des insomnies et une baisse de l’anxiété générale. Par contre, une étude concernant les effets d’extraits de citrus, de bergamote et de spiruline sur le cholestérol s’est révélée non concluante. « Il s’agissait d’un gros projet, subsidié par la Région wallonne, mais avec les doses et le timing testés, nous n’avons pas pu mettre en évidence des résultats probants », atteste Valérie Dormal qui, vu la multiplication des demandes de firmes, cherche des volontaires pour les études du CICN.
La surveillance de ces compléments alimentaires est moindre
A l’exception de ces éventuels tests dans des laboratoires sérieux, à quels contrôles sont soumis les compléments alimentaires ? Leurs fabricants n’ont pas d’obligation de résultat, contrairement aux faiseurs de médicaments, mais ils ne peuvent avancer d’allégations curatives. La surveillance est donc moindre. Ils doivent néanmoins se conformer à une procédure et, avant la mise sur le marché, introduire un dossier auprès du SPF Santé publique, avec un volet toxicologique pour démontrer que, selon les doses proposées, le produit n’est pas nocif pour le consommateur.
« Le fabricant de compléments alimentaires ne doit pas prouver son efficacité mais sa sécurité pour la santé, atteste Julie Frère. La présence d’un numéro de notification sur l’emballage indique que son contenu a été certifié par les autorités. Ce numéro commence par NUT, quand il s’agit de vitamines et minéraux, par PL quand il contient des plantes ou AS quand il inclut d’autres substances comme la mélatonine. »
Mieux vaut donc acheter ces produits certifiés dans des pharmacies ou des magasins spécialisés. Sur Internet, le risque de mauvaise surprise est plus grand. En avril dernier, deux études universitaires américaines, publiées dans la revue médicale Jama, ont pointé des doses de mélatonine – une hormone favorisant l’endormissement – jusqu’à quatre fois plus élevées qu’annoncées sur l’étiquette dans des gummies pour enfants. La plupart des produits testés (25 marques différentes) étaient « mal étiquetés ». Aux Etats-Unis, premier pays consommateur, les compléments alimentaires ne doivent pas être préalablement approuvés par les autorités sanitaires. Récemment, l’agence belge pour la sécurité alimentaire (Afsca) a sérieusement mis en garde contre ces produits vendus en ligne. Λ
Exception : la vitamine D
S’il est un complément à prendre, c’est bien la vitamine D, dont la source principale est l’exposition au soleil. « En Belgique, l’ensoleillement ne dure pas toute l’année, loin de là, détaille le Pr Paquot. D’octobre à avril, la quantité d’UVB est insuffisante pour produire la vitamine D dont le corps a besoin. De plus, on ne la trouve pas en suffisance dans de nombreux aliments en Europe. Pour pallier les carences, les suppléments s’avèrent utiles, surtout pour les enfants et les personnes âgées. »
Mais attention à l’excès. Trop de vitamine D peut avoir des effets très toxiques, comme des hypercalcémies (trop de calcium dans le sang) ou des troubles intestinaux. Parfois pire. En mars dernier, une personne âgée est décédée, en Belgique, victime d’une surdose importante de vitamine D. Bref, toujours bien lire la notice et consulter un médecin.
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