Les effets pervers du Nutri-Score
Le système d’étiquetage nutritionnel Nutri-Score, censé influencer le choix des consommateurs vers une alimentation plus saine et équilibrée, pourrait bien avoir des effets pervers, ressort-il d’une étude de l’Université d’Anvers. Ainsi, pas moins de 30% des clients de supermarchés choisissent délibérément l’option la moins saine.
Alors que l’Union européenne étudie la possibilité de rendre l’étiquetage nutritionnel obligatoire, les chercheurs affirment que celle-ci devrait tenir compte des raisons exactes pour lesquelles les gens optent pour tel ou tel produit. Elke Godden, économiste de l’Université d’Anvers, a enquêté sur les motivations qui influencent les achats des consommateurs.
La chercheuse a ainsi demandé à un peu plus d’un millier de personnes de choisir à chaque fois entre deux produits, tels que deux types de yaourt, du jus d’orange, des chips ou encore du granola. Les produits comparables différaient toujours en termes de prix, de marque et de Nutri-Score. En outre, ces produits affichaient également différentes allégations telles que « zéro pour cent de matières grasses » ou « source de fibres ».
« La moitié des consommateurs ont délibérément choisi le produit le plus sain », explique la chercheuse à l’agence Belga. « Pour ceux-ci, un produit qui passait d’un Nutri-Score C à B leur paraissait soudain beaucoup plus attractif. Lorsque ce même produit portait un Nutri-Score D, ils s’en désintéressaient totalement. »
« Les aliments sains ne peuvent être savoureux »
Environ 20% des clients des supermarchés choisissent généralement la marque dite A, même lorsque le Nutri-Score est inférieur. « Les 30% restants, étonnamment, choisissent l’option la moins saine », détaille Elke Godden. « Lorsque nous proposons aux personnes deux produits identiques, dont l’un porte le Nutri-Score C et l’autre le Nutri-Score D, ils optent pour le second produit ». Bien qu’elle semble étrange, cette décision « peut être basée sur l’intuition des consommateurs, guidée par l’idée selon laquelle les aliments sains ne peuvent pas être savoureux », avance la scientifique.
Interrogée par Le Vif, Elke Godden voit deux raisons à ce comportement. « La première est culturelle, car certaines études révèlent, par exemple, qu’en France cette intuition est beaucoup moins présente qu’en Amérique ». Selon elle, les parents récompensent encore trop souvent leurs enfants en leur donnant un aliment malsain. Du coup, ces derniers vont associer aliment malsain et récompense. « Personne ne va récompenser son enfant d’un morceau de chou-fleur », observe-t-elle.
« Deuxièmement, cette idée aussi logique d’un point de vue évolutif, car à l’époque où nous étions des chasseurs-cueilleurs, les graisses et les sucres étaient d’importantes sources d’énergie et nous sommes donc naturellement attirés par les aliments riches en graisses et en sucres », explique-t-elle. Aujourd’hui, notre mode de vie a complètement changé, et nous n’avons plus besoin d’aliments riches en graisses et en sucres.
En outre, bien que l’obésité constitue un problème de santé croissant, il apparaît que 30% des sondés accordent moins d’importance à une alimentation saine. « Avec un prix plus juste, nous pouvons toutefois les convaincre », affirme la chercheuse. Au lieu de nous concentrer sur un score qui indique aux gens que le produit est sain, il serait plus avisé de réduire les prix des aliments sains, plaident les auteurs de l’étude.
« Nous supposons parfois que le consommateur se tournera automatiquement vers le produit le plus sain, mais ce n’est pas le cas, alors que si nous pouvons ajouter un argument supplémentaire comme, par exemple, « cela coûte aussi moins cher », surtout avec la pression sur le porte-monnaie, je pense que c’est un meilleur ou un bon argument pour que beaucoup de gens choisissent l’option plus saine de toute façon.
Elle souligne qu’elle ne plaide pas en faveur de la suppression du Nutri-Score. « J’ai l’impression que parfois nous nous fixons sur une solution qui devrait fonctionner pour tout le monde, et le Nutri-Score est efficace pour un certain groupe, mais pas pour tout le monde. Je pense qu’il faut miser sur plusieurs solutions. Pour certains, ce système fonctionne, pour d’autres, nous devrons peut-être jouer davantage sur le prix. »
« Par conséquent, choisissez d’abord ce que vous voulez manger et comparez ensuite les Nutri-Scores », conseille Elke Godden, pour qui la qualité des marques de distributeur n’est certainement pas toujours inférieure à celle de certaines marques A. « Si vous voulez savoir ce qui est plus sain dans une certaine catégorie de produits, laissez le Nutri-Score vous guider », conseille-t-elle.
Pas de lobbying
Selon elle, les Nutri-Score sont fiables. « Ils sont élaborés par la recherche scientifique et il n’y a aucune entreprise derrière eux. Il n’y a pas de lobbying, l’algorithme est donc totalement objectif. En ce sens, ils sont certainement fiables. Bien entendu , si vous avez besoin d’un régime spécial, par exemple si vous êtes intolérant au gluten ou si vous ne supportez pas le lactose, il est préférable de se tourner vers un autre système. Mais si vous êtes un consommateur moyen, le Nutri-Score est une bonne solution », déclare Elke Godden au Vif.
Adopté en 2018, le Nutri-Score sera mis à jour dans le courant de l’année. Les noix et les graines seront transférées de la catégorie des fruits et légumes à celle des graisses et des huiles. Une distinction a également été faite entre la viande rouge et la viande transformée d’une part et la volaille d’autre part. Une distinction supplémentaire a également été ajoutée dans catégorie des poissons, de sorte que les poissons gras obtiennent désormais un meilleur score. C’est également le cas de certaines huiles, comme l’huile d’olive.
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