aliments transformés
aliments transformés © Getty

Les effets d’un mois sans aliments transformés : « Une calorie ne vaut pas une calorie »

Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Bannir les aliments transformés: l’idée paraît simple, mais les ingrédients (ultra)transformés sont à ce point partout, qu’il est difficile de s’en passer. Eva Kestemont a tenté l’expérience et a consigné les résultats dans un livre intitulé Verbeterd recept.

L’année dernière, sous la supervision de deux médecins, la journaliste culinaire Eva Kestemont et ses collègues ont relevé le défi de manger uniquement des aliments non transformés pendant un mois. Ils ont banni les conserves de légumes, le pain de supermarché, les biscuits salés, les charcuteries fines, les sauces, le chocolat, l’alcool, les sodas, les biscuits préemballés, et tout ce qui contient des additifs, des colorants, des conservateurs, des stabilisateurs et des émulsifiants.

Eva Kestemont souligne qu’il ne s’agit pas d’une étude scientifique, mais plutôt d’une étude de cas qui incite à la réflexion. Tout d’abord, un mois est une période très courte pour observer et mesurer des changements dans le corps. Deuxièmement, les processus corporels ne sont pas seulement influencés par l’alimentation: des facteurs tels que l’environnement, l’activité physique et le stress, par exemple, jouent également un rôle. Troisièmement, il s’est avéré très difficile de trouver une définition précise d’ « aliments transformés ». Les participants ont utilisé le système international NOVA comme référence. Cette classification classe les produits en fonction du degré de transformation et de l’ajout d’autres ingrédients. C’est un cadre largement utilisé, mais qui comporte tout de même quelques zones grises.

Fait maison

La règle de base était simple : les participants pouvaient manger et boire tout ce qui était fait maison ou alors ils devaient être certains que les aliments avaient été fabriqués dans des conditions similaires à celles de la cuisine à la maison (comme le pain d’un boulanger artisanal). Il ne s’agissait en aucun cas d’un régime amaigrissant. Les biscuits n’étaient pas interdits, tant qu’ils étaient faits maison. « Les choses se compliquaient lorsque nous parlions des produits de la classe 2 NOVA, tels que l’huile d’olive ou le café, car il n’était pas possible de les fabriquer soi-même. C’est pourquoi nous optons systématiquement pour l’option la plus artisanale, de préférence directement chez le producteur d’huile d’olive ou le torréfacteur de café », explique Eva Kestemont.

Les expériences de ce type, menées par des scientifiques, sont rares, précisément parce qu’il est très difficile de définir et d’exclure complètement les aliments transformés. Toutefois, une étude française de 2018, portant sur plus de 100 000 adultes, a révélé qu’une augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultratransformés dans le régime alimentaire d’une personne entraînait un risque global de cancer plus élevé.

La seule étude dans laquelle les participants étaient sous une surveillance médicale constante et qui a pu prouver de manière indiscutable un impact négatif sur la santé des aliments ultra-transformés remonte à 2019. Le chercheur en nutrition Kevin Hall a ainsi apporté la preuve que les aliments industriels font grossir, même après seulement deux semaines de ce régime. Même si une assiette de spaghetti faite maison et une version industrielle ont des valeurs nutritionnelles identiques, elles affectent différemment notre corps, ce qui fait que nous absorbons plus de calories lorsque « La Mamma » se révèle être une machine.

Perte de poids

Qu’est-ce qui s’est avéré ? Après l’expérience, tous les participants à cette expérience avaient perdu du poids, alors qu’il ne s’agissait pas d’un régime amaigrissant. En moyenne, la balance affichait une perte de poids de 1,78 kilo. De légères variations pouvaient être attribuées à des fluctuations naturelles, mais aucun des dix participants n’a pris du poids.

Vice-président de l’UPDLF (Union professionnelle des Diététiciens de langue française), Pierre Garin n’est pas étonné que les participants aient perdu du poids. « Certaines études ont démontré il y avait une augmentation du risque de prendre du poids, de masses grasses, lorsqu’on a une alimentation transformée, et certainement ultratransformée. On voit des paramètres sanguins changer. Le taux de cholestérol augmente, on assiste à l’apparition de paramètres biologiques tels que l’hypertension artérielle . On sait qu’aujourd’hui que l’alimentation transformée influence négativement notre état de santé », explique-t-il.

Le diététicien rappelle qu’aujourd’hui la moitié de la population est en surpoids ou en obésité. Et 70% de ces personnes mangent mal. « Aujourd’hui, une calorie ne vaut plus une calorie. Si je prends une calorie qui provient d’un aliment ultra transformé, ce n’est pas la même calorie que celle d’une pomme ou même d’une crêpe faite maison avec des aliments de qualité. Ces calories ne sont pas identiques », ajoute-t-il.

Eva Kestemont / Ertsberg / An Clapdorp

Baisse des métaux lourds dans le sang

La quantité de mercure dans les corps de tous les participants a significativement diminué. En principe, le mercure pénètre surtout dans l’organisme par la consommation de poisson, mais à une exception près, la plupart des participants n’ont pas soudainement réduit leur consommation de poisson ni modifié le type de poisson qu’ils consommaient. Cependant, il s’avère qu’il existe d’autres sources de mercure dans notre alimentation quotidienne : deux études de 2009 (l’une publiée dans Environmental Health et l’autre menée par l’Institute for Agriculture and Trade Policy) ont détecté ce métal lourd dans le sirop de glucose-fructose, également appelé sirop de maïs à haute teneur en fructose (HFCS). Cet ingrédient bon marché et polyvalent est utilisé dans une multitude de produits transformés, allant des sodas aux produits de boulangerie en passant par la viande transformée. Plus récemment, il a été constaté que l’Europe cherche à réduire les seuils de métaux lourds dans divers additifs, notamment dans les édulcorants fréquemment utilisés comme la glycérine. En d’autres termes, à l’heure actuelle, les additifs contiennent encore trop de métaux lourds par rapport à ce qui est souhaitable.

La quantité moyenne mesurée de cadmium et d’arsenic a également été divisée par deux. Le cadmium se trouve naturellement dans divers produits tels que les céréales, les noix, les légumes racines riches en amidon comme les pommes de terre, les produits à base de viande et le cacao. La baisse générale observée lors de l’expérience s’explique peut-être par l’élimination du chocolat (qui est presque toujours industriellement ultra-transformé), mais peut-être aussi dans l’utilisation fréquente de divers types d’amidons dans l’industrie alimentaire. L’arsenic se trouve également naturellement dans diverses plantes et pénètre principalement dans notre alimentation à travers les produits transformés tels que le pain, le riz et les produits laitiers.

Étant donné qu’ils se trouvent naturellement dans le sol et sont ainsi présents dans notre alimentation et notre eau, il est difficile de déterminer avec précision les sources exactes des métaux lourds dans notre corps. Cependant, cette expérience montre clairement qu’ils doivent au moins en partie être attribués aux aliments industriels. Le principal conseil donné par les professionnels de la santé pour réduire l’exposition aux métaux lourds est de manger de manière variée. C’est difficile à concilier avec le fait que la grande majorité de la nourriture industrielle contient soit du soja, soit du maïs, soit du blé.

Bien que l’Europe établisse des niveaux maximaux que les aliments peuvent contenir, ces derniers sont examinés pour chaque produit individuellement. Que se passe-t-il lorsqu’on ingère un cocktail de contaminants en consommant différents produits transformés chaque jour ?

Impact financier

Est-ce que manger des aliments de qualité et frais coûte plus cher que de consommer des repas préparés et des produits moins artisanaux ? C’était en tout cas une préoccupation de nombreux participants, car des produits tels que les noix et les graines peuvent représenter une part importante du budget alimentaire. (Sans parler des biscuits et des boissons artisanales.)

La plupart des participants ont dépensé autant qu’avant, voire certains ont dépensé moins d’argent pendant l’expérience. Pourtant, les ingrédients provenant de magasins bios, de fermes locales et de marchés proposant des produits locaux, tels que les kilos de noix, les pains au levain lentement fermentés et les fromages artisanaux, coûtent généralement plus cher que les produits transformés.

L’explication est triple. Tout d’abord, les participants ont considérablement réduit le nombre de repas à emporter, de sorties au restaurant et de snacks pris en cours de route. Bien que les repas au restaurant étaient autorisés selon les règles de l’expérience (et se produisaient parfois), il s’est avéré que c’était beaucoup plus difficile en pratique. Deuxièmement, les aliments achetés durant l’expérience étaient souvent plus nutritifs que ce que les participants consomment habituellement. Pour illustrer cela avec notre pain quotidien : le pain au levain artisanal cuit au four rassasie beaucoup plus que sa version de supermarché, ce qui signifie qu’il fallait tout simplement acheter moins de pain.

Troisièmement, les participants attachaient plus de valeur à la nourriture (parce que nous y avons consacré plus d’argent). Par conséquent, ils utilisaient mieux ce qu’ils avaient et gaspillaient beaucoup moins de nourriture. Ce qui était autrefois considéré comme des déchets alimentaires devenait désormais la base d’un bouillon. Un reste de légumes rôtis se transformait en tapenade.

Eva Kestemont souligne toutefois que les participants étaient issus de la classe moyenne, et qu’ils consacraient déjà un budget relativement conséquent à la nourriture. « Il est possible de cuisiner sainement à bas coût, mais il faut des connaissances et des compétences ». Elle rappelle que les légumes de saison par exemple, sont très bon marché, même s’il faut évidemment savoir quels légumes sont de saison, comment on les prépare, etc. « En soi, cuisiner sainement ne doit donc pas coûter plus cher que les aliments ultratransformés », souligne-t-elle.

La journaliste admet que dans le système actuel, c’est un effort, car si le consommateur souhaite de l’alimentation « facile » et rapide à préparer, aujourd’hui, il a le choix les aliments transformés et ultra transformés.« Même moi, j’ai une série de produits ultra transformés chez moi, car tout le monde, je ne peux pas tout faire moi-même, mais il y a moyen de trouver les alternatives. Le ketchup que j’ai dans mon frigo par exemple, ne devrait pas être ultra transformé. Il pourrait être un produit simplement transformé. Il pourrait y avoir des traiteurs qui fabriquent des plats frais », suggère-t-elle.

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