Musique, écouteurs et fiesta chez les 12-34 ans: ça rend vraiment sourd ?
Adolescents et jeunes adultes sont exposés quotidiennement et pendant de longues durées à des volumes sonores élevés. Les scientifiques s’interrogent sur l’impact de ces nouvelles habitudes qui pourraient avoir une incidence néfaste sur l’audition de la génération 12-34 ans.
Dans le train, dans la rue ou au boulot, il devient rare de ne plus croiser une paire d’écouteurs ou un casque. Les possibilités technologiques ne manquent pas pour prolonger le plaisir d’écoute hors du domicile ou des soirées. Selon une étude publiée de BMJ Global Health, pas moins de 670 millions à 1,35 milliard de personnes âgées de 12 à 34 ans auraient des pratiques d’écoute dangereuses. Cette étude qui, à première vue avance des chiffres conséquents, vise à sensibiliser à la mise en œuvre d’une politique qui promeut des habitudes d’écoute sûres. Les pratiques dangereuses évoquées seraient directement attribuables à l’utilisation d’appareils personnels tels que les smartphones et les écouteurs, ainsi que les lieux de divertissements bruyants. Les habitudes changent mais l’oreille est-elle réellement plus malmenée qu’auparavant ?
« À partir de 80 décibels, les sons deviennent nocifs et, logiquement, plus on augmente, plus l’impact se fait ressentir, explique le Docteur Sara Castelein, spécialiste ORL aux cliniques universitaires Saint-Luc. Par exemple, une exposition de quelques secondes à 130 décibels peut entraîner des dégâts immédiats sur l’audition. L’exemple des écouteurs ou des casques devient donc problématique lorsqu’on a parfois tendance à mettre la musique plus fort et plus longtemps. »
Il convient cependant de rester mesuré, selon le Dr. Castelein. « Effectivement, une longue exposition à un volume excessif pose problème. D’autre part, il y a davantage de sensibilisations sur les risques encourus et les réglementations commencent à germer que ce soit en festival ou en boîte de nuit, même si le volume y est encore excessif (des pics peuvent atteindre 115dB). Pour les smartphones et écouteurs modernes, ils envoient souvent des alertes ou réduisent parfois le son d’eux-mêmes. La quantité d’écouteurs augmente drastiquement mais la qualité du matériel et les réglementations aussi. »
En 2015, l’OMS a estimé qu’1,1 milliard d’adolescents et de jeunes adultes couraient un risque potentiel de perte auditive suite à une exposition volontaire au bruit à des fins récréatives. Des chiffres qui, une fois de plus, peuvent sembler alarmants quand on sait que la majorité des jeunes utilisent régulièrement des écouteurs pouvant monter parfois jusqu’à 100 dB. « L’audition a, depuis la révolution industrielle, toujours été abîmée par le bruit, souligne Philippe Lefebvre, chef du service ORL du CHU de Liège. En comparaison, le trauma subi à cause d’AirPods est moindre que celui d’une perceuse au fin fond d’une mine. Je pense donc que les causes de surdité se sont juste déplacées car le monde et les technologies à notre disposition évoluent, tout simplement. »
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Une notion de perte auditive que Philippe Lefebvre souhaite également affiner. « Dans un premier temps, tout dépend du package génétique de chacun. Les sensibilités ne sont pas identiques et la perte d’audition ne s’effectuera pas de la même manière. Ensuite, pour comprendre la pertinence de ces chiffres, il faut revenir à la fonction première de l’audition : la compréhension de la parole. Est-ce que nos habitudes d’exposition aux sons vont laisser des traces sur éventuellement 1 milliard de personnes ? Bien sûr. Mais, quels types de traces ? Lorsque vous perdez des fréquences dans les aigus à 8.000 voire 4.000 Hz, elles ne vous servent pas au quotidien. »
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Les 12-34 ans ne sont donc pas plus, ou moins, une génération à l’audition affaiblie par des habitudes néfastes. « À l’heure actuelle, je ne constate pas, lors de mes consultations, une dégradation significative ou une situation particulièrement alarmante chez les adolescents ou jeunes adultes, explique Sara Castelein. Les potentiels dégâts ne se remarqueront que sur le long terme car, il faut aussi accepter qu’un jeune atteint de surdité légère ne vient pas forcément consulter. » Le Dr Lefebvre appelle, quant à lui, à la prise de conscience et au discernement. « Nous sommes dans une société d’excès sur bien des points mais rien ne sert de faire culpabiliser les jeunes qui se mettent des écouteurs dans les oreilles ou qui vont en festival. Il s’agit d’être prudent et de prendre soin de soi. La conclusion est que tout est dans la mesure. Avec un matériel de qualité et si on est raisonnable, pas de problème. On peut s’exposer près de 8h à un volume de 80 dB. La démesure, elle, mène aux ennuis. »
Une mesure qui sonne tout de même comme un appel à la prudence car sur les 3.500 cellules internes et 10.000 cellules externes qui composent une oreille, aucune ne se régénère. En attendant des avancées scientifiques futures, les dégâts causés à l’audition demeurent actuellement irréversibles.
Thomas Parent
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