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Le virus de la polio détecté en Europe, faut-il s’inquiéter? «Il faut une surveillance planétaire»
Des traces de polio ont été trouvées dans les eaux usées de plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni, alors que le virus est éradiqué depuis une vingtaine d’années. En Belgique, Sciensano rassure. Mais cela marque-t-il les prémices de la réapparition du virus?
La polio signe-t-elle son retour en Europe? Depuis quelques mois, des traces du virus ont été détectées dans les eaux usées de plusieurs villes européennes. En Espagne (Barcelone), à Rzeszów et Varsovie (Pologne), en Finlande et dans plusieurs endroits d’Allemagne et du Royaume-Uni, précise Santé publique France, qui souligne une «situation inhabituelle et préoccupante». Aucun cas de polio n’a toutefois été rapporté dans ces pays.
Le virus de la poliomyélite est de ces maladies infectieuses qui ont sévi au XXe siècle, et qui semblaient éradiquées. Ce virus à ARN très contagieux qui se transmet par l’eau ou les aliments contaminés par des matières fécales humaines, se développe dans le tube digestif et s’étend ensuite au système nerveux. La polio touche principalement les enfants et peut entraîner une paralysie des membres inférieurs et parfois des muscles respiratoires.
En Europe, plus aucun cas n’a été constaté depuis 2002, mais la maladie circule toujours dans certains pays comme l’Afghanistan ou le Pakistan. En 2021, l’Ukraine avait été frappée par une résurgence du virus, ainsi qu’Israël en 2022. Depuis l’année dernière, c’est la bande de Gaza qui subit une flambée de poliovirus, étant donné les mauvaises conditions d’hygiène dans lesquelles vivent les populations déplacées et bombardées, doublées d’une couverture vaccinale insuffisante.
«Effet boomerang du vaccin»
Les poliovirus détectés en Europe proviennent d’une souche vaccinale qui a émergé au Nigéria il y a quelques années, précisent les autorités de santé. «Le virus sauvage (NDRL: à l’état naturel) de la polio est devenu très rare», explique l’infectiologue Yves van Laethem, président du Conseil supérieur de la Santé (CSS).
Il existe deux types de vaccin contre la polio. Le vaccin inactivé, développé dans les années 1950 par Jonas Salk, contient des virus inactivés de la polio et s’administre par injection. Utilisé en Europe, il induit une bonne réponse immunitaire et protège contre la forme paralysante de la polio mais n’empêche pas l’excrétion virale. «Il donne une immunité, diminue la propagation du virus, mais ne l’annule pas», détaille le spécialiste.
Le vaccin oral atténué, quant à lui, utilise des virus vivants de la polio qui ont été atténués. Il a été développé par Albert Sabin et introduit dans les années 1960. Il protège davantage que le vaccin inactivé car il entraîne «une immunité générale et aussi au niveau de la muqueuse intestinale, ce qui n’est pas le cas de l’autre», précise l’infectiologue. C’est un produit administré par voie orale, surtout utilisé dans les pays dits «en voie de développement» à l’heure actuelle. «Il est plus facile et rapide à administrer, il ne faut pas être médecin ou infirmier pour cela», poursuit le professeur émérite. Il permet aussi de vacciner les personnes autour par répercussion. «Quand le virus est ingéré, il va dans le tube digestif, puis dans les selles. Dans les conditions de villages africains ou indiens où il n’y a pas beaucoup de toilettes et de la proximité, les enfants non vaccinés qui se lavent les mains dans les eaux usées sont aussi en contact avec le vaccin. Sauf qu’il peut provoquer un effet boomerang lorsque le virus se réveille».
«Le virus contenu dans le vaccin mute, et se propage à travers les personnes non vaccinées. Mais ça reste rare», précise l’immunologiste Eric Muraille, professeur à l’ULB. Entre 2018 et 2021, 2.296 cas causés par des poliovirus dérivés de vaccins ont été rescensés dans 35 pays, selon une étude. Vingt-cinq en Afrique, et dix en Eurasie.
Le virus a donc certainement été importé en Europe via l’immigration. «En théorie, le seul réservoir du poliovirus, c’est l’humain. Etant donné qu’il a été éradiqué en Europe il y a plusieurs années, les seuls cas qui existent encore maintenant sont des cas d’importations de personnes qui viennent d’Afrique et qui auraient été infectées par une souche vaccinale», poursuit le professeur Muraille.
Encore qu’aucun cas n’a été constaté dans les pays européens où des traces sont présentes dans les eaux usées, car la couverture vaccinale est suffisante. «S’il est détecté, ça signifie qu’il y a des personnes qui l’ont mais qui sont asymptomatiques», indique encore l’immunologiste. La polio est asymptomatique dans 90% des cas, ce qui ne l’empêche pas de se propager. Environ 5% des personnes infectées présentent des symptômes légers associant fièvre, fatigue ou vomissements, tandis qu’un plus faible pourcentage voit le virus atteindre le système nerveux central, provoquant raideurs, douleurs musculaires et, dans 0,1% des cas, des paralysies flasques aiguës.
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Aucune trace de poliovirus n’a été trouvé en Belgique
Sciensano
«Il n’y a pas d’inquiétude à avoir en Belgique», assure Yves van Laethem, car la vaccination est très bonne. C’est d’ailleurs le seul vaccin légalement obligatoire. En 2020, le taux de vaccination pour la polio s’élevait à 94%, renseigne Sciensano, l’institut belge de santé publique. Pour être efficace, la couverture vaccinale doit être à plus de 90% de la population. «Il y a encore 6% des personnes qui échappent et c’est regrettable. Il faudrait instaurer un registre national de la vaccination pour éviter les manquements», suggère Gijs Van Gassen, chargé de communication à Sciensano.
La subsistance de la polio, signal d’une situation géopolitique défaillante?
Il n’y a pas de risque pour la population, mais les services sanitaires doivent suivre ça avec attention, exhorte Eric Muraille. Aucune trace du virus n’a été détectée à ce jour dans les eaux belges, assure Sciensano, qui a renforcé sa vigilance au vu de la situation dans les pays voisins. Les symptômes de la polio font aussi l’objet de surveillance et doivent être rapportés par les professionnels de santé dès lors qu’ils se présentent. Depuis la pandémie de Covid, la surveillance des eaux usées a été renforcée en Europe afin de contrôler la propagation d’un virus. En Belgique, les eaux usées sont testées à la poliomyélite depuis janvier 2024.
«C’est un bon exemple d’infection qui montre l’importance d’agir au niveau global. Il faut une surveillance planétaire et pouvoir réagir rapidement lors de l’apparition de cas», estime Eric Muraille. «L’impossibilité actuelle d’obtenir une éradication et la survenue d’épidémies liées à des virus dérivés des vaccins sont moins la conséquence de difficultés scientifiques ou de manque d’outils que celles d’une situation géopolitique mondiale très complexe empêchant de mettre en place les stratégies adaptées», estime par ailleurs l’immunologiste français Jean-Daniel Lelièvre dans The Conversation.
Depuis 2016 en Belgique, la vaccination est offerte à toutes les personnes demandeuses d’asile ou réfugiées, issues de pays où la poliomyélite est encore endémique, à leur arrivée sur le territoire. «Le problème, si ce sont des cas liés à l’immigration clandestine, les personnes ne sont pas forcément en contact avec les autorités sanitaires et sont donc moins suivies», regrette le professeur de l’ULB.
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