Le sucre, un danger public?
Le sucre devient, avec le tabac, l’ennemi numéro 1. Il se cache dans tous les aliments, même les plus inattendus, fait grossir, serait addictif et entraînerait des problèmes de santé catastrophiques. Sommes-nous en train de nous empoisonner à petits feux ?
Cent grammes. C’est, en moyenne, la quantité de sucre que vous ingurgitez chaque jour. Ce qui correspond à une quinzaine de carrés de sucre. Ou 45 kilos chaque année. Quinze kilos de plus qu’il y a trente ans. Ainsi, en Belgique, la part de sucre dans l’apport énergétique quotidien représente 20%, alors qu’il ne devrait dépasser 10% dans un régime alimentaire qui se voudrait équilibré. Pis : sur ces cent « petits » grammes, quelque 80 % sont absorbés de façon indirecte. C’est-à-dire sans que vous vous en rendiez compte. En effet, le sucre est préincorporé dans les aliments par les industriels, y compris dans les plus inattendus. Par exemple dans certains yaourts, dans les plats préparés et le ketchup. Le tout le plus légalement du monde, puisque s’il est obligatoire d’indiquer sur l’étiquette la présence de sucre ajouté, les fabricants ne précisent pas toujours combien leur produit en contient. Pour le consommateur, c’est un casse-tête pour déterminer la quantité qu’il absorbe avec un produit préparé. « Et même pour nous, les professionnels de la santé, il est très difficile d’évaluer les glucides simples naturellement présents dans les aliments et la réelle teneur en sucres ajoutés », note Nicolas Guggenbülh, licencié en nutrition humaine et professeur à l’institut Paul Lambin, à Bruxelles.
Le sucre, sous la forme d’une molécule simple appelée glucide, est vital pour l’organisme. C’est son carburant, son essence : tous les organes en ont besoin et, particulièrement le cerveau, qui en absorbe 60 %. Sans sucre, les cellules meurent, tout simplement. Ce carburant – les sucres complexes (autrefois dits « lents », riches en amidon et en fibres) -, le corps se le procure par le biais des féculents, des produits céréaliers, du pain… Mais les sucres simples (autrefois dits « rapides »), tels que le glucose, le fructose et le saccharose ont pris une place prépondérante dans notre alimentation.
L’addiction
Comment en est-on arrivé là ? Pour produire en masse et à bas prix, les groupes agroalimentaires ont misé sur les matières grasses bon marché. Mais, pour nous faire avaler ce gras et en améliorer le goût, il a fallu trouver des « moteurs gustatifs ». Au premier rang desquels le sucre. « Il ne viendrait à l’idée de personne d’ingurgiter 20 grammes de beurre. C’est pourtant l’équivalent calorique, enrobé de six morceaux de sucre, d’un Esquimau », poursuit Nicolas Guggenbühl. Le sucre est également utilisé pour des raisons de technologie alimentaire : obtenir une meilleure onctuosité, allonger la durée de conservation, diminuer l’acidité, éviter le développement de bactéries, retenir l’humidité des produits… Mais ce sucre utilisé comme additif n’est pas toujours du glucose ou du saccharose. Premier utilisé : le sirop de glucose-fructose, en raison de son pouvoir sucrant supérieur et de son coût inférieur. Dans les années 1980, les groupes agroalimentaires ont réussi à extraire le fructose du maïs, pour un coût extraordinairement efficace et bas. C’est ce sirop, riche en fructose, appelé HFCS, qui est également utilisé par les fabricants qui l’ont introduit partout : dans les sodas, les gâteaux, les biscuits…
Nous rendant ainsi « accros ». Plus on en consomme, plus on en redemande. L’effet est surtout vrai pour les produits de grignotage (ou snacking). « Le grignotage se traduit chez certains par l’équivalent calorique de 6 à 8 repas par jour », remarque Nicolas Guggenbülh. Si l’on mange plus en grignotant, c’est parce que l’on se rassasie moins vite. Ce snacking est, de plus, dopé par les boissons sucrées. « Lorsque vous buvez un soda, votre taux de sucre dans le sang grimpe en flèche et secrète de l’insuline en abondance. Ce qui provoque, deux heures plus tard, une sensation de faim avec une attirance pour les produits sucrés, qui vont de nouveaux augmenter votre taux dans le sang », précise Nicolas Guggenbülh. Un cercle vicieux d’autant plus préoccupant que les calories sont moins bien prises en compte par le cerveau lorsqu’elles sont absorbées sous forme liquide.
Autrement dit, le sucre serait bien addictif. Et, selon le Dr. Edouard Pélissier, chirurgien en cancérologie et auteur de La vérité sur les sucres et les édulcorants (Odile Jacob), « il est probablement aussi nocif que l’alcool à long terme, mais sans doute pas autant que le tabac. Le sucre n’est pas aussi violent. On n’en meurt pas tout de suite mais, à long terme, il est impliqué dans un grand nombre de maladies chroniques. » En tout cas, « au vu des publications actuelles, nous avons la preuve que la consommation excessive de sucre est véritablement nocive ».
Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier. Avec :
Les raisons de la chasse aux sucres décrétée par l’OMS Les sucres cachés dans les aliments quotidiens Comment les lobbys sucriers sont même infiltrés dans les programmes de lutte contre l’obésité
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