Le secteur associatif bruxellois menacé par la crise politique: «Nous sommes structurellement en déficit»
Le gouvernement bruxellois en affaires courantes n’est pas compétent pour octroyer un budget exceptionnel au secteur associatif. Pourtant, une partie non négligeable de ce milieu est financé de la sorte. La sonnette d’alarme est tirée.
La crise politique bruxelloise a, finalement, assez peu d’impact sur la vie directe des citoyens. Pour le moment, du moins. La donne pourrait changer, à en croire le secteur associatif. La nouvelle année arrive et aucun exécutif n’est encore place et ne peut donc octroyer les budgets au bon fonctionnement du secteur. La Féda, fédération qui regroupe les différentes associations sur les questions de drogues et addictions à Bruxelles, en donne l’illustration. «La distribution de seringues est protégée depuis l’an 2000 par un cadre légal élargi au tissu associatif, mais l’absence de gouvernement et de prise de décision sur la reconduction de certaines lignes budgétaires entraînera l’arrêt de ces programmes de distribution à partir de janvier 2025.» Le risque, si le service de de distribution de matériel stérile venait à être suspendu, serait d’accentuer la «hausse ininterrompue des cas de VIH depuis trois ans (+13 % de diagnostic VIH en 2023 par rapport à 2022», souligne la Féda).
C’est en fait le mode de financement de l’ensemble du secteur associatif qui est mis à nu par la crise politique bruxelloise. La plateforme citoyenne Belrefugees partage les inquiétude de la Féda, et parle d’une menace pour deux tiers de ses 1.100 lits. Mardi, c’était la Febrap (Fédération bruxelloise des Entreprises de Travail Adapté) qui s’invitait au Parlement bruxellois. Cette fédération de patrons qui favorise la mise à l’emploi de personnes en situation de handicap exhortait le gouvernement à lui accorder 2 millions d’euros (dans un secteur qui comptera 3,5 millions de déficit en 2024) afin de garantir ses missions. D’habitude, une telle demande est satisfaite par l’exécutif en place, mais un gouvernement en affaires courantes ne peut légalement le faire.
Des douzièmes provisoires pour parer l’urgence
Pour donner de l’air, le parlement bruxellois via la Cocof a donc décidé ce mardi de fonctionner avec quatre douzièmes provisoires. Concrètement, cela implique que le secteur associatif recevra automatiquement un tiers des crédits octroyés en temps normal pour un an. «Pendant le premier quadrimestre de 2025, les administrations (NDLR: et associations) pourront dépenser un tiers de ce qu’elles ont dépensé l’année précédente», explique le ministre de la Santé et des Affaires sociales en affaires courantes, Alain Maron (Ecolo).
«Sauf que tous les programmes ne rentrent pas dans les financement structurels», signale Stéphane Leclercq, directeur de la Féda, en évoquent le cas de seringues stériles. Cet aspect particulier est en ce moment débattu par le gouvernement bruxellois en affaires courantes, les écologistes demandent que les subsides extraordinaires soient octroyés s’il s’agit d’un renouvellement sans augmentation. Le ministre du budget Sven Gatz (Open-VLD), appuyé par l’avis de la Cour des comptes, serait réticent.
Le secteur espère donc qu’à l’issue du premier quadrimestre de 2025, un exécutif bruxellois soit créé et que celui-ci soit en mesure d’accéder aux demandes extraordinaires des différents organismes. C’est dans ce sens qu’Ecolo a déposé une proposition de résolution demandant aux gouvernements bruxellois actuel et futur de maintenir, au moins pour l’année 2025, les mêmes financements que pour 2024. Une proposition qui n’a pour seul objectif que d’être un matelas pour l’associatif en cas de non prolongement, voire de coupes.
Un système à revoir
Des communiqués alarmistes du secteur associatifs, la députée en commission des Affaires sociales et de la santé, Farida Tahar (Ecolo) s’attend à en voir publier d’autres, dans les jours à venir. «On ne mesure pas assez l’ampleur des dégâts et l’inquiétude. Des associations vont devoir mettre fin à des contrats en 2025, et même à des projets. Certaines l’ont déjà annoncé. C’est la réalité du monde associatif, de travailler avec des bouts de ficelle.»
L’associatif a toujours été le parent pauvre, quels que soient les partis autour de la table.Farida Tahar (Ecolo)
De fait, comment un dispositif comme la distribution de seringues stériles pour les usagers de drogues, en place depuis 20 ans et dont l’utilité sanitaire à grande échelle n’est plus à démontrer, n’est-il pas encore pérennisée ? «On plaide toujours pour des politiques structurelles, assure l’écologiste. L’associatif a toujours été le parent pauvre, quels que soient les partis autour de la table. Durant cette législature, on a déjà fait un pas en avant en débloquant des subsides pluriannuels.» Ceux-ci permettent par exemple à la Féda de jouir d’un tiers des 150.000 euros de subsides pour l’exemple utilisé ici. Le collègue de commission de Farida Tahar, le socialiste Mohamed Ouriaghli, évoque quant à lui le caractère politique exceptionnel du moment pour contextualiser la situation, rappelant que c’est la première fois qu’un gouvernement bruxellois est en affaires courantes si longtemps. Côté MR, le député Amin El Boudjaini explique en substance que les budgets de la Cocof, qui subsidie la Féda, ont bien été renouvelés et que ceux de Safe.brussels (un autre organisme subsidiant qui finance également la Féda) sont pour l’instant en suspens le temps de l’évaluation du futur plan de prévention.
«Nous sommes un secteur structurellement en déficit, note Michael Lans, porte-parole de la Febrap. Cela fait des années que l’on dit au politique qu’il faut un refinancement structurel du secteur.» Selon lui, le principe des quatre douzièmes provisoires ne suffira pas et certaines entreprises de travail adapté pourraient fermer leurs portes dans les trois mois.
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