
Le lait cru: superaliment naturel ou danger pour la santé?
Alors que les hipsters en Europe délaissent peu à peu le lait d’avoine au profit du lait de pois, le lait cru de vache connaît un essor aux Etats-Unis. Et cela n’est pas sans danger.
Est-ce lié au sentiment de retour à la nature, au désir d’aliments non transformés, à l’association avec la femme nourricière ou au phénomène inquiétant du recul de la crise climatique dans les priorités? Ou bien Nicole Kidman buvant du lait a-t-elle déclenché une révolution? Toujours est-il que le lait de vache fait son grand retour aux Etats-Unis. En 2024, sa consommation y a augmenté de 3,2%, soit seulement la deuxième hausse depuis les années 1970, tandis que la consommation de lait végétal a chuté de 5,9%. La vente de lait cru, quant à elle, a même grimpé de 17,6%.
Une explication possible est que les influenceurs de la génération Z, qui ont grandi avec le lait d’avoine, de soja et d’amande, découvrent aujourd’hui le lait de vache pour la première fois et se disent fascinés par «le lait tel que la nature l’a conçu». Ils considèrent l’or blanc comme un prétendu «superaliment», un terme marketing qui semble avoir la vie dure.
Une autre raison de la montée en puissance de la brigade du lait est la campagne «Make America Healthy Again» de Robert F. Kennedy Jr. Le tout nouveau ministre américain de la Santé utilise la pureté du lait cru de vache comme une arme contre la puissante industrie agroalimentaire, connue pour jongler avec toutes sortes de sucres (artificiels), d’émulsifiants et d’épaississants, y compris dans le lait végétal.
Selon Kennedy, le lait cru serait bien plus sain que le lait transformé, pasteurisé ou stérilisé. Pourtant, la pasteurisation est considérée comme l’un des grands triomphes de la santé publique moderne. Et à une époque où le virus de la grippe aviaire sévit aux Etats-Unis et a même été détecté dans du lait cru, ce n’est peut-être pas le moment idéal pour relancer ce débat.
En Belgique, le lait cru ne se trouve que dans les meilleures supermarchés et dans les distributeurs automatiques chez les agriculteurs.
Le lait cru est-il plus sain?
Le lait cru est effectivement «le lait tel que la nature l’a conçu» —bien que destiné aux veaux, et pas nécessairement à l’homme— et contient légèrement plus de substances bioactives, comme la vitamine B12, la vitamine E et l’acide folique, que sa version pasteurisée. Mais ces quantités supplémentaires ne pèsent absolument pas lourd face aux risques liés au lait cru. Les consommateurs de produits laitiers non pasteurisés ont un risque 840 fois plus élevé de contracter une infection alimentaire bactérienne et 45 fois plus de chances d’être hospitalisés que les consommateurs de lait vendu en supermarché, selon les Centers for Disease Control and Prevention des Etats-Unis.
«Le lait de vache est sain, mais dire que tous les Américains devraient soudainement se mettre à consommer la version crue, c’est un non-sens pur et simple, estime le nutritionniste et auteur Eric De Maerteleire. Le lait cru est dangereux en raison d’une possible contamination bactérienne par la listéria, la salmonelle, la campylobacter et l’E. coli. Il n’y a aucun débat à ce sujet au sein de la communauté scientifique. Dans le lait pasteurisé, ces agents pathogènes sont éliminés par un chauffage de courte durée. Kennedy a certes raison de s’attaquer aux aliments ultra-transformés, mais il ne faut pas tout mettre dans le même sac. Le lait d’avoine, par exemple, reste un bon choix car il contient des fibres. »
Le lait cru est dangereux en raison d’une possible contamination bactérienne par la listéria, la salmonelle, la campylobacter et l’E. coli.
Eric De Maerteleire
nutritionniste et auteur
Mais qu’en est-il des fromages au lait cru?
«Bien que les fromages au lait cru soient beaucoup moins dangereux que le lait cru, ils présentent également un risque, surtout pour les personnes vulnérables», avertit De Maerteleire.
Les germes pathogènes comme la listéria et la salmonelle disparaissent généralement grâce au processus de fabrication du fromage, une sorte de processus de fermentation à l’aide de ferments lactiques, mais pas complètement. De rares cas de contamination à la listéria ont été signalés à l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire.
En revanche, l’E. coli et d’autres bactéries survivent au processus de production. Certaines de ces bactéries donnent d’ailleurs aux fromages au lait cru leur goût et leur arôme caractéristiques. Par exemple, la bactérie Brevibacterium linens confère à certains fromages leur célèbre odeur de pieds. Cela ne rend pas les personnes en bonne santé malades, mais les femmes enceintes, pour lesquelles la sécurité alimentaire est mille fois plus importante, doivent éviter ces fromages.
«Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que la production de fromages à base de lait cru soit interdite en Europe. Pour des raisons économiques, cela n’a finalement pas eu lieu. Lorsqu’on a commencé à fabriquer certains fromages d’exception en France avec du lait traité thermiquement, leur arôme spécifique a disparu et les ventes se sont effondrées.»
Le lait cru est-il meilleur pour l’intolérance au lactose?
L’intolérance au lactose survient lorsque les personnes ne possèdent pas ou très peu l’enzyme lactase, qui décompose le lactose dans l’intestin grêle. Une affirmation courante sur les réseaux sociaux, émanant parfois de personnes se considérant comme des experts par expérience, est que les personnes intolérantes au lactose tireraient bénéfice du lait cru, car les bactéries lactiques produiraient des enzymes qui aident à décomposer le lactose contenu dans le lait.
«Dire qu’il faut boire du lait cru pour améliorer son intolérance au lactose, c’est encore une fois du pur non-sens, affirme Eric De Maerteleire. Le lait de vache cru contient une quantité négligeable de bactéries probiotiques capables de dégrader le lactose, si bien que le lait cru contient encore environ 4 grammes de lactose pour 100 grammes, soit autant que le lait chauffé. Si Kennedy souhaite que les Américains consomment plus de lactobacilles, il ferait mieux de recommander des produits fermentés comme le yaourt et le kéfir. »
Dire qu’il faut boire du lait cru pour améliorer son intolérance au lactose, c’est encore une fois du pur non-sens.
Eric De Maerteleire
nutritionniste et auteur
Le lait cru protège-t-il contre les allergies?
Sur cette question, la science reste partagée. Le fait que les enfants de fermiers souffrent moins d’allergies, d’eczéma et d’asthme que ceux qui grandissent avec du lait pasteurisé dans des zones urbaines pourrait être lié à la consommation de lait directement tiré de la vache. Des études menées sur des souris montrent que la lactoferrine, une protéine présente dans le lait cru, stimule le système immunitaire contre les allergies.
Cependant, il est difficile de déterminer si les bienfaits pour la santé des enfants vivant à la ferme sont uniquement dus au lait cru. Eric De Maerteleire y voit plutôt un effet général lié à la vie à la ferme.
«Le système immunitaire des enfants est modulé au cours des trois premières années de leur vie par la présence de chiens, de chats et de vaches, par le fait de jouer avec leurs mains dans la terre et de cueillir parfois une pomme sale sur l’arbre. Vous voulez que votre enfant grandisse en bonne santé? Ne lui donnez pas de lait cru, mais laissez-le jouer dans l’herbe et la terre, ou adoptez un chien.»
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