© GETTY IMAGES

Le génome humain totalement séquencé

Rosanne Mathot Journaliste

Une récente publication scientifique annonce que le séquençage du génome humain serait (enfin) terminé. De quoi faire grandement avancer la médecine génomique sur mesure, en permettant de mieux comprendre les causes des maladies liées aux gènes. Et donc de les soigner?

C’est une excellente nouvelle pour l’être humain. Le séquençage complet de son génome, soit l’ensemble du matériel génétique codé dans son ADN et qui rend possible son développement, son fonctionnement et sa reproduction, serait enfin achevé, après plus de trente années de travaux. L’annonce, très discrète, est issue d’une étude réalisée par le consortium international T2T. Ce groupe de scientifiques dirigés par la généticienne américaine Karen Miga publiait, fin mai, sur la plateforme scientifique en ligne bioRxiv l’article The Complete Sequence of a Human Genome.

Plus de six mille pathologies génétiques sont aujourd’hui répertoriées et ces maladies affectent plus de 6% de la population mondiale.

S’il ne s’agit encore que d’une étude preprint (non encore validée par la communauté scientifique), elle regorge néanmoins de promesses pour le bien-être et, peut-être, l’avenir de l’humanité. Car cette prouesse scientifique fait potentiellement accomplir un pas de géant à la médecine personnalisée, adaptée aux particularités génétiques de chacun. Sur mesure, en d’autres termes. Plus de six mille pathologies génétiques sont aujourd’hui répertoriées et ces maladies affectent plus de 6% de la population mondiale, dont vingt-cinq millions d’Européens. Il s’agit donc bel et bien d’un enjeu majeur de santé publique. Mieux connaître le génome humain permettra de mieux prendre les patients en charge via la médecine dite « génomique ».

Médecine à la carte

Dans les années 1980, lorsque démarrèrent les travaux de séquençage du génome de notre espèce, le processus était extrêmement coûteux et compliqué. La première ébauche d’un tel séquençage a coûté plus de trois milliards de dollars. Aujourd’hui, grâce aux progrès inouïs de l’informatique, de la technologie et de l’intelligence artificielle, décoder le patrimoine génétique d’un humain, et donc d’une personne donnée, devient abordable et rapide. L’ avenir appartiendra à la médecine génomique adaptée à chaque patient. On peut ainsi parfaitement imaginer, en plus des diagnostics personnalisés, un protocole de traitement sur mesure et des médicaments à la carte.

La thérapie génique et la médecine génomique sont d’ailleurs déjà une réalité, notamment aux Pays-Bas, en Slovénie ou aux Etats-Unis, où les médecins soignent concrètement des patients en se basant sur les caractéristiques de leur Acide désoxyribonucléique. La Belgique n’est pas en reste: notre pays s’est doté du Belgian Medical Genomics Initiative (BeMGI), un réseau associant plusieurs universités belges et leurs centres génétiques agréés. Le BeMGI bénéficie de l’appui financier de la Politique scientifique fédérale.

La généticienne américaine Karen Miga à la tête de T2T.
La généticienne américaine Karen Miga à la tête de T2T.© DR

D’ après l’institut national américain de recherche sur le génome humain, le Nhgri, en 2019, vingt-six millions d’Américains ont commandé un séquençage de leur génome. Via Internet, pour une centaine d’euros, l’on peut ainsi disposer de son propre miniatlas génétique et savoir, notamment, quelle est notre part d’ ADN d’origine européenne, africaine ou autre. Signe que la génétique fait aujourd’hui vraiment partie des moeurs: outre-Atlantique, un cadeau typique pour la Saint-Valentin est désormais l’analyse du génome de son partenaire. Pourquoi? Pour qu’il sache plus précisément d’où il vient mais aussi pour se faire une idée de ce qui attend le couple, en cas de grossesse: le bébé risque-t-il d’être atteint d’une maladie génétique?

Un GPS génétique

Grâce aux techniques ultramodernes que T2T a utilisées, notamment le séquençage à haut débit, ce consortium scientifique a pu mettre en lumière d’anciennes « zones sombres » de l’actuel génome de référence humain. Il s’agit principalement de très longues répétitions de bases, illisibles par les machines d’il y a trente, vingt ou encore dix ans. Le récent modèle du génome humain offre ainsi de nouveaux points de repère. C’est un outil qui, tel une espèce de gps, va permettre aux médecins de mieux s’orienter sur la carte du génome de tous les êtres humains. L’ étude T2T ajoute ainsi deux cents millions de nouvelles paires de bases d’ADN au panel de référence humain actuel.

Autre apport potentiel de l’étude: 115 nouveaux gènes codants, engendrant des protéines. Ce n’est pas rien. Les scientifiques affirment aussi avoir réussi la performance de séquencer chacun de nos chromosomes d’une extrémité à une autre, soit d’un télomère à un autre – d’où le nom dont s’est doté ce groupe de scientifiques: T2T pour « Telomere to Telomere ». Un bémol toutefois: l’étude n’est pas très claire au sujet du séquençage du fameux chromosome sexuel Y

Le 26 juin 2000, le président américain Bill Clinton annonçait le séquençage complet du génome humain. Une communication précipitée.
Le 26 juin 2000, le président américain Bill Clinton annonçait le séquençage complet du génome humain. Une communication précipitée.© BELGA IMAGE

Si demain, chaque personne arrivait chez son médecin avec son séquençage génomique personnel déjà établi, cela permettrait aux médecins, aux patients et aux labos de gagner des fortunes, que ce soit en temps, en argent ou en bien-être. C’est le même principe que pour les ceintures de sécurité, les vaccins ou le fait de ne pas fumer: prendre des mesures préventives afin de se protéger et de rester en bonne santé. Comme on sait que de nombreuses maladies graves peuvent être repérées dans le génome, un médecin pourrait immédiatement éliminer ou, au contraire, se pencher en particulier sur une maladie et orienter son diagnostic plus rapidement.

Grâce aux progrès de l’informatique, de la technologie et de l’intelligence artificielle, décoder le patrimoine génétique d’un humain, devient abordable et rapide.

Il existe aujourd’hui un catalogue comprenant une soixantaine de gènes identifiés comme directement liés à des pathologies potentiellement mortelles, mais pour lesquelles il existe des traitements (maladies métaboliques, cardiovasculaires, neurologiques…). Raison pour laquelle, aux Etats-Unis, les pouvoirs publics encouragent tous les Américains à se livrer à un séquençage préventif de leur génome. Ce pays (à l’instar de la France, du Royaume-Uni ou de la Chine) s’est déjà doté d’une filière médicale et industrielle costaude visant à développer une médecine génomique de précision dans le parcours de soin. A la clé: non seulement des millions de vies potentiellement sauvées, mais aussi des millions d’emplois créés et une économie dopée.

L’invention de la roue

Il y a vingt et un ans, presque jour pour jour, on nous annonçait déjà que le génome humain avait été « entièrement » séquencé pour la première fois. Ce n’était évidemment pas correct: ce premier séquençage était une ébauche et il y manquait l’étude de 8 à 15% d’ADN. Les travaux de T2T nous rapprochent un peu plus des 100%. D’aucuns se souviendront de l’historique annonce planétaire, le lundi 26 juin 2000. Lors d’une cérémonie à la Maison- Blanche, en duplex télévisé avec le Premier ministre britannique Tony Blair, le président américain Bill Clinton expliquait alors que cette découverte scientifique équivalait, en importance pour l’espèce humaine, à l’invention de la roue. Et Clinton de s’enthousiasmer, en déclarant, avec ce lyrisme si typiquement yankee: « Aujourd’hui, nous apprenons le langage dans lequel Dieu a créé la vie. Grâce à ces nouvelles connaissances profondes, l’humanité est sur le point d’obtenir un immense nouveau pouvoir de guérison. »

Dieu n’avait a priori pas grand-chose à voir avec la prouesse de l’an 2000. Pour en arriver là, deux concurrents de taille s’étaient concurrencés avec acharnement: d’un côté, dans les starting-blocks depuis 1989, un consortium international de scientifiques piloté par le codécouvreur de l’ ADN et prix Nobel James Watson. De l’autre, l’entreprise américaine privée Celera Genomics. En 2000, c’était plié: Clinton déclarait un match nul. Le principal gagnant de l’histoire? L’humanité.

L’affaire ne s’arrête pas là, la science étant par nature insatiable. Outre le travail de T2T, saluons la recherche internationale actuelle souhaitant panacher le modèle génétique humain. Ainsi, dans le sillage du « projet des mille génomes » qui a donné, en 2012, un catalogue génétique censé être représentatif de l’humanité dans son entièreté, le nouveau projet Pangenome (même objectif, mais technologie plus avancée) devrait permettre de compiler une collection encore plus complète de la mosaïque génétique humaine. Objectif? Entre autres, mieux soigner les gens, quel que soit leur groupe ethnique ou leur sexe. De quoi enrichir considérablement notre médecine occidentale très androcentrée et concentrée sur le groupe ethnique blanc. Naissance imminente. Tous nos voeux de bonheur.

Classé X, le premier chromosome entièrement mis à nu

C’était en 2020: pour la première fois dans l’histoire de la génétique humaine, qui a commencé en 1865 avec les lois de Mendel portant sur l’hérédité biologique, des scientifiques sont parvenus à séquencer entièrement un de nos chromosomes, de haut en bas, sans rien négliger, sans dire que telle ou telle séquence était répétitive et ne servait probablement à rien.

Gregor Mendel, le père fondateur de la génétique.
Gregor Mendel, le père fondateur de la génétique.© BELGA IMAGE

Ainsi, parmi les quarante-six chromosomes humains, c’est le chromosome sexuel X, déterminant le genre féminin, qui a bénéficié du grand honneur d’ être le premier à livrer tous ses secrets. Pourquoi lui? Parce que ce gigantesque chromosome (trois fois plus grand que le chromosome Y) est impliqué dans une sinistre myriade de maladies génétiques. Citons, entre autres, le daltonisme, de nombreux retards mentaux, la maladie de Charcot (dont fut atteint l’astrophysicien Stephen Hawking), ou encore l’hémophilie B, la fameuse « maladie royale » qui a galopé de la reine Victoria jusqu’au tsarévitch…

La reine Victoria avait un chromosome X porteur du gène de l'hémophilie.
La reine Victoria avait un chromosome X porteur du gène de l’hémophilie.© GETTY IMAGES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire