
L’aromachologie ou comment se soigner par l’odorat: «On peut traiter en douceur des cas de stress, de dépression, d’épisodes traumatiques…»
Longtemps relégué au rang de sens secondaire, l’odorat revient aujourd’hui sur le devant de la scène scientifique. Au carrefour de l’aromathérapie, de l’olfactothérapie et de la parfumerie, l’aromachologie, littéralement la science des odeurs, se distingue par son ambition de moduler les émotions et comportements à travers des senteurs ciblées. Apparue dans les années 1980, cette discipline étudie l’effet des odeurs sur le psychisme.
Le processus est à la fois subtil et fascinant. Une molécule odorante pénètre dans la cavité nasale, atteint les récepteurs olfactifs et transmet un signal au bulbe olfactif. De là, le message est acheminé vers le système limbique, œuvre centrale de la mémoire et des émotions. Trois zones sont particulièrement impliquées: le cortex piriforme (reconnaissance de l’odeur), l’hippocampe (souvenirs) et l’amygdale (régulation des émotions). Contrairement aux autres sens, l’odorat accède directement à ces zones sans passer par le filtre de la conscience.
Cette connexion primitive explique pourquoi certaines odeurs apaisent, stimulent ou remuent. Les souvenirs olfactifs étant parmi les plus anciens, parfois même développés in utero, leur pouvoir d’évocation est immense. En aromachologie, chaque essence naturelle est choisie pour sa capacité à induire une réaction ciblée. Lavande vraie, néroli, camomille romaine ou bergamote: autant d’élixirs invisibles qui peuvent moduler l’anxiété, la fatigue, l’insomnie ou le sentiment d’insécurité.
Pascale Frennet, spécialiste de l’aromathérapie clinique en milieu hospitalier, utilise l’odorat comme moyen de traitement depuis des années: «L’aromachologie est fantastique pour reconnecter des patients à des souvenirs heureux. J’ai de très bons retours de mes patients ou de leur famille. Les odeurs ont ce pouvoir de traiter en douceur des cas de stress, de dépression, d’épisodes traumatiques… Mais aussi de reconnecter des patients dans le coma à la réalité. On observe, comme avec la musique, des réponses cérébrales positives. Des collègues se sont spécialisés dans les soins pour des patients atteints d’autisme. Là encore, on peut créer des lieux de sérénité en travaillant avec des odeurs qui les calmeront lors d’une crise.»
Fin de vie, vieillesse, enfance…
Si l’aromachologie s’est d’abord développée dans le secteur de la parfumerie, ses applications thérapeutiques font l’objet d’une attention croissante dans les domaines de la santé et du soin. La Haute autorité de santé en France, dans un rapport de 2021 sur les interventions non médicamenteuses, reconnaît les vertus de l’aromathérapie, proche cousine de l’aromachologie, dans l’accompagnement de la fin de vie. Des huiles à la lavande ou au néroli y sont utilisées pour réduire l’anxiété, atténuer les douleurs et faciliter l’endormissement. Dans les chambres de soins palliatifs, la diffusion d’une senteur douce devient un acte de soin à part entière, un geste invisible mais tangible.
Pascale Frennet évoque un cas marquant: «J’avais un patient en fin de vie qui souffrait de sclérose, la maladie de Charcot. Il était complètement paralysé mais pouvait encore communiquer avec les yeux. Nous avons fait plusieurs séances en travaillant avec différentes odeurs. L’une d’elles a particulièrement fonctionné: le cèdre de Virginie. Ce n’est pas un hasard. Ce patient avait travaillé toute sa vie dans le bâtiment et l’architecture. Cette senteur lui a permis de se reconnecter à son passé, à sa carrière. Avec les infirmières, nous avons constaté des effets notables. Il était plus calme, sa tension plus constante, il semblait soulagé.»
Une étude publiée dans Gérontologie et Société en 2022 confirme que la diffusion d’arômes d’huiles concentrées en lavande et en citron en maison de retraite permet de réduire les épisodes d’agitation chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
Ces bienfaits sensoriels prennent un autre sens lorsqu’on s’intéresse à l’enfance, en particulier à l’adoption. Selon des travaux de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) et de l’université de Bordeaux, les enfants adoptés, surtout ceux issus de contextes traumatiques, peuvent présenter des troubles de l’attachement, des angoisses ou des difficultés à dormir. L’aromachologie peut alors être utilisée comme un outil de stabilisation affective: créer un rituel olfactif avant le coucher, choisir ensemble une senteur douce, permet de construire des repères sensoriels, de ritualiser la sécurité.
«La thérapie des enfants demande beaucoup de rigueur. Il faut être très attentif à l’odeur avec laquelle on travaille. Un parfum que l’enfant a associé à un épisode traumatique peut faire ressurgir des souvenirs douloureux et aggraver sa situation. C’est pourquoi nous essayons de ne travailler qu’avec des senteurs que l’enfant aime. De ce fait, on peut créer un cadre de sécurité en l’associant à une arôme. Nous pouvons construire la sérénité, la provoquer, et si l’enfant passe par un épisode difficile, il peut utiliser un stick olfactif pour retrouver son calme», détaille Pascale Frennet.
Une discipline jeune, mais prometteuse
Si l’aromachologie ne revendique pas le statut de science médicale, contrairement à l’aromathérapie, ses fondements neurobiologiques sont de plus en plus documentés. Des institutions comme l’Inserm ou le CNRS explorent l’effet neurologique des odeurs sur le cerveau. Plusieurs travaux montrent que certaines senteurs influencent la production de neurotransmetteurs liés au plaisir ou au calme, comme la dopamine ou la sérotonine. L’Institut français des pratiques aromatiques (Ifpa), quant à lui, forme désormais les soignants à ces pratiques dans les milieux hospitaliers.
L’aromachologie s’invite aussi dans les domaines de la psychologie, de l’orthophonie, voire de la rééducation sensorielle chez les patients privés d’odorat, comme après une infection virale ou un traumatisme crânien. Par stimulation progressive de la mémoire olfactive, certains protocoles permettent de raviver l’odorat et, avec lui, des pans entiers de la mémoire affective. Une pratique qui avait son succès lors de l’épidémie de Covid-19.
Encore jeune, la discipline se structure, entre rituels individuels non reconnus scientifiquement, pratiques de soin encadrés, et création de parfums fonctionnels, purement esthétiques.
A utiliser avec précaution: limites et vigilance
Malgré ses promesses, l’aromachologie ne doit pas faire oublier que les huiles essentielles sont des substances hautement concentrées, parfois irritantes, allergènes ou contre-indiquées. Plusieurs agences de santé, dont l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), appellent à la prudence: une mauvaise utilisation peut entraîner des effets indésirables, notamment en cas d’inhalation prolongée ou d’usage sur les enfants, les femmes enceintes ou les personnes asthmatiques.
La variabilité de la qualité des produits disponibles sur le marché, l’absence de régulation stricte dans certains pays et la confusion entre approches scientifiques et usages commerciaux invitent à distinguer clairement les pratiques encadrées des promesses marketing. Enfin, si l’aromachologie peut améliorer le bien-être, elle ne saurait se substituer à une prise en charge médicale ou psychologique lorsque celle-ci s’impose.
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