L’alexithymie ou l’incapacité à identifier ses émotions: «Ils ne sont pas insensibles, au contraire»
Etes-vous atteint d’alexithymie? Cette incapacité à identifier ses émotions et à verbaliser son ressenti peut empoisonner la vie et les relations avec les autres.
«Il ne réagit pas, il est vraiment insensible!» Et s’il était plutôt alexithymique? Peu connu, ce trouble de la régulation des émotions affecte la santé mentale et physique. L’alexithymie peut se traduire par un manque d’empathie, un sentiment de vide intérieur ou peu de plaisir éprouvé dans des situations adéquates. «L’alexithymie est trop souvent ignorée, alors que c’est une problématique qui empoisonne vraiment la vie de pas mal de gens», estime Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain et directeur de recherche au FNRS. En effet, 10% à 15% de la population seraient concernés.
Du mal avec les émotions
L’alexithymie se manifeste par trois caractéristiques. Premièrement, l’incapacité à identifier ses émotions. «Ces personnes ont du mal à mettre le doigt sur ce qu’elles ressentent. Cela se traduit par une confusion émotionnelle. Quand le ressenti est désagréable, l’individu ne sait pas si c’est la peur, la tristesse ou la colère», explique-t-il. Deuxièmement, l’incapacité à verbaliser ses émotions aux autres. Enfin, un mode de pensée «hyper concret, pas du tout orienté vers les émotions. Leur vie imaginaire est aussi assez pauvre et peu élaborée.» C’est la conjonction de ces trois aspects qui permet de poser le diagnostic.
De là à les considérer comme insensibles? «C’est aller trop loin, juge-t-il. Je préfère utiliser le mot ‘difficultés’, mais ils ne sont pas insensibles. Au contraire, ils ressentent parfois une détresse intense, mais ne savent ni quoi faire avec ni comment en parler.» L’alexithymie ne concerne d’ailleurs pas seulement un déficit dans le ressenti et l’expression des émotions. «On observe des réactions impulsives en termes d’agression physique ou des pleurs très intenses, sans en comprendre la source.»
Développement émotionnel et traumatismes
Sa présence peut s’expliquer de diverses manières. Tout d’abord par les modes d’interactions dans l’enfance et l’adolescence. «Un enfant passe par plusieurs stades. D’abord, il n’y a pas de langage. Puis il doit pleurer, crier pour communiquer. Puis, progressivement, les parents vont mettre des mots sur les émotions. Et l’enfant va les associer à ses ressentis.» Mais si l’espace dédié pour parler de ses émotions à la maison est restreint, voire découragé, cela peut engendrer un développement émotionnel entravé ou retardé.
L’alexithymie peut aussi se développer suite à un traumatisme. Cela peut être un traumatisme crânien ou des accidents qui peuvent créer certains problèmes de connexion au niveau du cerveau. Mais aussi un traumatisme psychologique. «C’est parfois le cas de ceux qui ont vécu des abus sexuels à l’adolescence. Ils vont commencer à être extrêmement confus par rapport aux émotions et ne pas arriver à en parler.»
Difficultés relationnelles
L’alexithymique peut se reconnaître lors d’événements intenses, en voyant les autres réagir d’une telle manière, tandis qu’il reste lui-même perplexe. «Ils se sentent différents, car ils ont l’impression que dans leur entourage, les gens arrivent assez vite à savoir comment interpréter leurs ressentis», explique Olivier Luminet.
Comment reconnaître une personne concernée dans son entourage, si elle ne parvient pas à verbaliser ses émotions? «Ce n’est pas simplement quelqu’un qui, parfois, hésite à parler parce qu’il serait un peu timide, précise le professeur de l’UCLouvain. On pourrait simplement se dire ‘il ne parle jamais de ses émotions, il ne doit pas en avoir, il vit très bien comme ça’, mais ce n’est pas le cas. Il y a vraiment une souffrance psychologique, qui se remarque via des événements émotionnels particuliers comme une perte d’emploi ou une rupture sentimentale, des situations dans lesquelles l’absence d’émotions peut être un signal.»
D’autant que ce trouble a également des conséquences interpersonnelles, au niveau du couple ou des amis, par exemple, qui pourraient penser à une relation à sens unique. «Ils vont plus souvent vivre seuls, avoir un réseau social moins développé parce que cette capacité à se confier aux autres, c’est un facteur important dans les relations amicales et amoureuses. Et avec un entourage plus restreint, moins de gens sont susceptibles de remarquer leurs difficultés et ils peuvent donc être pris dans une spirale de difficultés émotionnelles que personne ne va remarquer.»
Yoga, relaxation, kiné: la solution?
Des solutions existent, mais elles ne sont pas évidentes. Des personnes qui ont du mal à communiquer leurs émotions n’iront pas spontanément chez un psychologue. Dans un premier temps, des techniques non verbales sont donc à privilégier. «Au niveau corporel, ils sont souvent dans une très grande rigidité musculaire. Commencer par des techniques psychocorporelles peut être intéressant, car cela ne touche pas aux aspects mentaux qui leur font peur. Ils reconnaissent plus facilement leurs problématiques somatiques. Des techniques corporelles, comme le yoga, la relaxation ou encore la kinésithérapie, vont d’abord donner une détente musculaire.»
Lorsque le patient arrive à mieux faire le lien entre sensations corporelles et émotions, des interventions plus classiques peuvent être envisagées. Une amélioration nécessaire pour limiter les effets néfastes de l’alexithymie sur la santé mentale, comme un risque plus élevé de dépression, mais aussi sur la santé physique, comme des risques cardio-vasculaires plus importants. «Ils aboutissent parfois à l’hôpital pour un problème somatique. Cela peut être aussi une bonne piste pour un début de prise en charge», conclut Olivier Luminet.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici