La viande in vitro, la solution miracle pour la santé, la planète et le bien-être animal ?
Accusée de favoriser le cancer, de déséquilibrer la planète et d’être contraire à la cause animale, la viande conventionnelle est-elle condamnée à plus ou moins long terme ? Une » viande propre « , créée en laboratoire, est-elle la solution d’avenir ? C’est l’ambition de jeunes sociétés lancées dans la course technologique pour cultiver hamburgers et blancs de poulet. C’est la conviction de Paul Shapiro, chercheur et militant américain. Et déjà le souhait de quatre Belges sur dix.
C’était écrit en 1932 : » D’ici à cinquante ans, nous échapperons à l’absurdité d’élever un poulet entier pour en manger le blanc ou l’aile, et on fera pousser ces morceaux séparément dans un milieu approprié. » Signé Winston Churchill. La prédiction de l’alors futur Premier ministre britannique s’est révélée chronologiquement inexacte. Une décennie plus tard, en 1943, dans son célèbre Ravage, René Barjavel, lui, se projetait plus loin. Imaginant ainsi la production carnée en 2052 : » L’élevage, cette horreur, avait également disparu. Elever, chérir les bêtes pour les livrer ensuite au couteau du boucher, c’étaient bien là des moeurs dignes des barbares du xxe siècle. Le « bétail » n’existait plus. La viande était « cultivée » sous la direction de chimistes […]. Le produit de cette fabrication était une viande parfaite, tendre sans tendons, ni peaux ni graisse, et d’une grande variété de goûts. » Pas dit que l’écrivain français sera démenti : des chercheurs ont déjà créé en laboratoire de la viande in vitro. Du steak haché, des boulettes, du poulet… dans une » boîte de Petri « , c’est-à-dire cultivés en milieu artificiel après prélèvement d’un bout de muscle d’un bovin ou d’une volaille. C’est la clean meat, comme l’appellent ses concepteurs. La » viande propre « . Les premiers à en avoir consommé, en août 2013, lui ont trouvé un goût presque identique à celui d’un burger classique. Seuls bémols : pas aussi juteuse et manquant un peu de gras.
Beaucoup de gens raffolent de la viande, c’est aussi simple que ça !
Paul Shapiro, 39 ans, chercheur et militant américain, auteur de Clean Meat. Comment la viande de culture va révolutionner notre alimentation (1), a, lui aussi, tout goûté. Pour écrire ce livre, best-seller depuis sa parution, en anglais, il y a un an (la version traduite en français est sortie le 12 mars), il a testé ces produits animaux cultivés :
– Une chips de steak fabriquée à base de boeuf : Elle » ressemblait à une fine lamelle de jerky. […] J’ai mâché ma chips de steak et ça m’a plu : j’avais l’impression d’être à un barbecue. »
– Du canard : » […] Je regardais » transpirer » son jus de cuisson comme n’importe quel morceau de viande conventionnelle. En l’appuyant contre mon palais avec ma langue, je ressentis une saveur et une consistance qui se sont décuplées lorsque je commençai à mâcher. Je retrouvais exactement le goût du canard de mon enfance. »
– Et même du foie gras : » […] J’ai découpé sans trop de cérémonial un morceau de foie gras avec ma fourchette avant de le porter à ma bouche et, après une inspiration, de le presser lentement entre ma langue et mon palais. Le goût était stupéfiant. »
Végan depuis plus de vingt ans et défenseur de la cause animale, le » cobaye » nuance, quand même : il n’est pas » le meilleur juge, n’ayant plus mangé de viande depuis très longtemps « . Mais l’intérêt de Clean Meat ne réside pas là. L’ouvrage est surtout la première enquête réalisée sur le travail de ces start-up agroalimentaires. Paul Shapiro, vice-président de la Humane Society, puissante organisation protectrice des animaux, s’est rendu sur le terrain pour visiter leurs cuisines, a amassé une quantité de données et interrogé de nombreux acteurs du secteur. Mû par une forte conscience écologique : » Ce serait très bien si la plupart des êtres humains choisissaient de consommer moins, voire plus du tout de viande, mais nous n’avons pas le temps d’attendre une telle transformation. » Or, » malgré toutes les preuves des dégâts environnementaux que provoque l’élevage intensif, la population habituée à un régime riche en viande a beaucoup de mal à se tourner d’elle-même vers les aliments végétaux. Beaucoup de gens raffolent de la viande, c’est aussi simple que ça. » Il faut donc d’urgence trouver une autre façon, viable, d’en produire. Et, à ses yeux, l' » agriculture cellulaire détient le potentiel de remplacer, en grande partie, l’offre carnée traditionnelle « .
Une pure fiction ? Depuis que Mark Post, professeur à l’université de Maastricht, a présenté un hamburger cultivé lors d’un show-dégustation à Londres, en août 2013, une vingtaine de jeunes entreprises se sont lancées dans des variantes du concept : des hot-dogs, des boulettes de viande, des croquettes de poulet, du canard… Memphis Meat, Just, SuperMeat, Mosa Meat ou Future Meat Technologies disposent pour cela du soutien d’investisseurs privés, tels Richard Branson, créateur de Virgin, Sergey Brin, cofondateur de Google, de la fondation Bill Gates et d’autres partenaires dans la Silicon Valley. Surtout, elles ont convaincu des géants de l’agroalimentaire, tant le créneau semble porteur. » Tout va très vite, bien plus vite qu’on l’aurait imaginé. Il y a dix ans, aucune de ces sociétés présentées dans ce livre n’existait. Elles ont entre les mains les moyens de déclencher une nouvelle révolution verte « , avance Paul Shapiro.
Une piscine pour produire un kilo de boeuf
Pour fabriquer de la viande sans tuer de bovin ou de volaille, rien de vraiment révolutionnaire dans les techniques de culture de cellules, qui ont d’ailleurs fait leurs preuves dans la médecine régénératrice. Il faut prendre un animal et prélever des cellules souches par biopsie classique. Reste qu’il a d’abord fallu sélectionner les bonnes cellules souches capables de proliférer sous forme de fibres musculaires (les cellules souches sont capables de devenir n’importe quelle cellule du corps humain : neurones, sang, muscles, c’est-à-dire de la viande). Après plusieurs échecs, la bonne candidate s’est avérée être une cellule souche dite satellite, localisée dans le muscle squelettique (qui constitue la matrice de la viande que nous mangeons). Elle n’a qu’une seule vocation, et rien d’autre : se modifier en muscles, par exemple en cas de lésion ou de blessure, pour reconstituer un tissu.
La suite se déroule en laboratoire. Pour transformer les cellules musculaires en fibres – autrement dit, faire pousser du muscle -, les chercheurs les fixent à un » échafaudage « , une espèce de tuteur constitué de mailles de collagène, et les soumettent à une rotation dans un bioréacteur (une simple cuve d’acier) où les cellules sont stimulées et maintenues au chaud par des stimulations électriques. Pour nourrir les cellules, les scientifiques mélangent des acides aminés, du sucre, des minéraux et des facteurs de croissance, des antibiotiques et un classique sérum de veau. Le procédé se révèle identique qu’il s’agisse de cultiver du boeuf, du poulet ou du canard.
L’argument écologique est l’arme de vente de la clean meat : l’élevage est une puissante source de pollution. Les chiffres vertigineux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), comme ceux cités tout au long de l’ouvrage par Paul Shapiro, sont éloquents. Jamais nous n’avons produit et consommé autant de viande. En 2018, presque 330 millions de tonnes ont été produites dans le monde. Chaque année, 65 milliards d’animaux sont tués (dont 300 millions en Belgique), sans compter les espèces aquatiques. Une production pas sans conséquence sur la déforestation, la consommation d’eau et le réchauffement. Ainsi, 80 % de la superficie agricole mondiale est utilisée soit pour faire paître les bêtes destinées à l’abattoir, soit pour la production de céréales destinées à les alimenter. Le manque de terres agricoles pousse à la déforestation : 91 % des terres » récupérées » dans la forêt amazonienne servent ainsi aux pâturages ou à la production de soja qui nourrira plus tard le bétail. Et moins de forêt, c’est moins d’émissions de dioxyde de carbone absorbées.
La production de viande est également très gourmande en eau. Elle prélève 8 % de la consommation mondiale d’eau. Pour produire un kilogramme de boeuf, il faut l’équivalent d’une petite piscine, pas moins de 13 500 litres d’eau, principalement pour irriguer les céréales et le fourrage. Davantage que pour le porc (4 600 litres) et pour le poulet (4 100 litres). Et bien plus que la consommation nécessaire à la culture de céréales telles que le riz (1 400 litres), le blé (1 200) ou le maïs (700). L’élevage, enfin, produit 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), dont 9,5 % pour les seuls bovins. Il est aussi responsable de près de la moitié des émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (NO2), deux gaz plus réchauffant que le CO2 – le CH4 est 25 fois plus agressif pour l’environnement que le CO2. En cause : l’usage d’engrais et la rumination des bovins. » Ce rendement désastreux est exactement le même dans le cas de produits locaux, bio, sans OGM, ou tout autre terme en vogue qui figure sur tant d’emballages de produits d’origine animale « , affirme Shapiro.
Pointons qu’en Belgique (les Etats-Unis étant le champ principal des investigations de l’auteur), le secteur agricole est responsable de 8 % des émissions de GES. Les éleveurs se défendent d’ailleurs en expliquant que les pelouses broutées par les vaches peuvent stocker du carbone et ont donc un rôle positif pour l’environnement. Une thèse validée à moitié par les experts, qui jugent l’effet compensatoire » partiel « . Un rapport de Greenpeace, livré en février dernier et commandé auprès d’une équipe de chercheurs de l’UCLouvain, relève que » l’élevage belge est orienté vers l’exportation et fortement dépendant de l’importation d’aliments pour animaux. En conséquence, les émissions réelles du secteur sont près de deux fois plus élevées que les émissions directes enregistrées dans notre pays « . On peine à mettre d’accord les uns et les autres sur les chiffres. Mais personne ne nie que l’élevage intensif a un coût écologique, tant qu’il devrait être considéré, estime la FAO, comme » l’un des principaux centres de préoccupation des politiques environnementales « .
Un bout de muscle pour produire 175 millions de steaks hachés
La viande de culture serait-elle l’alternative ? Quel serait son empreinte écologique par rapport à son homologue industriel ? La situation n’est pas très claire. Une fois de plus, les résultats font l’objet de débats parmi les scientifiques, personne n’ayant encore vu tourner une véritable usine à viande in vitro. La première analyse, réalisée par l’université d’Oxford et publiée en 2011, était très optimiste et annonçait une économie de 45 % en énergie, 99 % en surface et 96 % en eau. Une étude ultérieure comparant les impacts environnementaux de la viande d’élevage et de la viande cultivée, menée en 2015 et publiée dans le Journal of Integrative Agriculture, concluait que » le remplacement de l’élevage par de la viande de culture peut réduire de manière substantielle les émissions de GES ainsi que la demande en terres agricoles « . Forcément très économe en terres, l’agriculture cellulaire requiert, en revanche, beaucoup d’énergie (notamment l’électricité pour faire tourner, nuit et jour, les bioréacteurs cultivant les cellules de muscles). » Il est pour l’heure impossible d’affirmer que la viande in vitro sera moins polluante ni plus saine que l’élevage « , déclare Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique.
Le grand défi reste l’alimentation des cellules.
Les projections démographiques de la FAO apportent de l’eau au moulin du secteur de la viande in vitro : la production agricole devra encore augmenter de 50 % d’ici à 2050 pour nourrir plus de neuf milliards d’humains. La croissance de la population mondiale va de pair avec d’autres tendances. Ainsi en est-il d’un changement profond du régime alimentaire, allant toujours dans une direction, à mesure que le niveau de vie s’élève : une diminution de la consommation des aliments bon marché (céréales, tubercules) au profit de corps gras, puis de viande et de laitages. Autrement dit, la consommation de protéines animales va continuer de progresser jusqu’en 2050. D’abord en raison de l’augmentation du nombre d’humains ; des humains qui voudront de la viande, de plus en plus de viande. Ensuite, parce que si elle ralentit ou stagne en Europe et aux Etats-Unis, elle est en plein essor dans les pays en développement. Ainsi en Chine, la consommation de viande s’est multipliée par cinq durant ces trente dernières années, ce qui représente un quart de la consommation mondiale. A ces questions, la clean meat tente d’apporter son bout de réponse. Alors qu’il faudrait 400 000 vaches pour fabriquer 175 millions de steaks hachés, une seule suffirait à fournir la même quantité avec la méthode in vitro.
Une viande sans souffrance animale
C’est enfin leur discours sur la maltraitance animale qui achève de disqualifier la viande traditionnelle. Il ne fait aucun doute que l’élevage intensif a considérablement dégradé la condition animale au cours des dernières décennies. Les pages de Clean Meat énumèrent dans les grandes lignes la façon dont sont traitées les bêtes que nous mangeons : l’empilement d’animaux dans des espaces restreints, leur surconsommation de médicaments non thérapeutiques (c’est-à-dire administrés de façon entièrement préventive), la manière dont ils sont transportés, puis abattus… Quiconque a pu en prendre connaissance ne peut que reconnaître qu’elle pose des interrogations d’ordre éthique.
De ce point de vue, la viande in vitro, en évitant d’élever et de tuer des animaux, dispose par conséquent d’un avantage radical. C’est d’ailleurs bien souvent le second argument avancé par ses promoteurs : résoudre un certain malaise face aux conditions de vie des animaux dans l’élevage intensif et face à leur mise à mort. Et c’est donc sans surprise que la viande de laboratoire enthousiasme aussi les organisations véganes et celles qui se consacrent à la défense des droits des animaux. » Un futur sans viande est peut-être une vision trop optimiste. Mais un avenir sans abattages d’animaux n’est désormais plus une utopie « , affirme Michel Vandenbosch, président de Gaia. » Cela ne signifie pas que les végans souhaitent en manger ; la plupart n’en voudraient pas, ajoute Paul Shapiro. Mais ils savent que parmi les perspectives les plus réalistes, c’est sans doute celle qui pourrait faire avancer la cause animale le plus rapidement. »
Un chapitre est ainsi consacré à la plus grande réussite du secteur : Hampton Creek – récemment rebaptisé Just -, qui a connu un premier succès avec sa mayonnaise 100 % végétale sans oeufs, Just Mayo, commercialisée par de grandes enseignes comme Walmart et Target, et créatrice de faux oeufs à base de protéines de haricots mungo. Elle compte dévoiler son premier produit en 2019 à un prix » très proche » d’un produit carné conventionnel et dit être en discussion avec de grands producteurs de viande américains : une viande de volaille in vitro. Ce faisant, Just ambitionne d’éliminer totalement les souffrances infligées aux poules, premières victimes de l’élevage industriel terrestre, bien avant le bétail.
Pour Mark Post, rapporte l’auteur, » dans vingt ans, dans les supermarchés, vous aurez le choix entre deux produits identiques. L’un des deux proviendra directement d’un animal. Désormais, il devra porter une étiquette obligatoire indiquant que des animaux ont souffert ou ont été tués dans le cadre de sa fabrication. Il sera soumis à une écotaxe, parce qu’il nuit à l’environnement. Juste à côté, vous aurez un produit alternatif fabriqué en laboratoire, parfaitement identique. Il aura exactement le même goût et la même texture. Il sera au même prix, voire moins cher. Lequel choisirez-vous ? » Malgré cette assertion, aucune clean meat n’est pour l’instant disponible à la vente, et des morceaux entiers, plus épais, comme la côte de boeuf, restent toujours hors de portée. L’équipe de Mark Post prévoit une mise sur le marché vers 2021, tout comme Memphis Meat et ses boulettes de viande. Le grand défi à relever reste l’alimentation des cellules. Dans les laboratoires de recherche, elles sont cultivées dans du sérum de boeuf. Impensable pour l’industrie de la clean meat. Les promoteurs ont également identifié un sérum non animal, à base d’algues, qui se substituerait à l’actuel. A terme, ils espèrent se passer d’antibiotiques, dont la quantité a déjà été réduite par plus de 100.
Reste à améliorer le goût. L’équipe est en train de cultiver des cellules adipeuses pour rendre sa viande un peu moins sèche. Une des conditions reste évidemment la réduction de son coût de revient. En 2013, le premier burger, qui a coûté 250 000 euros, se caractérisait par un goût » assez intense » mais qui » manque de gras « . Les chercheurs prévoient des économies d’échelle et estiment que leur steak pourrait se facturer à dix euros le kilo en 2020. Reste enfin à s’assurer des qualités nutritionnelles de la clean meat, présentée comme un produit de haute qualité pour la santé et la sécurité alimentaire, puisqu’elle est produite en dehors de l’animal, dans un environnement totalement stérilisé. Mais c’est ici aussi que les choses se compliquent. On ignore, par exemple, sa contenance en fer.
Un avenir sans bétail
Les adeptes de » l’économie postanimale » prédisent, avec un certain aplomb, une réduction immense du nombre d’animaux d’élevage, de » ces animaux que nous contribuons à faire naître dans le seul but de nous nourrir « , pour reprendre les termes de l’auteur : ce qui est évidemment l’un des objectifs de ces start-up. Dans ces conditions, que deviennent les veaux, vaches, cochons ? Aimer mieux les animaux pourrait-il nous conduire à vivre sans eux ? On devine en effet que se passer d’élevage, c’est se passer des animaux de ferme et donc les condamner à disparaître. L’auteur n’élude pas cette question quelque peu abstraite pour les non-spécialistes de l’éthique animale : » Pour sortir de l’élevage industriel, nous devons réduire le nombre d’animaux d’élevage. » Paul Shapiro imagine même un monde où la viande conventionnelle fera partie d’un marché de niche, une viande provenant d’animaux qui auront mené une vie longue et heureuse avant d’être abattus. Et en appelle la philosophie, citant entre autres la chercheuse et philosophe néerlandaise Cor van der Weele : » A mesure que les gens s’habitueront à consommer de la viande cultivée, l’élevage industriel et l’abattage deviendront de plus en plus aberrants et de moins en moins acceptables. » En d’autres termes, nous cesserons de manger des animaux, parce que cette évolution sera largement dictée par la loi du marché.
Les carnivores accepteront-ils cette nouvelle méthode de production de la viande de boeuf, de poulet, de porc – d’une quantité d’autres produits animaux -, des aliments qui occupent une place si importante dans nos régimes alimentaires ? Les risques : simple dégoût, résistance face à un produit non » naturel « , craintes pour d’éventuels effets sur la santé… Les études sur les réactions des consommateurs à la notion de viande in vitro sont encore très rares. La Belgique est l’un des rares pays européens où des enquêtes ont été menées. Ainsi l’association de défense des animaux Gaia lance une nouvelle campagne sur » la viande sans abattage « . En janvier 2019, elle a sondé via le bureau Ipsos un millier d’individus, dont les résultats sont livrés en primeur au Vif/L’Express : plus de quatre Belges sur dix se déclarent en faveur de la viande cultivée ; 43 % ayant même une première impression neutre à l’égard du concept, les sondés l’associant surtout au bien-être animal (57 %) et au respect de l’environnement (52 %). Autant de répondants affirment qu’ils en achèteraient si elle était disponible au même prix que celui de la viande d’animaux abattus. Seules barrières : l’idée d’une production non naturelle et le prix.
» Il est illusoire de penser convertir, sur une grande échelle et dans un proche avenir, la population mondiale au végétarisme (2), conclut Paul Shapiro. Pour cette raison, la viande in vitro est l’une des solutions, mais aucune à elle seule ne suffira à nous garder dans les limites planétaires. » La clean meat, en tout cas, commence à séduire des philosophes européens et même français (pays de la race charolaise et de la salers), à l’image de Florence Burgat, une des grandes spécialistes de la question animale, auteure d’une somme sur L’Humanité carnivore (Le Seuil, 2017). Pour elle, le rapport de l’être humain à la consommation de viande, universel et ancestral, est trop profond et complexe pour disparaître. La seule réponse possible à cette passion dévoratrice se trouve pour elle dans le passage qui pourrait se faire, sans que le carnivore en ait une conscience claire, grâce aux viandes végétales mais aussi à la viande in vitro . » La perfection des imitations, le mélange, dans un premier temps, de la viande de boucherie avec ces viandes, que le marketing saura présenter comme de la chair animale, pourra répondre à ce besoin sacrificiel, ce besoin de tuer un animal. » Autrement dit, ça marchera, simplement parce que l’homme aura oublié que cette viande a été fabriquée en labo, comme il a aujourd’hui oublié que le tournedos sous vide acheté au supermarché a été une partie sanguinolente d’un adorable petit veau…
Bref, une espèce de ruse de l’histoire.
(1) Clean Meat. Comment la viande de culture va révolutionner notre alimentation, par Paul Shapiro, éd. Luc Pire, 304 p.
(2) Les végétariens représentent 2 à 5 % des populations américaine et européenne.
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