La santé mentale, nouvelle star de TikTok: entre prévention et désinformation (enquête)
La production de contenus «santé mentale» s’est intensifiée sur les réseaux sociaux, surtout sur TikTok. Entre influenceurs, témoignages et professionnels de la santé, difficile de s’y retrouver. Un espace où la prévention côtoie la désinformation…
Tout le monde ne prend pas la peine d’activer le mode silencieux de son portable. Comme ce voyageur, dans le métro, qui fait dérouler, à toute vitesse et volume poussé au maximum, de courtes vidéos sur Instagram ou TikTok. La sélection ainsi proposée à l’ensemble de la rame en dit long sur les habitudes de consommation du gêneur. On saute d’un entraîneur sportif qui corrige une position de squat à une interview de mignons petits Américains. Quelques instants plus tard, le pouce s’arrête. En regardant par-dessus l’épaule du scrolleur frénétique, on peut lire: «Les trois signes que tu es hypersensible.» Les informations sont directes et simples. Un clic sur le compte, autre vidéo disponible: «La vérité sur le burnout.» Une troisième s’ enclenche automatiquement: «Si tu cogites trop, ceci est pour toi.»
C’est grâce à TikTok que j’ai appris ce qu’était le trouble de l’attention. Je me retrouvais dans les situations partagées.
La santé mentale s’empare des réseaux sociaux, se rend visible et devient un vrai sujet de société. TikTok et Instagram lui offrent des plateformes d’expression directe, quasi instantanées, des bulles où gravitent témoignages, conseils professionnels, coachs de vie, influences et logiques de marché. Toujours plus de contenu, variable en qualité.
Rendre visible l’invisible
«Ça fait longtemps que l’on est présents sur les réseaux sociaux, surtout Facebook, signale Pascale De Coster, directrice de l’asbl TDA/H Belgique, On partage aussi des pensées positives sur Instagram pour aider les parents à tenir le coup. Parfois, ils sont noyés.» Le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) associe trois symptômes – un déficit d’attention, une impulsivité et une hyperactivité motrice – dont l’intensité varie selon les individus, qui peuvent voir leur vie sociale, scolaire ou professionnelle affectée. Depuis quelques années, Pascale De Coster constate que de plus en plus d’adultes se reconnaissent dans ce syndrome et franchissent la porte de son association. «Avant, on pensait que le TDAH s’arrêtait à l’adolescence. On en parlait très peu chez l’adulte.» La parole semble se libérer, rendre visible une différence de fonctionnement invisible. Les réseaux sociaux n’y sont pas étrangers.
Les troubles de l’attention y sont, en effet, un sujet très présent. Avec une large part de contenu anglophone. Sur TikTok, les vidéos les plus célèbres affichent 2,8 millions de vues. Certains comptes cumulent des centaines de milliers d’abonnés, comme celui de Connor DeWolfe, un influenceur TDAH très actif… qui en profite pour vendre des sweat-shirts à 50 dollars. Un certain sens de la marchandisation de la santé mentale. Le côté pile de la médaille.
A l’opposé, dans un registre qualitatif, l’asbl TDA/H Belgique partage sur ses réseaux sociaux une série de pensées pour soutenir sa communauté, du contenu informatif et des détails concernant ses activités. Souvent, Pascale De Coster interagit avec ceux qui suivent l’association. «Je suis toujours étonnée du nombre de messages qu’on reçoit.» Des remerciements, du soutien, des «ça tombe juste au bon moment, j’allais de baisser les bras». L’ association utilise les réseaux en complément de son site Internet. Un outil de sensibilisation et de communication.
Alors que certains évoquent un risque d’augmentation de l’auto-diagnostic lié à une production de contenus trop généraux, dans lesquels chacun pourrait se reconnaître, Pacale De Coster avance dans une autre direction. Selon la directrice, les individus se trompent rarement. «Quand une personne se pose la question de savoir si elle est atteinte ou non de TDAH, ça signifie qu’elle ressent un mal-être, que quelque chose ne fonctionne pas. Elle cherchera à comprendre pourquoi. Ce n’est pas un autodiagnostic, c’est se poser des questions sur soi.» Instagram peut servir de premier contact avant de se diriger vers un professionnel habilité à poser un diagnostic différentiel, psychiatre ou neurologue.
La limite est toujours très compliquée. Il est difficile de savoir qui raconte n’importe quoi.
Les concernés s’expriment
C’est à ce moment précis que les réseaux sociaux peuvent avoir une influence positive, servir de tremplin à qui pourrait se dire «moi aussi». TikTok et Instagram ont façonné des espaces où parler rapproche, où le témoignage fait lien et rassure. La santé mentale s’érige en question légitime. Doucement, elle s’éloigne du tabou et entre dans les discussions, dans ce que l’on confesse. Elle n’est plus un mal que l’on cache. A présent, le trouble «existe», car d’autres en ont fait l’expérience et ont eu la force d’afficher leur visage sur les réseaux et de prêter leur voix à ceux et celles qui ne le peuvent pas encore. Le témoignage libère et engendre du commun.
Elisa, génération Z, est l’autrice du compte Instagram tdah_memes_fr. Un espace humoristique dédié aux personnes atteintes du TDAH. Rire de situations sérieuses en passant par l’ironie ou les mèmes, ces images détournées et appliquées à différents sujets. Ils voyagent vite, font le buzz, s’insèrent dans des communautés qui y trouvent un sens particulier. Chaque sous-culture d’Internet communique avec ses propres mèmes et les façonne selon ses codes. Le trouble de l’attention a, lui aussi, engendré une sous-culture Internet, et les mèmes d’Elisa participent à la rendre vivante. Elle offre une méta-analyse, un recul sur les discours et les pratiques liées à la santé mentale. Ça sent le vécu et ça fonctionne. En un an, elle approche les dix mille abonnés.
Je ressens beaucoup de stress et de colère quand je lis qu’en buvant de l’eau et en faisant de l’exercice, je vais aller mieux.
Le lancement de son compte coïncide avec le moment du diagnostic d’Elisa. Elle raconte: «C’est grâce à TikTok que j’ai appris ce qu’ était le trouble de l’attention. Je me retrouvais dans les situations partagées par les gens qui racontaient leur vécu.» Ensuite, elle découvre une série de comptes Instagram qui décrivent les symptômes, expliquent comment se faire aider, renvoient vers des professionnels. Elle en parle à sa psychologue et décide d’entamer les démarches en vue d’un diagnostic. «C’est vraiment grâce aux réseaux sociaux que le processus s’est accéléré et que j’ai su ce que je devais faire.» Un déclic.
Mais Elisa évoque le très grand nombre de contenus sur TikTok et Instagram. «Au début, je voyais surtout des comptes en anglais. Beaucoup de gens en parlaient et j’ai commencé à me reconnaître. Comme je ne n’étais pas experte, on aurait pu me dire tout et n’importe quoi.» Elle met en évidence un équilibre compliqué à conserver entre la création de contenus plutôt généraux et le risque de toucher des personnes qui ne sont pas concernées par le TDAH. «On recense un tas de situations que tout le monde peut vivre. La différence est qu’une personne avec un trouble de l’attention en fera l’expérience en continu.» Par exemple, la mémoire à court terme. La jeune femme évoque de grandes difficultés à mémoriser ses rendez-vous, à se souvenir qu’elle était en train de cuisiner. Des situations occasionnelles pour chacun, mais constantes dans son expérience à elle. «Mon but n’est pas de diagnostiquer les gens. La limite est toujours très compliquée, avec les réseaux sociaux. Les informations ne sont pas sourcées et il est difficile de savoir qui raconte n’importe quoi. Un tas de comptes partagent de mauvaises informations.»
Alors, comment expliquer cette présence si forte du TDAH sur les réseaux? Selon Pascale De Coster, ceux qui se découvrent un trouble sont très en demande d’informations et ressentent le besoin de partager leur témoignage. «Le début de parcours est difficile. Au moment du diagnostic, la place du trouble est énorme: il faut apprendre à apprivoiser, à accepter la différence et vivre avec. On se renseigne, on partage.» Et on peut aussi imaginer des mèmes, comme Elisa.
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Contenus erronés
Une étude canadienne, menée par Anthony Yeung de l’université de Colombie-Britannique, a analysé, en 2022, la qualité des contenus les plus populaires sur TikTok. Il en ressort que 52% des vidéos offrent de mauvaises informations et sont postées par des non-professionnels de la santé mentale. Quelque 27% des vidéos concernent des témoignages et des expériences personnelles. C’est ce type de contenu qui accumule le plus de vues.
La logique de TikTok et de son algorithme consiste à proposer des contenus similaires à ceux qui ont consulté une première fois les comptes dédiés à une thématique. Il est donc plus courant d’être en contact avec des informations erronées, parce que ces vidéos sont populaires. Et la surréception de ce type de vidéos peut susciter de l’anxiété chez les utilisateurs. C’est le cas d’ Anna, qui observe constamment des contenus éloignés de sa réalité, celle d’une personne neuro-divergente en situation de burnout. «Je me sens surstimulée par ces contenus. Je ressens beaucoup de stress et de colère quand je lis qu’en buvant de l’eau et en faisant de l’exercice, je vais aller mieux.» Elle fait face à un nombre considérable d’injonctions contradictoires qui provoquent en elle une forte anxiété.
On peut donner des critères diagnostiques mais on encourage toujours à aller consulter un psy.
TikTok est le réseau social le plus populaire de ces deux dernières années mais est encore très peu étudié. Garder un esprit critique est nécessaire. Vérifier qui parle, comprendre quelles sont ses sources. Là où TikTok capitalise sur l’instantané et l’immédiat, où la vidéo règne en maître, Instagram offre des ressources différentes, des labels de garantie propres aux sous-communautés visées. Certains comptes tiennent des listes des abonnements de qualité. On y retrouve le compte de l’asbl TDA/H Belgique. On se passe le mot, on milite.
Un travail de pro
Au secteur associatif et aux particuliers s’ajoute un autre type d’acteurs de la santé mentale sur les réseaux sociaux: les professionnels des soins de santé. «Au sortir du premier confinement, j’ai constaté que les jeunes avaient été très touchés sur ce plan», relève Delphine Py, psychologue et TikTokeuse. Elle cumule plus de 177 000 abonnés sur son compte psynergy_delphinepy, produit du contenu quotidiennement et collabore avec d’autres comptes. «J’ai voulu faire de la prévention et de la sensibilisation. Je me suis inscrite sur TikTok et j’ai commencé à réaliser de petites capsules pour donner des conseils et de l’info sur la santé mentale.» Avec ses vidéos, la Française déconstruit la thérapie et l’image de son métier. Pour travailler sur TikTok, il faut utiliser les tendances et les sons à la mode. «Il est essentiel que ça soit ludique, précise-t-elle. Les jeunes ne vont pas sur le réseau social pour apprendre des choses mais pour se divertir.» Rester simple et concret, drôle aussi.
La psychologue pointe les limites des réseaux sociaux, où parler des cas particuliers est impossible, où la généralisation est nécessaire. «On peut donner des critères diagnostiques mais on encourage toujours à aller consulter un psy pour se renseigner.» Et, selon elle, ça fonctionne. «Avec les autres psys des réseaux, on constate que de plus en plus de jeunes acceptent d’aller consulter ou le demandent à leur parents. Il vaut mieux quelques séances au début de l’adolescence pour débloquer des problématiques plutôt qu’une longue psychothérapie à l’âge adulte.»
Les réseaux sociaux sont devenus un espace d’information et de prévention incontournable pour les jeunes, que ce soit à propos de la santé mentale, de la sexualité ou des relations sociales. Pour Delphine Py, il est crucial que les psychologues soient présents sur ces plateformes et offrent de l’information qualitative, sourcées et validée scientifiquement.
Elle revient également sur l’intérêt des comptes de témoignages. Ceux-ci créeront du lien, aideront les personnes qui souffrent à s’identifier à l’expérience de l’autre, à sortir de la solitude et de la marginalisation. Le problème commence lorsque les fournisseurs de contenu entendent donner des conseils, sans expertise dans le domaine. Comment faire la différence? «Ce que je conseille souvent aux jeunes, c’est de choisir les comptes qu’ils suivent et si en suivre certains ne leur apporte rien de positif, de supprimer l’abonnement. De se faire confiance et de bien sélectionner son contenu.»
Faire société demande une prise en compte des réalités de la santé mentale plus grande, offrant ainsi une parole libre et ouverte, un vivre-ensemble éloigné du validisme et de la psychophobie. Les réseaux sociaux permettent un espace d’échange, où logiques de marchandisation et de consommation cohabitent avec prévention, information et déconstruction.
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