La révolution des médicaments anti-obésité? «Dès que le patient arrête, il y a une reprise de poids»
Wegovy, Ozempic, Zepbound… Alors que la planète compte plus d’un milliard d’obèses, l’arrivée de nouveaux traitements change la donne, faisant la fortune des laboratoires qui les ont conçus, et bouleverse des secteurs entiers.
Ils ont débarqué dans un quasi désert thérapeutique. Après des années de recherche, l’arrivée d’une nouvelle génération de médicaments, qui affichent des résultats particulièrement prometteurs, suscite un vif enthousiasme auprès des patients. Au point que leurs fabricants, submergés par les commandes, peinent à répondre à la demande, malgré des usines qui tournent à plein régime.
Avec plus d’un milliard de personnes dans le monde atteintes d’obésité, dont 890 millions d’adultes, ces traitements ne manquent pas de clients potentiels. D’autant que les chiffres sont inquiétants. En l’espace de 30 ans, le taux d’obésité a plus que doublé chez les adultes et quadruplé parmi les enfants et les adolescents, selon une étude publiée dans The Lancet, en mars dernier. En Belgique, un enfant sur cinq et un adulte sur trois atteindra le seuil d’obésité d’ici à 2035 –IMC 30, indice de masse corporelle, soit le poids divisé par la taille au carré– si rien n’est fait pour freiner l’«épidémie». Une aubaine pour le danois Novo Nordisk et l’américain Eli Lilly, les laboratoires pharmaceutiques à l’origine du Wegovy et du Zepbound, ces nouveaux médicaments anti-obésité tant convoités. Les industriels n’ont pas eu beaucoup d’efforts à fournir pour promouvoir leurs produits. Sur les réseaux sociaux, les célébrités, à l’instar d’Oprah Winfrey ou d’Elon Musk, se sont chargées d’en vanter les mérites. Tout comme des anonymes exaltés, à coups de photos «avant et après», en ont assuré la promotion.
«Dès que le patient arrête le traitement, il y a une reprise de poids.»
Un formidable succès
Disponibles uniquement sur ordonnance et réservés à des patients souffrant d’un diabète de type 2 associé à un IMC supérieur à 30, seuls l’Ozempic et le Zepbound (rebaptisé Mounjaro en Europe) sont commercialisés en Belgique. Autorisé dans l’Union européenne depuis janvier 2022, le Wegovy, le produit vedette contre l’obésité, n’est pas lancé chez nous (NDLR: pour l’heure, Novo Nordisk n’a pas déposé de dossier d’agréation), à l’inverse de la France (depuis le 8 octobre), des Pays-Bas, de l’Allemagne ou encore de l’Espagne. Tous se présentent sous la forme de stylos injecteurs préremplis, que les patients s’administrent une fois par semaine. Et ce n’est pas un hasard. Ces traitements appartiennent à la famille des analogues du GLP-1, qui comprend notamment le sémaglutide et le tirzépatide, leurs principes respectifs, déjà utilisés depuis plusieurs années comme antidiabétiques.
Ces médicaments, qui ralentissent la digestion par l’estomac et augmentent la sensation de satiété, sont en effet loin d’être nouveaux. Le tout premier analogue du GPL-1, l’exénatide, a été commercialisé par Eli Lilly en 2005, prescrit contre le diabète. En 2010, Novo Nordisk lance le liraglutide, vendu en 2014 sous le nom de Saxenda en Europe, et le premier à obtenir une approbation dans le traitement contre l’obésité.
Les analogues du GPL-1 n’ont réellement décollé qu’avec l’arrivée du sémaglutide. En réalité, c’est tout simplement en augmentant les doses que chercheurs et cliniciens se sont rendu compte que ces molécules permettaient une perte de poids. Au fil des essais, le sémaglutide, injecté à un rythme hebdomadaire, s’est révélé bien plus efficace que le liraglutide, injecté quotidiennement. Aussi les participants traités avec le sémaglutide ont perdu en moyenne 12,4% de leur poids, après 56 semaines, contre 4,5% pour le liraglutide. L’arrivée en 2022 du tirzépatide de l’américain Eli Lilly, qui permet une perte de poids de près de 21% en moyenne, avec la dose la plus élevée, a encore amplifié l’intérêt pour ces produits. D’où un formidable succès.
Une nouvelle ère
L’emballement s’explique aussi par le peu d’alternatives thérapeutiques disponibles jusqu’ici. Avant les années 2010, tous les traitements développés ont échoué, principalement à cause de leurs effets secondaires graves, voire meurtriers. Pour les patients, l’arrivée de ces nouveaux produits, malgré leurs effets secondaires connus (diarrhées, constipations, nausées, vomissements, fatigue…), représente non seulement un espoir considérable mais elle vient également légitimer une pathologie pour laquelle les malades sont souvent considérés comme responsables de leur état.
Du côté des médecins, cette nouvelle pharmacopée est aussi une vraie percée dans la prise en charge de l’obésité. Dans cette maladie complexe, il est en effet inenvisageable de tout miser sur la chirurgie bariatrique, qui porte sur l’anatomie de l’estomac et de l’intestin. L’obésité est une affection métabolique, pas chirurgicale. Traiter une maladie chronique sans un médicament est presque impossible à long terme et, par la diététique seule, les individus obèses perdent peu de poids de façon durable.
De là à parler d’une révolution? Une nouvelle ère, sans aucun doute. Pour les spécialistes, ces traitements ne sont en aucun cas des produits miracles ni des coupe-faim. Seuls, ils ne suffissent pas. «La molécule permet de perdre du poids sans frustration. La prise en charge de l’obésité doit être globale: modification de ses habitudes alimentaires, de son mode de vie, activité physique régulière…», avertit Jean-Paul Thissen, endocrinologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc. La plupart des essais cliniques sont réalisés sur cette base. «Mais dès que le patient arrête le traitement, il y a une reprise de poids.»
Des médicaments ciblant simultanément deux, voire trois, récepteurs pourraient se montrer encore plus efficaces.
Recherches tous azimuts
Des études récentes suggèrent en effet que 80% du poids est repris dans les six mois suivant l’abandon du médicament. Les agonistes du GLP-1 cessent d’agir sitôt la dernière dose injectée. Ces produits aident à gérer les problèmes de fringales et de faim, mais ne les guérissent pas. En d’autres termes, ils doivent être considérés comme des outils de gestion des maladies chroniques et pris probablement… à vie. Alors que leur efficacité à long terme reste inconnue. D’autres incertitudes demeurent: quels patients répondent le mieux? A quel moment faut-il prescrire ces traitements? Pourquoi certains y résistent? Chez les patients obèses, le tissu adipeux s’abîme au fil du temps, provoquant de l’inflammation et de la fibrose. Ce qui pourrait freiner la perte de poids. L’autre explication serait d’ordre génétique. La recherche se déploie du moins tous azimuts. De 112 publications en 2008 sur le sujet, on est passé à 745 en 2023.
Sur les marchés financiers, l’engouement, lui, est aussi incontestable. En Bourse, l’action des fabricants de médicaments anti-obésité a flambé ces trois dernières années. Selon les estimations, ils pourraient rapporter plus de 90 milliards d’euros d’ici à la fin de la décennie. Sans compter les nouveaux potentiels débouchés. Des essais cliniques –pilotées par Novo Nordisk et Eli Lilly– montrant d’autres effets positifs sur la santé se multiplient. Ici, sur l’insuffisance cardiaque, là sur la prévention des accidents vasculaires cérébraux, sur l’insuffisance rénale ou encore sur l’apnée du sommeil.
Les recherches se poursuivent dans les laboratoires. D’après Xavier Vandemergel, diabétologue et endocrinologue, «Wegovy sera dépassé dans deux ans. D’autres molécules encore plus performantes vont arriver.» Des médicaments ciblant deux, voire trois, récepteurs simultanément pourraient se montrer encore plus efficaces. Eli Lilly travaille ainsi sur un triple analogue, le retatrutide, qui cible les récepteurs du GLP-1, du GIP et du glucagon.
Les hypothèses sur les conséquences d’une perte de poids mondiale fleurissent. Selon certains experts, l’industrie alimentaire pourrait en pâtir. Dans le secteur médical, on noterait déjà un recul de la chirurgie bariatrique. Jusqu’ici pourtant, la seule perdante est l’industrie des régimes alimentaires. Wegovy et Mounjaro font ainsi vaciller le leader américain Weight Watchers, qui a annoncé un plan de réduction des coûts et une restructuration de ses effectifs.
Autre défi de taille: le coût de ces traitements, très onéreux –entre 274 et 365 euros mensuels, selon Novo Nordisk. A l’exception de la Suisse et de la Grande-Bretagne, aucun pays n’autorise leur remboursement. Aux Etats-Unis, le Bureau du budget du Congrès estime, dans un rapport publié le 1er octobre, que les économies potentielles d’une réduction de l’obésité ne compenseraient pas, pour l’heure, les coûts d’une prise en charge de ces traitements…
Double effet
Le GLP-1 est une incrétine, une hormone produite naturellement dans le corps, principalement par les cellules intestinales. Le médicament se lie ainsi sélectivement aux récepteurs du GLP-1 et les active. Ce qui, en même temps, active la sécrétion d’insuline, faisant baisser le taux de sucre dans le sang, et réduit la sécrétion de glucagon, qui lui hausse ce taux. D’où l’effet antidiabétique. Mais la molécule agit également sur le système nerveux central, précisément sur l’hypothalamus, et le système de récompense, réduisant ainsi l’appétit. D’où l’effet sur la satiété.
En chiffres
• En Belgique, un adulte sur deux est en surpoids et un sur cinq est obèse (18%). Chez les moins de 18 ans, un sur cinq est déjà en surpoids, un sur 20 est obèse.
• Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1,2 million de décès par an sont attribués à l’obésité.
• En Belgique, le surpoids coûte chaque année 3,3 milliards d’euros aux finances publiques.
• Selon l’OMS, l’obésité coûte chaque année l’équivalent de 2,2% du PIB mondial. D’ici à 2060, la Chine, les Etats-Unis et l’Inde, enregistreront le coût le plus élevé en chiffres absolus, avec respectivement 10.000 milliards de dollars, 2.500 milliards, et 850 milliards annuellement.
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