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“La peur et le bonheur sont liés”: les conseils d’un expert pour être plus heureux

Le Vif

Le neurologue et psychologue allemand Borwin Bandelow a étudié le cerveau pendant de nombreuses années et vient de rédiger un guide sur le bonheur. « La peur et le bonheur sont liés », déclare-t-il à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

En tant que psychiatre, vous vous êtes souvent penché sur l’anxiété au cours des dernières décennies. Vous venez d’écrire un guide sur le bonheur. Que pouvons-nous faire pour éprouver plus de plaisir dans la vie ?

Borwin Bandelow: Manger et faire l’amour sont les principales façons de stimuler la libération d’endorphines dans le cerveau. Et lorsque le cerveau est inondé d’endorphines, nous nous sentons bien. La nature le veut ainsi, car la nourriture et la reproduction font tourner le monde.

Cependant, ces deux activités sont possibles seulement dans certaines limites. Que pouvons-nous faire de plus pour notre bonheur ?

La musique, la danse, le sport ou les montagnes russes entraînent également la libération d’endorphines. Un chien peut également être d’une grande aide, surtout pour les personnes seules. Un chien est plus facile à trouver qu’un partenaire, il est toujours amical, offre de l’affection et de l’activité. Caresser un chien peut même provoquer des sentiments de bonheur comparables à ceux ressentis en câlinant un être humain, car notre système de récompense peut être facilement trompé. Généralement, un chien est prêt à satisfaire tous vos désirs. Et il réagit aux signaux que vous émettez.

Êtes-vous favorable à une forme d’auto-optimisation, la tendance qui pousse les gens à devenir la meilleure version d’eux-mêmes ?

Oui, à l’exception des méthodes nuisibles telles que la consommation de drogues dures, l’alcool ou le jeu. Ce sont des choses qui procurent une montée d’adrénaline à court terme, mais qui mènent à la catastrophe à long terme. Mon livre montre comment de telles autodestructions peuvent être remplacées par des méthodes favorisant la santé, positives et inoffensives.

Des facteurs tels que la santé, la possession de biens ou les relations émotionnelles influencent notre niveau de bonheur. Cependant, même dans les mêmes circonstances extérieures, il y a des gens heureux et malheureux. Comment l’expliquez-vous ?

Il existe différents types de bonheur, que Walt Disney a illustrés avec Gontran Bonheur et Donald Duck: l’un a toujours de la chance, tandis que tout semble toujours mal tourner pour l’autre. L’un est toujours heureux, l’autre est malchanceux. Le bonheur ne dépend pas nécessairement de facteurs externes comme la possession de biens – une belle voiture ou une maison – mais aussi des traits de personnalité, dont environ la moitié est déterminée par les gènes.

Si une moitié est génétique, l’autre moitié est due à l’éducation et à la socialisation, non ? Cela signifie que les parents ont un impact sur le fait que leurs enfants deviennent des adultes heureux.

C’est exact. Les enfants qui grandissent dans un environnement constamment marqué par la négligence et la privation ont plus de difficulté à développer le bonheur et le bien-être psychologique. Un environnement positif et de soutien offre donc les meilleures conditions pour une vie heureuse. Les enfants ont besoin de nourriture, mais aussi de nourriture émotionnelle : d’amour, d’affection, de chaleur et de sécurité. Même si les parents travaillent beaucoup, ils peuvent consacrer beaucoup d’amour et d’attention à l’enfant pendant les heures restantes, ce qui peut avoir un impact formateur sur l’avenir de l’enfant.

Les Allemands ont tendance à s’inquiéter plus facilement qu’à être joyeux et enthousiastes dans la vie. Comment cela se fait-il ?

La peur, la prudence et le manque de prévoyance sont également héréditaires. Il y a quelques dizaines de milliers d’années, nos ancêtres du nord devaient agir avec prévoyance pour survivre aux longs hivers rigoureux. Les types anxieux rassemblaient de la nourriture, tandis que les insouciants profitaient de l’été et mouraient de faim ou de froid en hiver. Cela se fait encore sentir aujourd’hui : en Allemagne et dans les pays du nord, les personnes préoccupées sont toujours nettement majoritaires, malgré les changements des conditions de vie. Dans les pays situés près de l’équateur, on voit beaucoup de visages souriants dans la rue, alors que si vous allez dans le quartier des banques à Francfort, vous lirez le mécontentement sur le visage de nombreuses personnes, même si c’est l’une des régions les plus riches d’Allemagne. Cela renferme un message important : l’argent et le bonheur ne sont pas corrélés.

La peur est-elle l’antithèse du bonheur ?

Oui, le système de la peur est un frein. Il nous dit de ne pas avoir de relations sexuelles en public alors que tout le monde nous regarde. Il nous empêche de prendre du chocolat au supermarché et d’en manger directement sans payer. Le système de la peur nous rappelle constamment de ne pas trop solliciter notre système de récompense. À cet égard, la peur et le bonheur sont liés.

Et si la peur prédomine ?

En tant que psychiatre, je soigne des patients anxieux depuis toute ma vie. Mes patients ont souvent un problème avec ce que Freud appelait le « surmoi » : c’est-à-dire une anxiété sociale qui nous envahit lorsque nous faisons certaines choses en excès. La phobie sociale est la peur d’être critiqué par d’autres personnes ou de faire quelque chose que l’on trouve embarrassant. Par exemple, lorsque vous voulez rencontrer quelqu’un. Vous pensez que cela ne mènera à rien. Je serai peut-être maladroit, ou l’autre personne me trouvera laid, puis il ou elle me trompera, abusera de moi, et finira par me quitter. Je n’irai donc pas à cette fête, et je ne m’inscrirai pas non plus sur un site de rencontres. En résumé, je voudrais de l’amour, mais je ne l’obtiens pas parce que mon système de peur me l’interdit.

Sur quoi les écrivains écriraient-ils s’ils ne parlaient pas de personnes malheureuses ? Au moins depuis Tolstoï, nous savons que les familles heureuses produisent des personnages de roman assez peu intéressants.

C’est vrai. Être malheureux est plus varié que d’être heureux. De plus, être malheureux peut pousser les gens à agir. Il y a de nombreux écrivains célèbres qui sont en quelque sorte névrosés et à qui le travail créatif apporte des moments de bonheur. Les personnes qui travaillent sur scène souffrent  souvent de dépressions, d’angoisses et de ce qu’on appelle les troubles de la personnalité. Ces personnes ont parfois un fort besoin d’attention, car elle suscite des sentiments de bonheur. À plus petite échelle, nous pouvons le voir aussi avec la réception de messages WhatsApp, ce qui peut conduire à une dépendance aux smartphones.

D’autres parleraient d’un trouble narcissique.

Beaucoup de narcissiques veulent être au centre de l’attention, et c’est motivé par un manque d’endorphines, qu’ils essaient de compenser en recherchant l’admiration. Nous voyons aussi souvent des troubles borderline chez les artistes, dont j’en ai décrit plusieurs dans mon livre Celebrities. Un bon exemple est la chanteuse pop britannique Amy Winehouse, capable de transmettre des émotions extraordinaires et de l’authenticité à travers sa musique. Je pense qu’elle a passé sa vie à essayer de stimuler sa libération d’endorphines, notamment par des comportements autodestructeurs, la consommation de drogues dures et l’agressivité.

Peut-on faire un diagnostic à distance ?

Il est difficile de comprendre comment quelqu’un qui a autant de succès peut être si malheureux. Mais en tant que psychiatre, je vois les anomalies et j’ose faire un diagnostic. Je suppose que c’était tout simplement le système de récompense insatiable qui voulait être stimulé en permanence. Finalement, elle est morte d’une intoxication à l’alcool. D’ailleurs, elle se décrivait elle-même comme « borderline » sur son site web, tout comme la chanteuse irlandaise Sinéad O’Connor.

Certaines personnes espèrent susciter des sentiments spéciaux de bonheur en achetant, contre toute rationalité, des biens de luxe. Est-ce que cela aide ?

Ça n’en vaut pas la peine. Si vous achetez une Lamborghini, le sentiment de bonheur ne durera tout au plus que trois semaines, après quoi cette voiture bruyante devient comme n’importe quelle autre voiture, elle ne vous apportera plus de nouvelle stimulation. Le système de récompense du cerveau s’est habitué à une disponibilité constante. Et tôt ou tard, le week-end, vous vous dites je remonte sur mon vélo.

Ce chien dont vous parliez tout à l’heure n’est manifestement pas une Lamborghini. Si vous négligez un chien après trois semaines, vous avez un problème.

Un chien, c’est toute autre chose. Tout ce que cet animal fait stimule notre système d’endorphines. Il nous accueille joyeusement, nous câline, fait des tours, est admiré par d’autres amoureux des chiens. Eh oui, de temps en temps, il peut faire ses besoins sur le tapis, sauter avec des pattes boueuses sur des personnes en vêtements de créateurs ou ignorer l’appel, car il y a une chienne en chaleur. Alors l’humeur est à nouveau sous-optimale. Mais ce sont ces fluctuations entre bonheur et malheur qui sont importantes pour maintenir notre sensation de bonheur. La Lamborghini est simplement toujours une Lamborghini. Le principe du haut et du bas s’applique également aux activités telles que le ski. Le système de peur nous avertit de la montagne raide et glissante, et que nous allons heurter les sapins. Mais ensuite, des endorphines sont libérées pour nous protéger contre les multiples fractures attendues. C’est ainsi que nous prenons quand même ce virage sur la piste. Nous apprenons à skier. Notre peur disparaît, mais les endorphines sont toujours dans notre circulation sanguine. Ce phénomène se produit toute la journée, et explique également le grand plaisir que nous en tirons.

Borwin Bandelow

Le bonheur est-il si attrayant ou souhaitable parce qu’il n’est jamais permanent ?

Oui, c’est exact. Le bonheur est comme un oiseau rare. Dès que vous le découvrez, il s’envole. C’est parce que les sentiments de bonheur sont biochimiquement déterminés et qu’il y a certains neurotransmetteurs comme les endorphines qui sont libérés. Ils s’épuisent et doivent ensuite être régénérés à chaque fois. Un exemple simple : imaginez quelqu’un qui reçoit 2000 euros chaque mois et se sent heureux à chaque fois que cet argent arrive sur son compte. Une autre personne reçoit parfois 500 euros et parfois 8500 euros, en fonction de la situation. Bien que la deuxième personne gagne peut-être moins au total par an, elle est plus heureuse, car elle sent les fluctuations de ses revenus et crée ainsi de nouveaux moments de bonheur.

Pas de bonheur sans malheur ?

C’est exact. Ce principe a également été étudié chez les singes. On leur a donné des tranches de pomme en différentes quantités, certaines fois plus, parfois moins, parfois pas du tout. Les scientifiques ont constaté que les singes qui recevaient une récompense imprévisible étaient plus heureux et avaient plus d’endorphines dans leur cerveau que les singes recevant toujours la même quantité de tranches de pomme.

Avez-vous des conseils pour maintenir le bonheur dans votre relation romantique, sans qu’il s’effrite ? Résoudre les disputes ne peut pas être la seule solution.

Bien que je ne sois pas un véritable expert en relations de couple, je pense qu’il est important de créer constamment de la variété dans une relation, similaire à la façon dont nous mangeons. Aujourd’hui, je gardais mon petit-fils. Quand j’ai voulu lui donner de la panade, il a refusé et a demandé du jambon et du fromage à la place. Bien qu’il mange habituellement de la panade, il avait soif de variété, car la panade qu’il avait toujours eue commençait à l’ennuyer. Il avait besoin de variété. Il en va de même pour les adultes dans les relations. Certains partenaires se séparent encore et encore pour se retrouver ensuite. C’est quelque chose que je ne conseille pas, car cela peut aussi rendre les gens très malheureux.

La quête du bonheur peut-elle devenir pathologique ?

Oui, malheureusement, pensez à la consommation excessive d’alcool ou de drogues, au jeu et aux jeux vidéo. À mon avis, le trouble mental appelé trouble borderline est également basé sur un problème du système de récompense. Cela explique également très bien les symptômes bien connus. Les personnes qui en souffrent cherchent à obtenir plus d’affection, ont beaucoup de relations sexuelles, deviennent dépendantes de l’alcool ou consomment des drogues dures. Même ce symptôme étrange de s’infliger de la douleur sert à stimuler le système d’endorphines.

Cela signifie-t-il selon vous que les personnes qui souffrent de troubles borderline possèdent moins d’endorphines que les autres personnes – ou en ont-ils besoin de plus que les autres ?

C’est une bonne question à laquelle je ne peux malheureusement pas encore répondre. Il se peut aussi que leurs récepteurs d’endorphines ne soient tout simplement pas assez sensibles. Il y a un médicament appelé naltrexone qui est utilisé pour traiter une overdose d’héroïne. Il bloque les récepteurs opioïdes. Si vous prenez ce médicament sur une longue période, les récepteurs s’adaptent. Ils deviennent plus sensibles, c’est bien connu. C’est pourquoi cette astuce est également bonne pour le traitement de diverses maladies et dépendances, comme la dépendance aux opiacés ou à l’alcool.

Avez-vous déjà utilisé ce médicament ?

Je l’ai introduit dans notre clinique, presque chaque patient borderline le recevait. Parfois, il a fait des miracles, mais parfois malheureusement non. La recherche scientifique dans ce domaine n’est pas encore terminée. Nous avons déjà découvert que les personnes qui recevaient de la naltrexone se portaient en général beaucoup mieux que celles traitées avec tous les autres médicaments.

Et comment expliquez-vous le mécanisme d’action ?

Supposons qu’un patient atteint d’un trouble de la personnalité borderline se coupe régulièrement les avant-bras. Il ne le fait pas comme punition, c’est pour la récompense et le soulagement, car une plaie qui saigne entraîne également la libération d’endorphines. Pensez aux personnes gravement blessées qui ne remarquent parfois même pas leurs blessures. Lorsque vous donnez de la naltrexone, l’effet gratifiant de l’automutilation est absent. Et à ce moment-là, le patient arrête, ce qui est déjà positif. Et si vous donnez le médicament sur une plus longue période, cela se passe comme je l’ai dit précédemment : les récepteurs deviennent plus sensibles. Finalement, vous n’avez plus besoin de stimulations excessives.

Cela signifie-t-il qu’une dose plus faible d’endorphines a déjà un effet plus fort à ce moment-là ?

C’est exactement ça. Mais c’est toujours un palliatif. Ce serait plus facile si nous avions un médicament sans risque qui agit sur ces récepteurs. Malheureusement, les médicaments existants ayant cet effet sont très dangereux. Il s’agit par exemple de la morphine. Vous vous sentez bien, vous n’avez plus mal, mais vous devenez rapidement dépendant et devez augmenter la dose. C’est un chemin sans issue. C’est pourquoi nous devrons continuer à travailler de manière indirecte, jusqu’à ce qu’un médicament soit développé qui fait d’une pierre deux coups: créer un sentiment de bien-être sans créer de dépendance.

Ce serait donc la pilule du bonheur optimale ?

Oui, qui pourrait nous mener à notre perte, pensez au « Meilleur des mondes », le roman d’Aldous Huxley. Car qui aura encore envie de cultiver les champs, de faire la vaisselle, de travailler au bureau ou de développer des médicaments contre le cancer ?

Der Spiegel

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