Des chercheurs du Rega Instituut (KU Leuven) ont détecté des traces de rougeole dans les eaux usées du nord de Bruxelles. © Getty Images

«La maladie est loin d’être bénigne»: pourquoi la résurgence de la rougeole inquiète

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Pourtant considérée comme une maladie «maîtrisée», la rougeole réapparaît en Belgique. La faute, notamment, à une couverture vaccinale insuffisante.

Par Elise Legrand

Disparue? Pas tout à fait. En 2020, la Belgique se voyait octroyer par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le statut de «pays ayant éliminé la rougeole». Quatre ans plus tard, la maladie infectieuse s’est pourtant bel et bien réinstallée sur notre territoire. Mi-mars, des chercheurs du Rega Instituut (KU Leuven) ont détecté des traces du virus dans les eaux usées du nord de Bruxelles.

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La découverte du laboratoire louvaniste n’a en réalité rien de surprenant: la recrudescence de la rougeole sur le sol belge est documentée depuis plusieurs mois. Le 19 février 2024, un rapport préliminaire de l’Institut de Santé publique Sciensano signalait le recensement de 17 cas depuis le début de l’année. En 2023, 67 contaminations ont également été enregistrées, contre seulement huit en 2022 et sept en 2021.

Si le plafond des 500 cas identifiés en 2019 est encore loin d’être atteint, Sciensano suit avec attention l’évolution de la maladie. Car la rougeole, causée par le morbillivirus, peut être source de graves complications. Au-delà des symptômes classiques – éruptions cutanées, forte fièvre – elle peut entraîner des pneumonies ou des encéphalites (inflammation du cerveau). Chez la femme enceinte, elle augmente le risque de fausse couche, d’accouchement prématuré et de mort fœtale. Chez les enfants, entre 20% à 30% des contaminations débouchent sur une hospitalisation, tandis qu’un cas sur 1.000 s’avère létal. «La maladie est donc loin d’être bénigne», insiste Steven Van Gucht, infectiologue à l’université de Gand.

Extrême contagiosité

Au vu de la progression de la maladie à l’échelle européenne, une flambée des contaminations en Belgique n’est pas à exclure dans les semaines à venir. Trente fois plus de cas de rougeole ont en effet été signalés sur le Vieux Continent entre janvier et octobre 2023 qu’en 2022, s’inquiétait fin janvier l’OMS. Des foyers importants ont été identifiés en Europe de l’Est, notamment en Roumanie.

«Les cas de rougeole connaissent généralement un pic après les séjours au ski, car ils concentrent des tas de nationalités différentes dans un même endroit relativement exigu, avec beaucoup d’activités en intérieur», indique Steven Van Gucht. D’autant que la rougeole est extrêmement contagieuse, précise l’infectiologue Yves Van Laethem. «Un cas primaire entraîne environ seize à 18 contaminations secondaires: c’est énorme.» La maladie est contagieuse de quatre jours avant à quatre jours après l’apparition de l’éruption cutanée, avec une infectiosité maximale pendant la phase catarrhale, aux prémices des symptômes.

Un cas primaire entraîne environ seize à 18 contaminations secondaires: c’est énorme. »

Yves Van Laethem

Infectiologue

Outre la mobilité intra-européenne importante, un effet «de rattrapage» peut également expliquer la recrudescence de la rougeole en Belgique. «Pendant la pandémie, très peu de cas ont été détectés en raison des mesures sanitaires et de la limitation des contacts. On assiste donc aujourd’hui à un effet de compensation», observe Steven Van Gucht.

La vaccination fait défaut

Face à ce constat, les experts plaident pour un renforcement de la couverture vaccinale, l’arme la plus efficace pour lutter contre la propagation de la maladie. Contrairement au vaccin contre la poliomyélite, le vaccin rougeole-oreillons-rubéole (ROR) n’est pas obligatoire en Belgique. Il est toutefois fortement recommandé, voire exigé par l’ONE dans certaines crèches. Il est administré en deux doses, qui confèrent une protection à vie.

La première dose du vaccin ROR a été introduite en 1985 dans le calendrier de vaccination de base, gratuit pour les enfants à partir de 12 mois. En 1995, les autorités sanitaires ont décidé d’administrer une deuxième dose à l’âge de 10-12 ans. Fin 2019, face à une recrudescence de la maladie, le Conseil supérieur de la santé a recommandé d’anticiper cette deuxième dose dès l’âge de 7-9 ans, afin d’assurer une entière protection dès le plus jeune âge.

Malgré ces efforts, le taux de vaccination complète (deux doses) reste encore trop faible au sein de la population belge. Contre les 95% préconisés pour atteindre la sacro-sainte immunité collective, il s’élève aujourd’hui seulement à 83%. Cette sous-couverture puise notamment sa source dans la pandémie de Covid-19, qui a pu perturber les cycles de vaccination (certains enfants seraient passés «entre les mailles du filet») et accroître la méfiance de certaines franges de la population à l’égard de la vaccination en général.

«Pas de la mauvaise volonté»

Cette insuffisance vaccinale est également plus marquée à Bruxelles et en Wallonie qu’au Nord du pays. Selon les données de Sciensano, la Flandre affichait un taux de seconde dose de 90% en 2021, contre 75% dans les deux autres régions du pays. Une différence qui s’explique par une adhésion plus importante de la population flamande aux schémas vaccinaux en général, mais également par un suivi systématisé. «En Flandre, le vaccin rougeole-oreillons-rubéole est administré dans les écoles par les services médicaux, précise Steven Van Gucht. En Wallonie, ce n’est pas le cas partout. La vaccination se fait parfois à l’initiative des parents, qui doivent prendre rendez-vous chez le médecin ou le pédiatre. Les oublis sont donc plus fréquents.» Et d’insister: «Ce n’est pas forcément de la mauvaise volonté.»

Outre la rougeole, d’autres maladies «oubliées» telles que la gale ou la diphtérie tendent à réapparaître en Belgique ces dernières années. La faute à une mobilité internationale croissante, qui favorise la circulation d’agents pathogènes. Mais également au réchauffement climatique, qui implique des phénomènes de migration, non seulement d’êtres humains, mais aussi d’animaux. «Parmi ceux-ci, on retrouve des « vecteurs » comme les moustiques et les tiques, qui contribuent à la propagation de maladies», décrypte Steven Van Gucht. Toute une série de maladies à transmission vectorielle, telles que la fièvre de West-Nile, la dengue ou le chikungunya ont d’ailleurs récemment émergé dans le sud de l’Europe. «Pour le moment, elles ne sont pas encore présentes en Belgique, mais nous restons extrêmement vigilants», conclut Steven Van Gucht.

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