La congélation d’ovocytes, un phénomène en hausse : quand les femmes veulent « s’acheter du temps »
Depuis une dizaine d’années, la congélation d’ovocytes rencontre un succès croissant en Belgique. Elle permet aux femmes de préserver leur fertilité et de reporter leur projet de grossesse à une date ultérieure. Bien qu’elle représente un certain coût, la procédure est efficace et comporte peu de risques médicaux.
Ma vie amoureuse était un peu compliquée. Je savais que j’allais rencontrer la bonne personne, mais quand ? Je ne voulais pas trimer pour avoir des enfants, donc à 37 ans, j’ai décidé de congeler mes ovocytes. Cela m’assurait d’avoir la possibilité de devenir maman, quoi qu’il se passe », confie Stéphanie, aujourd’hui âgée de 40 ans.
Face à la pression de l’horloge biologique, le recours à la congélation d’ovocytes séduit de plus en plus de femmes en Belgique. La congélation permet de prévenir le vieillissement des cellules, et d’ainsi augmenter les chances de tomber enceinte au moment opportun.
« La congélation des ovocytes est une méthode dérivée de la fécondation in vitro, indique le Dr Michel De Vos, chef de département de la clinique de fertilité à l’UZ Brussel. Sauf qu’au lieu de féconder directement les ovocytes dans une éprouvette avec du sperme, on va les conserver au frais pour plus tard. »
Stimulation, ponction, congélation
Concrètement, le processus s’effectue en trois étapes. Il faut d’abord procéder à une stimulation des ovaires, via des injections quotidiennes durant une dizaine de jours. La stimulation ovarienne permet de produire un maximum d’ovocytes, qui pourront ensuite être prélevés lors d’une ponction par voie basse, une intervention médicale d’une trentaine de minutes. Enfin, les ovocytes récoltés pourront être congelés, à l’aide d’une technique de congélation ultra-rapide appelée la vitrification. « On ne congèle pas tout, précise le Dr. De Vos. On garde uniquement ceux qui ont fini le processus de maturation dans l’ovaire. Généralement, environ 20 à 25% des ovocytes ne seront pas matures et devront être jetés. »
A Brussels IVF (Centre de la Reproduction Humaine de l’UZ Brussel), où environ 1.000 femmes ont congelé leurs ovocytes depuis 2009, l’âge moyen des patientes s’établit à 36 ans. « Au début, la moyenne se situait plutôt aux alentours de 38 ans, se remémore le gynécologue De Vos. Mais aujourd’hui, de plus en plus fréquemment, on voit arriver des femmes âgées entre 30 et 35 ans. Elles veulent « s’acheter du temps » et mettre toutes les chances de leur côté pour leur futur projet de grossesse. » Plus la congélation est réalisée tôt, plus la qualité des ovocytes est bonne. « Au-delà de 36 ans, on observe une chute assez spectaculaire de cette qualité, précise le Dr. De Vos. En général, on déconseille de faire une congélation après 39 ans, car selon les statistiques, la probabilité de tomber enceinte avec ces ovocytes est futile. Elle s’établit à moins de 5%, donc c’est assez décourageant. » Le taux de survie des ovocytes après la décongélation dépend également de l’âge auquel ils ont été congelés. «Avant 37 ans, le taux de survie est très bon, autour de 90%. Par contre, à partir de 38 ans, le taux de survie chute à 80% ou moins. »
Une autre donnée à prendre en compte est le nombre d’ovocytes qui seront effectivement produits à l’issue de la stimulation ovarienne. Ce « stock d’ovocytes », lui, n’est pas lié à l’âge et peut varier énormément d’une femme à l’autre. « Il y a des jeunes femmes, en très bonne santé, qui ont un stock faible et chez qui une stimulation ovarienne ne donnera que trois ou quatre ovocytes, alors que d’autres du même âge peuvent en obtenir 20, illustre le Dr. De Vos. C’est assez arbitraire : si vous avez 35 ans et que vous avez un faible stock, ce n’est pas votre faute, c’est lié à la constitution génétique. »
Un investissement financier
Généralement, les médecins recommandent de congeler une vingtaine d’ovocytes pour maximiser les chances de grossesse ultérieure. Ainsi, une femme qui dispose d’un stock limité devra peut-être répéter la stimulation trois ou quatre fois avant d’obtenir suffisamment d’ovocytes à congeler. Un procédé qui peut s’avérer moralement lourd, et surtout financièrement coûteux.
En moyenne, le coût total du processus – des premiers rendez-vous gynécologiques et psychologiques à la congélation – avoisine les 3.000€. « Il faut compter le prix des injections, de l’intervention médicale, mais aussi les frais de conservation », indique le Dr. De Vos. En sachant qu’une femme de 36 ans produit généralement dix ovocytes par cycle, il faut tabler sur un coût total de 6.000€, dans le meilleur des cas. Et jusqu’à 12.000€, en cas de stock d’ovocytes limité. Au contraire de la procréation médicalement assistée (PMA), le simple fait de congeler ses ovocytes n’est pas remboursé par la sécurité sociale en Belgique, sauf pour raisons pathologiques, par exemple en prévision d’un traitement de chimiothérapie qui peut altérer la fertilité. En France, le « social freezing » (par opposition à la congélation pour raisons purement médicales) est pris en charge par l’Etat depuis 2021.
D’un point de vue médical, les risques de complication sont relativement limités. « On a tendance à dire qu’il y a plus de chances de se faire écraser par une voiture en sortant de l’hôpital que d’avoir une complication lors de l’intervention, caricature le Dr Romain Imbert, responsable du Centre de PMA au Chirec. Mais on se doit de prévenir les femmes : cela reste une intervention médicale. » Les risques d’hémorragie se situent autour d’une femme sur 100, et les risques de développer un cancer à long terme sont également limités, assure le Dr. De Vos. Les douleurs lors de la ponction ovarienne sont en règle générale assez faibles, même si l’intervention reste évidemment peu agréable. A noter que la stimulation ovarienne peut entraîner des gonflements au niveau du ventre.
Et après ?
La loi belge autorise une conservation des ovocytes durant dix ans, mais une prolongation de cette durée peut-être octroyée sur demande. Finalement, relativement peu de femmes procèdent à la décongélation de leurs ovocytes. « Entre-temps, la vie continue. Certaines femmes rencontrent un conjoint et réalisent leur projet de grossesse. D’autres n’ont finalement plus envie de donner naissance pour tout un tas de raisons », explique Romain Imbert. A Brussels IVF, entre 2009 et 2019, environ 15% des femmes ont utilisé leurs ovocytes congelés dans le cadre d’une fécondation in vitro. « Mais ce chiffre est amené à augmenter », assure le Dr. De Vos.
« Entre-temps, la vie continue. Certaines femmes rencontrent un conjoint et réalisent leur projet de grossesse. D’autres n’ont finalement plus envie de donner naissance pour tout un tas de raisons »
Au terme des dix années de conservation, trois choix s’offrent à la femme : « Elle peut décider simplement de détruire ses ovocytes, de les céder à la recherche scientifique, ou de les donner à une autre femme désireuse d’enfanter », précise Romain Imbert.
Un phénomène en hausse
S’il n’existe pas de statistiques sur le nombre de congélations effectuées chaque année en Belgique, l’ensemble des médecins interrogés sont unanimes : on assiste à une explosion de la demande. A Brussels IVF, 300 femmes ont congelé leurs ovocytes en 2022, contre 162 en 2021, et seulement 18 en 2010. Outre le bouche-à-oreille, cette augmentation s’explique par la déstigmatisation de la pratique. « Avant, c’était quelque chose qui ne se disait pas trop. Si on congelait ses ovocytes, c’était parce qu’on était seul, qu’on n’avait pas de partenaire. Il y avait une dimension assez négative, estime Romain Imbert. Aujourd’hui, les patientes arrivent beaucoup moins en longeant les murs. Elles veulent simplement utiliser une option qui s’offre à elles ».
« Le problème c’est que la biologie de la femme ne suit pas cette évolution sociétale »
Cette hausse va également de pair avec l’évolution de la société. L’âge auquel les jeunes s’établissent dans une relation stable recule, et les impératifs financiers entrent également en ligne de compte. « Le problème c’est que la biologie de la femme ne suit pas cette évolution sociétale, pointe Michel De Vos. Donc les fenêtres d’opportunité pour tomber enceinte deviennent de plus en plus étroites. Congeler ses ovocytes permet ainsi de s’octroyer un petit bonus de temps », conclut le gynécologue.
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